Keir Starmer
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Royaume-Uni: la supermajorité du Labour, un avantage mais aussi un dilemme

Les travaillistes se sont réjouis de leur très large victoire au Royaume-Uni. Mais leur supermajorité pourrait se transformer à terme en cadeau empoisonné.

Les travaillistes ont obtenu vendredi une supermajorité aux élections législatives britanniques, qui leur offrira une grande latitude pour gouverner ces cinq prochaines années. Mais cela place aussi sur leurs épaules de lourdes attentes de la part de Britanniques avides de changement.

Les réels bienfaits d’une supermajorité

Dans les jours précédant le vote, les conservateurs en déroute avaient exhorté les électeurs à ne pas donner un «chèque en blanc» ou une «supermajorité» à Keir Starmer, mais son parti travailliste de centre-gauche l’a emporté avec 412 des 650 sièges à la Chambre des Communes, traduisant la frustration des électeurs envers les conservateurs qui ont obtenu leur pire résultat en plus d’un siècle.

Ce résultat apporte de la «clarté» et devrait permettre au Labour «de mettre en œuvre son programme sans entraves» majeures, estime Tony McNulty, maître de conférences à l’Université Queen Mary de Londres et ancien ministre du Travail dans le gouvernement de Tony Blair.

Cette victoire écrasante donne également au parti travailliste «un beau réservoir de talents» dans lequel piocher pour son nouveau gouvernement, a indiqué l’ancien député à l’AFP.

Mais selon Vernon Bogdanor, professeur au King’s College de Londres et éminent constitutionnaliste, le fait que la majorité soit de 30 ou 200 sièges ne change rien à la capacité du gouvernement de «faire plus ou moins ce qu’il veut», contrairement à d’autres pays comme les Etats-Unis où l’existence d’une majorité forte facilite l’exercice du pouvoir.

Election «punitive»

Cette position de force, favorisée par le système de vote à la majorité simple à un tour au Royaume-Uni, dissimule en réalité l’image d’un pays fracturé, où ont progressé les petits partis nationaux, libéraux-démocrates (centristes), Reform UK (anti-immigration et anti-système) et Verts.

Les travaillistes ont en effet engrangé moins de voix que lors de leur défaite écrasante de 2019, en dépit du nombre de sièges gagnés.

A l’arrivée, seul un électeur sur trois a choisi le parti travailliste, et Keir Starmer entre à Downing Street avec une cote de popularité particulièrement faible pour un nouveau Premier ministre.

«C’est une élection punitive: les gens ont voulu sanctionner les conservateurs», affirme Vernon Bogdanor, et les Britanniques auront très vite de «grandes attentes sur l’amélioration du service public de santé (NHS) et d’autres services publics».

Tout cela prendra du temps, affirme le constitutionnaliste, et vu la «situation financière désastreuse» du pays, des hausses d’impôts semblent inévitables, contrairement aux promesses de campagne des travaillistes.

Nombreux «dilemmes»

«De nombreuses améliorations doivent être apportées aux services publics: dans le domaine de l’environnement, avec l’assainissement des rivières et des mers, du logement, des écoles… Ce qui va poser des dilemmes au nouveau gouvernement», souligne-t-il. «Il risque d’y avoir une désillusion assez rapide, et ce sont les électeurs de gauche qui risquent, en particulier, de s’en prendre au gouvernement».

Tony McNulty estime que les Britanniques accorderont le bénéfice du doute au gouvernement «dans un premier temps», mais qu’il est difficile de savoir «combien de temps» l’état de grâce durera. Keir Starmer devrait donc se concentrer, selon lui, sur des sujets consensuels au sein de son parti et populaires auprès des électeurs, comme la suppression du plafond des allocations familiales au delà de deux enfants.

A l’inverse, d’autres sujets ont un haut potentiel inflammable à l’image du conflit à Gaza ou l’immigration, sur lesquels le Labour de Keir Starmer est jugé trop proche des conservateurs et éloigné des positions historiques de gauche des travaillistes.

Une large majorité avec des positions divergentes peut également favoriser une fronde de députés en interne, plus libres de se rebeller sans mettre le gouvernement en déroute. «Souvent, avec une large majorité, les possibilités de désaffection sont plus grandes, et il n’est donc pas toujours bon de remporter une victoire écrasante», ajoute M. Bogdanor.

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