Le bras de fer s’intensifie entre l’UE et la Russie autour des importations de gaz et de pétrole
Gazprom – entreprise de gaz russe – a annoncé suspendre les livraisons à deux Etats membres de l’Union européenne : la Bulgarie et la Pologne. Un mouvement fort réalisé par le Kremlin dans un jeu d’échec tendu avec l’UE. Cette dernière, qui cherche à se débarasser de sa dépendance à l’énergie russe, pourrait être forcée de le faire plus tôt qu’elle ne le voudrait.
S’il est commode de dire que l’argent est le nerf de la guerre, celle qui a lieu actuellement en Ukraine a plutôt comme grand enjeu l’énergie. Les livraisons de gaz et de pétrole depuis la Russie vers les Etats membres de l’Union européenne sont devenues en quelques semaines le coeur du conflit entre les deux grandes puissances, histoire d’éviter l’affrontement militaire.
Entre menace d’embargo pour l’un et arrêt des livraisons pour l’autre, l’UE et la Russie jouent actuellement un jeu dans lequel il est difficile d’identifier le gagnant. Car les deux camps prennent des risques, et ils se pourraient qu’il n’y ait que des perdants à la fin.
Une ligne rouge difficile à tracer pour les européens
C’est l’Union européenne qui s’est, à travers les fameux paquets de sanctions, d’abord attaqué au portefeuille russe. Des trains de sanctions individuelles, économiques et diplomatiques ont été mises en place, et n’ont cessé de s’élargir. Mais concernant l’énergie, seules les importations de charbon ont subi une interdiction. Un « risque » calculé pour les leaders européens, puisque le combustible russe ne représente que 19% du stock de l’Union (chiffre Eurostat pour l’année 2020).
Les leaders européens s’écharpent actuellement sur la constitution du sixième paquet de sanctions. Alors qu’il devait être présenté cette semaine, Josep Borrell, Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, a déclaré que la décision finale pourrait n’être finalement prise que lors du prochain sommet européen prévu fin mai.
Il faut dire que pour certains pays membres, la situation est compliquée. Ainsi, selon Eurostat, pour l’année 2020, la Bulgarie est dépendante du gaz russe à hauteur de 73%, la République Tchèque 86%, et plusieurs pays dépassent également les 50%, comme le Danemark, l’Allemagne ou encore l’Autriche.
Sur le total énergétique (gaz, pétrole et charbon), les Allemands sont dépendants de la Russie à hauteur de 31%, la Pologne de 35%, la Grèce de 46% et les Pays-Bas de 49%. En ce qui concerne la Belgique, elle est dépendante à 24% de l’énergie russe, et 46% en ce qui concerne le pétrole à lui seul.
Les lignes bougent néanmoins, puisque le vice-chancelier Allemand, Robert Habeck, s’est dit mardi « très, très proche » de pouvoir se passer entièrement du pétrole russe, alors en déplacement à Varsovie. Il a ajouté que son pays devait se « libérer rapidement de l’emprise des importations russes« . Malgré tout, un embargo total semble peu probable à ce stade. L’UE devrait sans doute opter pour des sanctions plus « douces« , comme des droits de douane, un plafond d’importation ou encore un contrôle des paiements. A moins que la Russie en décide autrement.
La Russie prête à mettre la pression sur l’UE
C’est un sujet dont les médias ont beaucoup parlé ces dernières heures : Gazprom – entreprise de gaz russe – a annoncé suspendre ses livraisons vers deux pays membres : la Bulgarie et la Pologne. Ces deux pays, très dépendants du gaz russe, ont été les auteurs « d’actes hostiles inédits » contre la Russie, a justifié le Kremlin, en refusant notamment de payer en roubles.
En réponse à cette décision, l’UE s’est dit « préparée« . La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a déclaré que « l’annonce de Gazprom est une nouvelle tentative de la Russie de nous faire du chantage au gaz. Nous sommes préparés à ce scénario. Nous élaborons notre réponse européenne coordonnée. Les Européens peuvent être sûrs que nous sommes unis et solidaires avec les Etats membres touchés. » Mais l’UE l’est-elle vraiment ?
Il est vrai que la Commission européenne a présenté le 8 mars dernier un plan intitulé « REPowerEU » – rénover, refaire le plein d’énergie de l’UE – pour une énergie européenne « plus abordable, plus sûre et plus durable« . L’objectif est de rendre l’Europe indépendante des combustibles fossiles russes avant 2030 et de réduire la demande de l’UE en gaz russe de deux tiers avant la fin de l’année. Comment ? En diversifiant l’approvisionnement en gaz, importé de fournisseurs non russes ; en augmentant les volumes de production et d’importations de biométhane et d’hydrogène ; et en ayant davantage recours aux énergies renouvelables et à l’électrification.
Mais 102 députés du Parlement européen, à travers une lettre adressée à Ursula von der Leyen, ont récemment dénoncé la politique caduc de l’Union européenne, qui d’un côté veut réduire sa consommation de gaz russe, mais qui, de l’autre, continue de l’inclure dans ses politiques énergétiques. Difficile donc de savoir réellement si l’UE est en capacité de se passer de l’énergie russe. Mais la Russie est-elle prête à se séparer de ses « meilleurs clients » ?
Selon l’IEA, l’Agence internationale de l’énergie, la Russie dépend fortement des revenus du pétrole et du gaz naturel, qui représentaient 45 % du budget fédéral russe en 2021. Le pays est l’un des trois premiers producteurs de pétrole brut au monde. En 2021, la production russe de pétrole a atteint 10,5 millions de barils par jour (bpj), soit 14 % de l’offre mondiale totale. Les pays européens rassemblés sont les plus grands importateurs de brut russe, avec 2,4 millions de bpj.
La Russie est également le deuxième plus grand producteur de gaz naturel au monde, derrière les États-Unis ; possède les plus grandes réserves de gaz au monde ; et est le premier exportateur de gaz au monde. En 2021, toujours selon l’IEA, la Russie a produit 762 milliards de mètres cubes de gaz naturel. Ce dernier représentait 45 % des importations et près de 40 % de la demande de gaz de l’Union européenne.
Qui craquera le premier ? C’est un peu la question qui se pose actuellement. Si l’UE se prépare à faire sans l’énergie russe, cela risque de prendre du temps. Et Poutine pourrait continuer à se servir de cette dépendance d’ici là. Une question de timing, qui impactera le futur de la guerre l’Ukraine.
Aurore Dessaigne
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