L’ Allemagne veut renforcer sa protection civile : la vente de bunkers explosent
L’Etat gèle la vente des bunkers de la guerre froide. Les sociétés spécialisées dans les nouvelles constructions sont très sollicitées. Guerre en Ukraine aidant, les Allemands prennent conscience de leurs propres vulnérabilités.
Avec la fin de la guerre froide, la République fédérale allemande s’était défaite de son réseau de bunkers et de sirènes d’alerte. Une grille discrète cachée dans la façade d’un anonyme petit cube de béton au bord de la rue, une volée de marches s’engouffrant dans le sol, le grondement étouffé du métro, le claquement d’une porte blindée, et puis le silence… Voilà à quoi aurait ressemblé la fuite des Allemands en cas d’alerte, au temps des tensions entre l’Est et l’Ouest.
A huit mètres sous terre, le bunker de la Brunnenstrasse, dans le quartier de Wedding, au nord de Berlin, est aujourd’hui un musée consacré à la guerre froide. Un labyrinthe de béton mène à un dédale de pièces dont certaines sont encore équipées des lits superposés qui auraient offert un refuge aux habitants du quartier. En cas de danger, le bunker de la Brunnenstrasse pouvait abriter jusqu’à deux mille Berlinois. Trois bunkers de ce type existent toujours dans la capitale allemande.
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Plus de sirènes d’alarme
Les autres, héritage de la Seconde Guerre mondiale, ont été vendus, transformés en lofts branchés, en hôtels à toiture verte, en entrepôts, galeries, discothèques ou tout simplement rasés. Comme partout ailleurs dans le pays. «Avant le gel de ce type d’équipements, décidé par le gouvernement en 2007, on comptait vingt-trois bunkers à Berlin», rappelle Sascha Keil, un officier de réserve qui travaille pour l’association Berliner Unterwelten, qui organise les visites du site. «Mais à aucun moment après la Seconde Guerre mondiale, nous n’avons eu de quoi abriter plus de 1% de la population. Aujourd’hui, il ne reste que trois bunkers dans Berlin, et quelques milliers de places pour une population de plus de trois millions d’habitants.»
Construire un bunker qui tienne face aux menaces modernes de guerre chimique ou nucléaire serait possible. Mais les armes ont toujours une longueur d’avance.
En 2007, le gouvernement Merkel avait décidé de se débarrasser de ces encombrantes et coûteuses reliques. L’ entretien des deux mille bunkers encore aux mains de l’Etat coûtait alors deux millions d’euros par an aux contribuables. Du côté des sirènes d’alarme, le bilan n’ est guère différent. Partout dans le pays, elles ont été démontées – comme à Berlin – ou ne fonctionnent plus. Et les tentatives de mettre sur pied un système d’alerte par les téléphones portables se heurtent vite à des limites en cas de plantage du réseau ou de panne d’électricité, comme l’a montré l’épisode dramatique des crues meurtrières de l’été dernier, en Rhénanie-Palatinat.
Des stocks de nourriture
Avec l’invasion de l’Ukraine, l’heure est à l’état des lieux en Allemagne. «La protection civile doit devenir hautement prioritaire», décrétait en mars la ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser, qui assurait vouloir «réactiver» les bunkers du pays. Dans un premier temps, le gouvernement a débloqué nonante millions d’euros, pour soutenir l’installation de quelque cinq mille sirènes. Il a gelé la vente des quelques bunkers encore au catalogue de l’ Agence fédérale pour les affaires immobilières Bima, chargée de l’avenir des biens immobiliers appartenant à l’Etat (204 bunkers ont été vendus entre 2012 et 2022. Prix: de vingt mille euros à quatre millions d’euros), et il a recommandé aux habitants de constituer des stocks de nourriture, au cas où.
Sur le site des services de protection civile BBK, un spot publicitaire tente d’inciter les Allemands à se préparer en cas d’urgence. Fin mai, seuls 8% d’entre eux se disaient prêts à affronter une situation critique. Interrogés dans la rue, les Berlinois avouent «n’avoir jamais eu – avant l’invasion de l’Ukraine – à envisager de devoir fuir ou se cacher». Une femme explique qu’en cas de tension accrue avec la Russie, elle irait se réfugier «chez des amis, au Canada». Une autre évoque «d’autres soucis pour le moment, à cause d’un déménagement». Mais tous ne sont pas si insouciants.
La société BSSD, à Berlin, installe chaque année plus d’une centaine de bunkers privés, chez des particuliers fortunés. Le modèle de base, en plaques d’acier vissées, coûte 11 000 euros. Un bunker antinucléaire, installé sous terre et équipé en eau et électricité, coûte au bas mot 55 000 euros. «Avant le déclenchement de la guerre, on avait entre cent et trois cents clics par jour sur notre page Internet, indique Mark Schmiechen, le porte-parole de la société. Dès le 25 février, on a commencé à compter plus de dix mille clics quotidiens. On a même dû installer une hotline de six personnes! On avait tout simplement l’impression d’être le service de détresse de la nation!»
La Suisse en exemple
Dans le bunker de la Brunnenstrasse, une affiche datant de la guerre froide dresse, carte à l’appui, le bilan potentiel d’une attaque nucléaire sur Berlin. A douze kilomètres de l’épicentre de la catastrophe, assure l’affiche, le bilan serait de 50% de morts et de 45% de blessés hautement irradiés. Berlin, située à une minute vingt des ogives nucléaires russes selon de récentes estimations de la télévision publique russe, n’a «d’autre choix que d’éviter à tout prix un dérapage du conflit», juge Sascha Keil.
Cela expliquerait en partie les hésitations du gouvernement allemand à livrer des armes lourdes à l’Ukraine… «Toute protection n’est que théorique, poursuit l’officier de réserve. Construire un bunker qui tienne face aux menaces modernes de guerre chimique ou nucléaire serait peut-être techniquement possible. Mais les armes ont toujours une longueur d’avance. Le développement des techniques d’armement est trop rapide et les délais de construction des infrastructures sont trop lents en regard. L’ Allemagne ne pourra jamais rattraper son retard par rapport à un pays comme la Suisse.»
La Confédération helvétique est, en effet, l’un des rares pays au monde à offrir un abri à plus de 100% de sa population. En Suède, 80% des habitants pourraient se réfugier dans des abris. Les plus angoissés parmi les Allemands n’ont donc d’autre solution que de s’en remettre aux recommandations officielles de la sécurité civile: mettre de côté de quoi tenir plusieurs jours avec onze litres d’eau par personne, des conserves et une bonne vieille radio à piles. Là aussi, la ministre de l’Intérieur a promis de réactualiser les recommandations officielles en matière de sécurité.
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