Quatorze morts et d’importants dégâts: l’Italie est sous le choc des inondations en Emilie-Romagne. © getty images

Italie: le «syndrome des élus locaux», en cause dans les inondations ?

Silvia Benedetti Correspondance en Italie

Le bilan des intempéries mortelles en Emilie-Romagne, dans le nord-est de l’Italie, pose question. Certains pointent les chantiers publics à rentabilité politique immédiate.

L’Italie submergée par les inondations. « Romagne à moi, Romagne en fleur, tu es l’étoile, tu es l’amour… ». En Italie, des dizaines d’habitants et de bénévoles essaient de dégager les rues de la petite ville de Forlì, submergée par l’eau et la boue, en chantant en chœur une vieille chanson des années 1950. Parmi eux, un jeune homme dans une chaise roulante, muni d’une pelle, tente de donner un coup de main. L’Emilie-Romagne, l’une des régions les plus riches et fertiles de la Péninsule, est aujourd’hui à genoux, défigurée après quasi une semaine de pluies torrentielles.

De leurs hélicoptères, les secouristes accourus de tout le pays sont confrontés à un territoire ravagé par la violence des inondations et des impétueux torrents de boue qui, depuis la mi-mai, ont englouti terrains cultivés, plages et jusqu’à une centaine de communes dans toute la partie centrale de l’Italie.

Précipitations exceptionnelles

La raison de cette catastrophe environnementale inédite est à chercher dans les exceptionnelles précipitations qui ont frappé tout le territoire régional: dans certaines parties de l’Emilie-Romagne, 300 millimètres de pluie sont tombés en 36 heures seulement, soit jusqu’à un tiers des précipitations annuelles.

Or, les experts sont formels: n’importe quel système d’infrastructures se serait effondré face à des pluies aussi intenses et prolongées. Un constat amer qui se double d’une autre certitude: les changements climatiques en cours ouvriront la porte à d’autres dangereuses successions de périodes de sécheresse et d’épisodes pluvieux violents.

Inondations en Italie: les experts inquiets

S’insurgeant contre «l’analphabétisme scientifique» ambiant, Giulio Boccaletti, l’un des principaux experts mondiaux en sécurité environnementale et ressources naturelles, chercheur honoraire de la Smith School de l’université d’Oxford, exprime son inquiétude dans les médias italiens face à ceux qui, malgré ces inondations, déclarent qu’il «n’y a point de changement climatique» et qui affirment même que, grâce aux dernières pluies, «la sécheresse a enfin été vaincue». Or, sécheresses extrêmes et fortes inondations ne sont que les deux faces de la même médaille: une nature aux équilibres de plus en plus précaires et aux manifestations désormais imprévisibles.

L’Italie, comme bien d’autres pays, vient d’en payer le prix. Un dernier bilan, établi le 24 mai, fait état de quinze personnes décédées dans l’écroulement ou la submersion de leur maison. Presque 37 000 habitants ont été évacués, une vingtaine de fleuves ont débordé, 305 glissements de terrain ont bouleversé les campagnes et les espaces urbains, 630 routes sont devenues impraticables et le réseau ferroviaire régional a été longtemps perturbé, voire paralysé.

Giorgia Meloni sur place

Une situation aux contours tragiques qui a contraint la présidente du Conseil, Giorgia Meloni, à rentrer précipitamment du sommet du G7, auquel elle participait au Japon. «Ma conscience m’impose de rentrer», a-t-elle déclaré. Elle s’est alors immédiatement rendue en Emilie-Romagne pour s’entretenir avec la population locale et constater l’étendue des dégâts.

Mais alors que les sapeurs-pompiers sont encore contraints d’inonder délibérément des terrains cultivés, miraculeusement épargnés par la furie des précipitations, afin de baisser la pression générale des cours d’eau, détourner les torrents de boue et préserver ainsi les centres habités limitrophes, le coût des opérations de rétablissement et de reconstruction reste inconnu. «Il est encore trop tôt pour estimer précisément les pertes et les dégâts», a lancé, le 21 mai, depuis Bologne, le ministre des Infrastructures, Matteo Salvini, alors que la région sollicite déjà au moins un milliard d’euros d’aides diverses.

Quel rapport au territoire ?

Si la nature et l’ampleur des efforts à venir restent à déterminer, le poids des responsabilités politiques passées ayant contribué à la gravité des récentes inondations, lui, commence déjà à faire débat. «Nous allons trouver les financements nécessaires pour la reconstruction. Nous devons néanmoins avant tout vérifier que les fonds octroyés aux institutions locales, au cours des dernières décennies, pour lutter contre la dégradation hydrogéologique, ont bien été utilisés», a déclaré Nello Musumeci, ministre de la Protection civile et des Politiques maritimes. Et de déplorer: «C’est la culture de la préservation du territoire qui a cruellement fait défaut ; ce territoire a trop longtemps été perçu comme une entité à exploiter.»

« C’est la culture de la préservation du territoire qui a cruellement fait défaut. »

Italie: avec ces inondations, la nature donne une leçon

La nature vient ainsi de donner une leçon que les autorités de la péninsule italienne sont, cette fois, invitées à retenir de toute urgence. Comme l’a rappelé le ministre Nello Musumeci, les procédures d’autorisation des grands travaux devront être considérablement simplifiées, le niveau de sécurité hydrique devra être rétabli, en Emilie-Romagne comme dans le reste du pays, par la construction de nouvelles infrastructures hydrauliques et de stockage de l’eau ainsi que par le renforcement des berges des fleuves et des digues. De même, un réaménagement intelligent du territoire devra être planifié par le biais d’une meilleure gestion des sols et la réhabilitation des paysages forestiers comme des terres dégradées.

Le « syndrome des élus locaux »

Des stratégies coûteuses et de longue haleine qui subissent la malédiction de ce qui est parfois désigné en Italie comme «le syndrome des élus locaux»: ces derniers seraient davantage portés à privilégier des travaux publics à la rentabilité politique immédiate plutôt que la mise en place de programmes structurels complexes, conçus pour atténuer, à long terme, les effets des changements climatiques. «En Italie, nous dépensons plus facilement pour réparer des dégâts déjà survenus que pour la mise en sécurité préventive d’un territoire. Or, il faut impérativement mettre sur pied un plan stratégique national pour faire face aux graves évolutions climatiques en cours», a admis le président de la région Emilie-Romagne, Stefano Bonaccini.

Lire plus de:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire