Le nouveau gouvernement travailliste de Keir Starmer s’installe au pouvoir au Royaume-Uni
Sans perdre de temps, le parti travailliste s’installe samedi au pouvoir au Royaume-Uni, après sa victoire aux élections législatives de jeudi et la nomination du gouvernement du nouveau Premier ministre Keir Starmer.
Un conseil des ministres est prévu dès samedi matin et le Premier ministre tiendra une conférence de presse juste après. Vendredi, cet ancien avocat de 61 ans, spécialisé dans la défense des droits humains, a été officiellement chargé par le roi Charles III de former un nouveau gouvernement, entérinant le tournant politique survenu après que les électeurs ont chassé les conservateurs restés 14 années à la tête du pays.
Le Labour a remporté 412 des 650 sièges de la Chambre des Communes (un résultat manque encore), un score proche de celui historique de Tony Blair en 1997. Il dispose désormais d’une très large majorité pour gouverner et « rétablir » et « unifier » le Royaume-Uni, comme l’a promis Keir Starmer en entrant au 10, Downing Street.
Pendant la campagne, celui qui est entré en politique il y a seulement neuf ans a promis le retour de la « stabilité » et du « sérieux », avec une gestion rigoureuse des dépenses publiques. Et affiché ses priorités : relancer la croissance, réparer les services publics, réduire l’immigration et rapprocher le Royaume-Uni de l’Union européenne – sans revenir sur le Brexit. Le travail à mener est « urgent », a assuré Keir Starmer, laissant augurer d’annonces rapides de premières mesures, notamment en matière de logement.
Vendredi, Keir Starmer a commencé à nommer les membres de son gouvernement à l’image du changement qu’il a martelé vouloir pour son pays, insistant sur le retour du sens du « service » après les scandales ayant émaillé les derniers gouvernements conservateurs. Il a choisi pour vice-Première ministre chargée du logement Angela Rayner, une personnalité atypique incarnant l’aile gauche d’un parti travailliste largement recentré en matière économique depuis que Keir Starmer en a pris la tête en 2020. Pour la première fois une femme occupe le poste très prestigieux de ministre des Finances, l’ancienne économiste de la Banque d’Angleterre Rachel Reeves, très appréciée des milieux d’affaires. David Lammy, issu d’une famille immigrée du Guyana, devient le chef de la diplomatie britannique.
Ce week-end, Keir Starmer doit encore finir de constituer son gouvernement, traditionnellement composé de pléthores de secrétaires d’Etat.
Des conservateurs sévèrement battus
Sa victoire a largement été saluée en Europe et au-delà : le chancelier allemand Olaf Sholz a estimé qu’il ferait « un très bon Premier ministre » et Joe Biden s’est réjoui de travailler au « renforcement de la relation spéciale » entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Le nouveau Premier ministre a déjà eu plusieurs entretiens téléphoniques avec des chefs d’Etats et de gouvernement dès vendredi soir, dont le président français Emmanuel Macron, ou les présidents américain Joe Biden et ukrainien Volodymyr Zelensky. Keir Starmer a assuré à ces deux derniers le soutien britannique « inébranlable » à l’Ukraine.
Dès la semaine prochaine, il fera ses premiers pas sur la scène internationale avec le sommet marquant le 75e anniversaire de l’Otan à Washington.
Mais le triomphe du Labour ne va pas sans aspérités. Sa super-majorité a été obtenue en rassemblant moins de voix qu’au moment de sa défaite de 2019 et, dans un scrutin éclaté, seul un électeur sur trois l’a choisi. Le Parlement apparaît totalement remanié.
Obligation de se réinventer
Le parti conservateur britannique, pulvérisé par les travaillistes aux élections législatives jeudi et profondément divisé, va devoir se réinventer après la défaite de nombreux poids lourds.
Les « Tories » n’avaient pas connu de déroute aussi cinglante depuis plus d’un siècle. Ils ont perdu par rapport à 2019 deux tiers de leurs élus à la Chambre des communes, passant de 365 à 121. Une dizaine de ministres et l’ancienne Première ministre Liz Truss ont été désavoués par les électeurs, lassés des difficultés économiques, des promesses non tenues, des difficultés à être soigné dans le service public et de l’instabilité politique avec trois Premiers ministres conservateurs ces deux dernières années.
Au Royaume-Uni, le Premier ministre est le chef du parti ayant le plus de députés. Remplacé vendredi à ce poste par le chef des travaillistes Keir Starmer, Rishi Sunak a annoncé sans surprise son intention de démissionner de la tête du parti, « une fois que tout sera en place pour désigner (son) successeur ».
« Le parti conservateur vous a laissé tomber »
Le parti anti-immigration et anti-système Reform UK, dirigé par Nigel Farage, figure emblématique du Brexit, a contribué aux dégâts en divisant le vote de droite et en captant des voix dans des circonscriptions clés.
L’ancienne ministre de l’Intérieur Suella Braverman, très à droite et très dure sur l’immigration, a sauvé son siège mais tenu à s’excuser auprès des électeurs. « Je suis désolée que mon parti ne vous ai pas écoutés. Le parti conservateur vous a laissé tomber (…) et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour reconstruire la confiance ».
Mais comment? Quel sera le visage du nouveau parti conservateur, qui était de plus en plus à droite et est désormais menacé par Reform UK? Nigel Farage ambitionne de devenir le nouveau parti d’opposition en vue des prochaines législatives de 2029.
Suella Braverman, perçue de longue date comme une cheffe potentielle des conservateurs, a dressé la liste des sujets qui ont conduit tant d’électeurs à délaisser les Tories pour se tourner vers Reform UK. « Nous n’avons pas réussi à réduire l’immigration ou les impôts, ni à nous occuper des ‘woke’ », a-t-elle écrit dans le Daily Telegraph.
Plusieurs voix éminentes au sein des Tories se sont inquiétées de la situation du parti ces dernières années. David Frost, négociateur en chef du Brexit pour le Royaume-Uni sous la direction de l’ex-Premier ministre Boris Johnson, a démissionné du gouvernement en décembre 2021 critiquant notamment les augmentations d’impôts. Il a appelé à créer un « nouveau mouvement, un mouvement pour un conservatisme réformé », excluant ceux « qui devraient vraiment être dans des partis de notre gauche » et les « responsables de la stratégie qui a conduit au désastre actuel ».
Le danger Reform UK
« Il va y avoir très rapidement le problème de l’attitude à adopter vis-à-vis de Nigel Farage« , dit à l’AFP Michael Kenny, directeur de l’Institut Bennett pour les politiques publiques à l’université de Cambridge. Selon lui, certains Tories voudront un chef à même d’unir le parti mais en se fermant à Farage. D’autres chercheront quelqu’un de potentiellement « plus ouvert à l’idée de fusionner avec Reform UK ».
Boris Johnson a mis en garde contre une telle perspective samedi, appelant le parti à reprendre les thèmes qui avaient mené à la victoire en 2019. « Nous n’avons pas besoin d’essayer d’absorber d’autres partis, d’essayer de prendre leur vitalité comme une greffe de glandes de singes », a-t-il écrit dans sa chronique hebdomadaire du Daily Mail.
Philip Cowley, professeur de sciences politiques à l’université Queen Mary à Londres, appelle cependant à ne pas dramatiser la situation. En 1992, après la quatrième victoire consécutive des conservateurs, on a « beaucoup parlé du fait que la Grande-Bretagne était désormais un pays à parti unique, mais les travaillistes ont remporté leur plus grande victoire cinq ans plus tard », souligne-t-il.
Plus récemment encore, pendant les années Tony Blair et Gordon Brown, des commentateurs avaient affirmé que les conservateurs ne pourraient plus jamais gagner. Ce qu’ils ont pourtant fait en 2010 avec David Cameron.
Pour Philip Cowley, « ce que l’électorat donne, il peut le reprendre ».