Christian Makarian
« Le Brexit, bombe à fragmentation »
Il devient audacieux de prendre la plume au sujet du Brexit. Les parlementaires britanniques ne réussiront pas à nous en dissuader malgré leur talent inégalable de semeurs de désordre ; mais ce qui était un problème fondamentalement britannique est devenu par contamination une vraie gangrène sur tout le Vieux Continent.
Pour résumer, un peu à l’excès, la dernière réunion extraordinaire du Conseil européen, qui s’est tenue à Bruxelles le 10 avril, retenons que si le Royaume-Uni n’organise pas d’élections européennes sur son propre sol, il devra quitter l’Union sans accord ( » no deal « ) le 1er juin 2019. Si ces élections ont lieu, conformément aux traités et aux principes démocratiques puisque Londres fait toujours partie de l’UE jusqu’au divorce officiel, le gouvernement britannique disposera d’un délai jusqu’au 31 octobre, sursis assorti de conditions. A moins qu’un vote miraculeux n’intervienne soudain au sein de la Chambre des communes avant le 22 mai, à la veille des européennes…
Au niveau britannique, on voit mal comment les conservateurs pourraient sortir vainqueurs d’une nouvelle échéance électorale. Sachant que le Royaume-Uni ne peut pas provoquer de nouvelles élections générales anticipées (les dernières ont eu lieu en juin 2017 et se sont soldées par un recul pour Theresa May), le scrutin européen de 2019 pourrait donc prendre la forme d’un référendum déguisé. Sur les 73 sièges de députés britanniques à pourvoir au Parlement de Strasbourg, on pourrait alors voir surgir une majorité d’élus » remainers » (anti-Brexit) ou, à l’inverse, de » brexiters » ; dans les deux cas, le peuple britannique pourrait par ce biais se prononcer une deuxième fois sur le Brexit – et trancher le débat.
A l’échelon européen, pour parvenir à ce énième arrangement avec Londres, il a fallu passer par un bras de fer entre Paris et Berlin qui a montré cette fois un président français étrangement isolé. Pour l’essentiel, l’Allemagne, soutenue par de nombreux pays européens, considère que l’intérêt primordial de l’Union est avant tout d’éviter un no deal au motif qu’il serait ravageur. Nul doute que le raisonnement économique pèse de tout son poids ; les entreprises d’outre-Rhin sont celles qui auraient le plus à perdre dans un no deal, alors que la France, dont la production automobile est désormais inférieure à celle du Royaume-Uni, subirait moins de pertes. Mais on aurait tort de surpondérer ce facteur, car il en va aussi de l’avenir politique de l’Union.
Emmanuel Macron, lui, n’a pas exclu la possibilité d’un no deal en déclarant que la France était le pays » le plus prêt » à gérer les conséquences d’un Brexit sans accord. Il s’agit certes d’un positionnement tactique, distinct et complémentaire, pour faire pression sur Londres, mais aussi d’un projet politique déterminant pour le propre avenir de Macron – non seulement continental, mais surtout national. A Berlin, on souligne que Macron a réussi à se placer en tête de la liste aux européennes sans figurer sur celle de son parti, La République en marche (LREM). Pour preuve, le président français a publié, début mars dernier, une lettre aux citoyens européens, diffusée dans 28 pays et intitulée » Pour une renaissance européenne « . Or, la liste de LREM aux européennes a également pour slogan les termes de » Renaissance européenne » ; sur le site de LREM, l’essentiel du programme du mouvement est résumé par la » lettre aux Européens » ; et, à Bruxelles, face à Theresa May et Angela Merkel, Macron a pu dernièrement agacer en reparlant de cette même » renaissance » qu’il veut incarner personnellement. Une insistance qu’aussi bien l’entourage d’Angela Merkel que ceux d’autres chefs de gouvernement ont considérée comme un choix de politique intérieure imposé par Paris à ses partenaires de l’Union. Cette fois, Emmanuel Macron a touché du doigt les limites de son pouvoir européen.
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