Franklin Dehousse
L’Afghanistan, défaite de l’Europe (chronique)
Rien de plus tragi-comique que les réactions européennes à la chute de Kaboul. « Une défaite complète des Etats-Unis. » « On ne nous a pas consultés. » Pour certains même, « la fin de l’Otan » (encore!). Les images dramatiques offrent un parfait alibi à des formules creuses, qui masquent nos sottises habituelles.
D’abord, l’intervention afghane ne constitue pas un monopole américain. Quarante nations y ont participé, la plupart européennes. On entend peu commenter la nature européenne de cette défaite. Ensuite, la coopération américaine dans le retrait a certes été faible. Néanmoins, les Européens peuvent difficilement plaider la surprise. Le président Trump a conclu un accord sur le retrait avec les talibans le 29 février 2020. Le président Biden l’a toujours soutenu. Comment les Européens ne sont-ils pas prêts après dix-huit mois? Voilà la vraie question. Par ailleurs, la coopération entre eux semble tout aussi déficiente que celle avec les Américains.
Il faut revenir à 2001, origine de cette intervention. La base juridique invoquée, à savoir la résolution 1368 de l’ONU, très générale, ne prévoyait en rien une invasion de l’Afghanistan. De plus, l’Otan couvre comme son nom l’indique la zone atlantique. Or, l’Afghanistan ne s’y trouve guère. Pourtant, tous les pays européens ont soutenu cette invasion américaine avec exaltation. Ils n’ont pas posé de questions gênantes, comme: « N’y a-t-il pas des solutions alternatives moins dangereuses? », « Comment cette occupation va-t-elle être menée? » ou « Combien de temps resterons-nous? ». Le président Bush se prenait alors pour un John Wayne de pacotille organisant un « posse », et nous l’avons tous encouragé avec allégresse.
On cru0026#xE9;e l’Europe militaire par des actions communes sur des terrains difficiles.
Une fois le pays occupé, la mission est passée de « détruire Al-Qaeda » à « établir une démocratie stable ». Comme d’habitude, cette mutation essentielle n’a pas été vraiment analysée ou débattue entre pays européens. Or, elle constituait une ambition beaucoup plus grande (et moins légitime), dans un pays notoirement difficile à occuper. En outre, de Cuba à l’Irak en passant par le Vietnam, les Etats-Unis ont toujours fait preuve d’une incompétence abyssale dans ce type de mission.
L’administration Bush l’a confirmé avec éclat. Elle a inondé l’Afghanistan de dollars, déversé nombre de bombes et de drones, et créé un gouvernement central à sa botte. La corruption est devenue énorme, le fossé entre villes et campagnes criant. Encore une fois, jamais les Européens n’ont effectué une démarche coordonnée pour corriger cette stratégie viciée, poursuivie sous Obama et Trump. On notera en passant la pauvreté mentale de l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne sur ce dossier (aucun rapport depuis 2017). En Europe, plus nous avons de bureaucraties, moins nous sommes éclairés. Plus nous avons de représentants, plus mal nous sommes représentés.
Certes, le chaos actuel constitue la première faute majeure de l’administration Biden. Elle ne doit toutefois pas masquer la nôtre, tout aussi grande. Contrairement aux illusions de nos dirigeants, on ne crée pas l’Europe militaire en célébrant entre soi la multiplication des comités de défense avec champagne et petits fours. On le fait par des actions communes sur des terrains difficiles. Cette Europe-là n’existait pas en 2001 ; elle n’existe toujours pas maintenant. l’Afghanistan prouve juste encore une fois cette impuissance, et son coût.
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