Les réfugiés transférés en Albanie embarquent pour l’Italie le 19 octobre après la décision de la justice invalidant la décision du gouvernement. © GETTY IMAGES

Giorgia Meloni tente de « reprendre le contrôle des frontières »: pourquoi son projet est scruté par la justice

Silvia Benedetti Correspondance en Italie

La Première ministre italienne tente de «reprendre le contrôle des frontières». Mais son projet de délocalisation de l’examen des demandes d’asile en Albanie est scruté par la justice.

Le gouvernement de Giorgia Meloni est né sur la promesse formelle d’une reprise de contrôle des frontières nationales. En 2022, pendant la campagne électorale qui a précédé sa fulgurante accession au pouvoir, l’égérie de la droite radicale italienne s’était même engagée à mettre en place un blocus naval afin de contenir les arrivées de migrants avec la coopération des autres Etats membres de l’Union européenne. Une fois arrivée au palais Chigi, la présidente du Conseil s’est toutefois rendu compte que la réalité migratoire était un enjeu délicat et complexe, impossible à régler par de simples slogans électoraux, et qu’elle restait isolée à l’époque au sein de la grande famille européenne, avec ses élans souverainistes et ses ambitions de fermeture.

Baisse des arrivées

Comment a-t-elle donc réussi, en seulement deux ans à la tête du pouvoir exécutif, à protéger les quelque 7.000 kilomètres de côtes nationales, et transformer l’Italie, avec sa grande réforme de l’immigration, en un modèle qui interpelle, voire séduit d’autres pays européens? «Les arrivées de migrants ont diminué d’environ 63% cette année par rapport à la même période en 2023», s’est récemment réjoui le ministre de l’Intérieur Matteo Piantedosi. Un résultat intimement lié à une sorte de «frénésie» législative et diplomatique de Giorgia Meloni qui, après avoir rouvert le canal de l’immigration légale en attribuant 452.000 visas de travail pour la période 2023-2025, a lancé d’innombrables initiatives pour endiguer les flux irréguliers.

Forte d’une inattendue complicité avec la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, Giorgia Meloni a ainsi conclu une série d’accords avec les pays de départ et de transit, tels que la Tunisie, l’Egypte et la Libye, pour limiter au maximum les départs de migrants. Des ententes qui se sont avérées efficaces mais qui, comme le soulignent les voix critiques, soumettent l’Europe au chantage subtil des nouveaux partenaires, susceptibles de réduire les flux seulement en échange de soutiens financiers. De même, si les arrivées de migrants ont significativement diminué en Italie, elles ne cessent d’augmenter en Grèce et en Espagne, dans une sorte de «transfert» de la pression migratoire vers les pays n’ayant pas négocié les mêmes protocoles de coopération.

Encouragée par ces résultats, Meloni s’est attaquée à l’ultime tabou en matière migratoire: la délocalisation de l’examen des demandes d’asile dans un pays tiers, en l’occurrence l’Albanie voisine. L’objectif est double: alléger la pression sur les centres d’accueil nationaux, souvent submergés, et, surtout, dissuader en amont les départs. Deux centres d’identification et d’expulsion ont ainsi été construits, le premier près du port de Shëngjin, le deuxième dans la petite ville de Gjadër. Les préfabriqués gris flambant neufs, protégés par de hautes grilles métalliques, sont censés accueillir, chaque année, 36.000 migrants secourus ou interceptés en mer. Seules exceptions: les mineurs et les «personnes vulnérables» qui continueront à être reçus en Italie. Leur fonctionnement coûterait, selon les premières estimations, entre 600 et 800 millions d’euros pour cinq ans.

Ils sont devenus opérationnels en accueillant, pour la première fois le 16 octobre, douze migrants interceptés en mer Méditerranée. Mais le 18 octobre, un tribunal invalidait leur rétention du fait de l’impossibilité de reconnaître comme «pays sûr» leur Etat d’origine, en l’occurrence l’Egypte et le Bangladesh. Or, seul les ressortissants de ces «pays sûrs» sont censés pouvoir être détenus dans les centres albanais. «Les Italiens m’ont demandé d’arrêter l’immigration illégale, et je ferai tout mon possible pour tenir cette promesse», a contre-attaqué la Première ministre. Le gouvernement est déjà prêt à adopter un décret-loi pour court-circuiter les décisions des «juges politisés».

«Le décret du gouvernement de Giorgia Meloni constitue un crime de solidarité.»

Lutte contre les passeurs

En parallèle, la présidente du Conseil a déclaré la guerre à son principal ennemi: le réseau des passeurs, responsable, comme elle ne cesse de le répéter, d’une grande partie des décès de migrants en Méditerranée. L’exécutif italien a ainsi significativement alourdi les peines destinées à tout capitaine de bateau engagé dans le transport de migrants irréguliers. Une lutte qui s’accompagne d’une «chasse aux sorcières» frappant aussi les ONG impliquées dans des activités de recherche et de sauvetage en haute mer: assignation de ports de débarquement éloignés de plusieurs milliers de kilomètres des zones où se produisent les naufrages, autorisation de réaliser un seul sauvetage à la fois, amendes extrêmement sévères en cas de violation des nouvelles mesures… Un carcan législatif vigoureusement dénoncé par l’opposition italienne. «Le décret du gouvernement constitue un crime de solidarité», s’est écrié Elly Schlein, secrétaire du Parti démocrate, avant de plaider pour une approche plus flexible et humaine.

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