« Jamais Marine Le Pen n’a été aussi dédiabolisée »
« Normalisation » du Rassemblement national, rapprochement avec les électeurs de la droite classique, détestation d’Emmanuel Macron sont les trois « conditions » d’une élection de Marine Le Pen, selon la Fondation Jean Jaurès. Le directeur de son observatoire de l’opinion, Antoine Bristielle, en détaille les modalités.
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Comment se traduit la dédiabolisation du Rassemblement national?
Jamais Marine Le Pen et le Rassemblement national n’ont été aussi dédiabolisés qu’ils ne le sont aujourd’hui. La situation n’a absolument rien à voir avec celle de 2016, à un an de la présidentielle de 2017. On l’observe à deux niveaux. Quand on demande aux Français leur opinion sur Marine Le Pen, on constate que le pourcentage de personnes ayant une « très mauvaise opinion » d’elle a chuté depuis deux ans. En mars 2019, il était de 50%. Il n’est plus aujourd’hui que de 34%. La baisse est significative. Ensuite, lorsque l’on questionne les Français sur leur rapport au Rassemblement national (est-il un danger pour la démocratie? développe-t-il des valeurs xénophobes? est-il d’extrême droite? fait-il peur? etc.) et que l’on compile toutes ces données, on obtient un « indicateur de dédiabolisation ». Et qu’observe-t-on? Cet indicateur n’a jamais été à un niveau aussi bas. Le Rassemblement national et Marine Le Pen sont donc dans une situation de dédiabolisation qui n’a jamais existé auparavant.
Cette dédiabolisation perçue est-elle le résultat direct de la stratégie de Marine Le Pen?
Les motifs de diabolisation existaient encore au moment des premières années de Marine Le Pen à la tête du Rassemblement national. Sous le quinquennat de François Hollande, par exemple, des membres importants du RN comparaient la ministre de la Justice Christiane Taubira à un singe, faisaient le salut nazi ou s’affichaient comme antisémites. Marine Le Pen a essayé de supprimer cette dimension du Rassemblement ex-Front national. Elle a aussi mis en place une stratégie d’assouplissement de son programme sur les aspects culturels et sur les questions de l’Union européenne et de l’euro, qui ont beaucoup fait peur aux Français. Sa démarche se rapproche de celle, en Italie, de Matteo Salvini, le leader de la Ligue, qui, il y a encore quelque temps, développait une position très critique des institutions européennes et qui, maintenant, s’inscrit bien davatage dans une logique de conciliation avec l’Union.
Deuxième condition pour une élection de Marine Le Pen en 2022, c’est le rapprochement entre les idées de la droite républicaine et les idées de l’extrême droite. Comment se traduit-il?
Il faut repartir de 2002. A l’époque, le second tour de l’élection présidentielle oppose Jacques Chirac, candidat de la droite républicaine, à Jean-Marie Le Pen. La volonté est alors claire de dresser un cordon sanitaire autour du Front national. On ne pactise pas avec lui. On ne le traite pas comme s’il s’agissait d’un parti comme un autre. Mais petit à petit, la position de la droite classique sur cette question s’est fortement amendée. Lors du second tour de l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy, candidat à l’époque de l’UMP, déclare que le Front national est compatible avec les valeurs de la République. En 2015, lors d’élections régionales, l’UMP adopte la stratégie du « ni ni » quand, au second tour, ce sont des candidats du Parti socialiste et du Rassemblement national qui s’affrontent. Dans les programmes de la droite classique, on observe aussi un rapprochement avec le RN. Il se constate notamment dans ses positions très dures, proches de celles de l’extrême droite, sur la « loi séparatisme ». Une convergence entre les électorats s’est aussi opérée, surtout sur les questions culturelles (le rapport à l’immigration, à l’autoritarisme avec la volonté d’avoir un vrai chef à la tête de l’Etat, la restauration de la peine de mort…), et beaucoup moins sur les questions économiques.
La détestation d’Emmanuel Macron, troisième dimension du « risque Le Pen », se traduit notamment par le fait que 28% des électeurs de La France insoumise voteraient pour Marine Le Pen au deuxième tour alors qu’un sondage entre les deux rounds de l’élection de 2017 indiquait qu’aucun ne le ferait. Est-ce un vrai danger?
Une partie de l’électorat de gauche dit aujourd’hui qu’il pourrait en effet voter pour Marine Le Pen. Cela se manifeste beaucoup plus au sein de l’électorat de La France insoumise que dans ceux du Parti socialiste ou d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Néanmoins, ce n’est peut-être pas le point le plus important. Le comportement qui risquerait d’être majoritaire, c’est l’abstention. Il y a toujours une détestation du Rassemblement national au sein de la gauche, y compris à La France insoumise.
La dédiabolisation du Rassemblement national peut-elle être assimilée au cheminement de l’Alliance nationale en Italie, passée de l’extrême droite à la droite classique, ou relève-t-elle plutôt d’une stratégie électoraliste?
Le Rassemblement national est toujours un parti d’extrême droite. Il est vrai que certains éléments pourraient laisser croire à une vraie dédiabolisation. Mais c’est surtout une stratégie de la part de Marine Le Pen. Elle veut montrer qu’elle ne fait plus peur. Il est donc essentiel de rappeler que le RN est une formation d’extrême droite et de ne pas céder à la facilité qui consisterait à dire que c’est un parti comme les autres. Il y a une bataille culturelle, idéologique, à mener. Or, elle n’est plus trop menée, ni par les partis de gauche ni par certains médias. Le positionnement de pas mal de ces derniers suit une véritable droitisation. Ce sera forcément un point d’appui extrêmement profitable pour Marine Le Pen dans la perspective de 2022.
L’étude « 2022, évaluation du risque Le Pen » est consultable sur le site de la Fondation Jean Jaurès.
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