Comment Silvio Berlusconi a révolutionné la politique: « Il est le précurseur du populisme de droite »
Homme d’affaires, président d’un club de foot et homme politique. Trois casquettes que Silvio Berlusconi posait sur sa tête en fonction de ses intérêts personnels. Des pratiques peu scrupuleuses qui lui ont valu de nombreuses condamnations. Mais ne l’ont pas empêché de placer, en précurseur, le populisme de droite au devant de la scène politique mondiale. Evocation avec Luca Tomini, chercheur au Centre d’Etude de la Vie Politique.
Il Cavaliere est tombé de son cheval, terrassé par des pépins de santé devenus nombreux ces dernières années. Silvio Berlusconi – c’était son surnom – est décédé dans un hôpital à Milan, celui qui l’avait vu naître il y a 86 ans. « Vous ne pouvez pas parler de politique italienne sans évoquer Silvio Berlusconi », précise d’emblée Luca Tomini (ULB), chercheur au Centre d’Etude de la Vie Politique (Cevipol).
Le parcours politique de l’ex-Premier ministre (1994-1995, 2001-2006, 2008-2011) commence par une arrivée fracassante. En 1994, l’Italien déboule dans l’arène tel un taureau lors d’une corrida. « L’Italie est alors traversée par une période de transition, évoque Luca Tomini. Les partis traditionnels, minés par les scandales de corruption, disparaissent du paysage ». Silvio Berlusconi sent le vent tourner et fonde son propre parti, Forza Italia, en à peine deux mois. Le Milanais est déjà largement connu au sein de la Botte, que ce soit dans le milieu des affaires (plus grosse fortune italienne de l’époque), des médias (propriétaire du groupe privé Mediaset) ou du football (président de l’AC Milan).
Le parcours exceptionnel de Silvio Berlusconi
Fort de son expérience multisectorielle, Il Cavaliere effectue des débuts tonitruants en politique, avec une offre innovante et originale. « Il façonne Forza Italia à son image, avec une campagne de communication inspirée du succès de sa chaine de télévision commerciale. À l’époque, c’est extraordinaire que l’homme le plus riche du pays se lance en politique et remporte les élections », confirme Luca Tomini. Pari réussi pour Berlusconi : son parti de droite gagne les législatives de 1994. « Il est l’initiateur d’une coalition de centre-droit assez similaire à l’actuelle (Fratelli d’Italia, la Ligue et Forza Italia, ndlr). Surtout, c’est lui qui brise le cordon sanitaire en permettant le retour du post-fascisme sur le devant de la scène ».
Il est le précurseur du populisme de droite incarné par Donald Trump et Boris Johnson
Luca Tomini, chercheur au Centre d’Etude de la Vie Politique (Cevipol)
Une scène que Berlusconi quitte en 2011, pour se retrancher dans les coulisses de la politique italienne. « Après, il a joué les seconds rôles, explique le politologue. L’âge et la maladie ne lui permettaient plus de s’investir autant. »
Le père fondateur du populisme de droite
Silvio Berlusconi a marqué la politique au fer rouge. Aux quatre coins du globe, Il Cavaliere a laissé une empreinte encore visible aujourd’hui. « Il est le précurseur du populisme de droite incarné par Donald Trump et Boris Johnson, analyse Luca Tomini. Ces trois hommes politiques incarnent la figure du leader charismatique, qui fonctionne bien auprès des électeurs ». Une image qui colle à la peau du Milanais, longtemps plébiscité par la population, élection après élection. Le déclin progressif de l’homme aux multiples casquettes s’est accompagné de la chute de Forza Italia dans les urnes. « Si le parti est toujours présent dans la coalition actuelle, note le chercheur du Cevipol, il est le plus petit de l’Alliance, derrière les formations de Matteo Salvini (Lega) et Giorgia Meloni (Fratelli d’Italia) ». Deux leaders charismatiques, qui, chacun à leur tour, ont remplacé Silvio Berlusconi derrière le pupitre de la droite dure italienne.
La politique de Silvio Berlusconi, marquée par la corruption
La corruption était devenue sa marque de fabrique, affirme Luca Tomini. « Le personnel et le public ont toujours été mélangés chez lui. Son parcours est marqué par la corruption, les scandales judiciaires et les conflits d’intérêt ». A l’époque, ce genre de pratique choque à l’extérieur de la Botte. « Désormais, des leaders politiques comme Boris Johnson et Donald Trump, même condamnés, gardent la confiance de leur électorat ». Et cela dès le départ, d’après le politologue. « Après être monté dans le gouvernement avec son nouveau parti, Berlusconi fait passer des lois pour se protéger de la justice et renforcer son empire médiatique ». Cette mainmise sur la société italienne est réfrénée en 2013, lors de sa condamnation pour fraude fiscale dans l’affaire Mediaset. Il Cavaliere, devenu sénateur, ne peut plus se présenter sur aucune liste pendant 5 ans.
Un petit tour par l’Europe et puis s’en va
Silvio Berlusconi, freiné par cette énième condamnation ? N’y pensez même pas. L’indéboulonnable homme politique italien vit pour la politique. Et rebondit avec un dernier mandat, européen cette fois. Il siège dans le plus gros groupe politique du Parlement, celui du Parti Populaire Européen (PPE). « L’Europe le voit comme un politicien de droite modérée, pro-européen et relais privilégié du PPE sur le sol italien, indique Luca Tomini. Alors qu’à ses débuts, on le considérait comme eurosceptique ». Une évolution importante de son image sur la scène continentale, où il s’est fait déborder sur sa droite par les sulfureux Matteo Salvini et Giorgia Meloni.
Il Cavaliere ne se remettra donc plus jamais en selle. Mais nul doute que son ombre continuera à planer sur une scène politique où les partis populistes ont pris le premier rôle.
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