Guerre en Ukraine: «Les Européens peuvent gagner pas mal d’années de paix»
En affaiblissant l’armée russe, l’Ukraine sert les intérêts européens. Il faut donc continuer à la soutenir militairement, estime Joseph Henrotin, chargé de cours à l’Institut de stratégie comparée de Paris et rédacteur en chef de Défense & sécurité internationale.
Le conflit est-il voué à s’inscrire dans la durée?
Il n’est pas impensable d’envisager que d’ici un à trois mois, l’armée russe ne soit plus qu’une dentelle extrêmement fragile, vulnérable à une série de contre-offensives ukrainiennes. Plus le temps passe, plus le matériel occidental arrive, plus les soldats gagnent en expérience, plus les Ukrainiens se renforcent. Certains disent que la guerre va durer jusqu’à la fin de l’année. Il ne m’étonnerait pas qu’elle soit plus courte. Les Ukrainiens tiennent à leurs objectifs ; les Russes tiennent à leurs objectifs. Ils ont décidé d’y aller à fond. On est vraiment dans une guerre de haute intensité. Du coup, les pertes mutuelles sont telles qu’à un moment donné, un des deux belligérants ne sera plus en état de combattre. L’un sera plus épuisé que l’autre. Et à mon avis, ce sera la Russie.
Les pertes mutuelles sont telles qu’à un moment donné, un des deux belligérants ne sera plus en état de combattre.» Joseph Henrotin, chargé de cours à l’Institut de stratégie comparée de Paris.
Est-ce réellement envisageable?
On considère qu’une force est anéantie à partir du moment où elle a perdu 66% de ses effectifs en hommes et en matériel. Elle perd alors sa cohésion. Or, l’armée russe aurait déjà épuisé un tiers de ses capacités.
Le débat commence à monter parmi les politiques en Europe: faut-il continuer à aider l’armée ukrainienne à tout prix?
Quel est le but de nos armées en Europe? Il est de pouvoir faire face à des perturbateurs. Le principal perturbateur aujourd’hui pour les Européens, c’est la Russie. Les Ukrainiens sont en train de détruire l’armée du principal perturbateur à la paix et à la sécurité en Europe. Les Européens ont donc franchement intérêt, au sens premier du terme, à envoyer un maximum de matériel utile aux Ukrainiens. Certes les Russes chercheront à remonter en puissance. Mais nous aurons gagné pas mal d’années de paix. De manière générale, quand votre adversaire commet une bêtise, il faut surtout faire en sorte qu’il continue à la faire. On est dans cette configuration-là.
Quel impact aura cette guerre?
On assiste à une redéfinition du logiciel des relations internationales, pas seulement dans sa dimension militaire, mais aussi et surtout dans la vision du rapport à la force, du droit international… Le recours à la force n’est plus tabou. Chez les voyous, il ne l’a jamais été. Mais dans les Etats démocratiques, il a souvent été très tabou. Pour négocier, il faut être deux. Si celui qui est en face n’a pas envie de négocier mais de se battre, il n’y a pas trente-six options possibles. Soit on reste à l’écart de la confrontation. Il ne faut pas s’étonner alors de ne plus avoir la main sur sa propre histoire. Soit on rentre dans la mêlée. Il y a plusieurs manières de le faire. Les Etats-Unis communiquent beaucoup trop. Les Etats européens agissent plus habilement, à mon sens. Ils restent sous un seuil de violence. Ils aident l’Ukraine à affaiblir l’armée russe. Ils ne le claironnent pas nécessairement sur tous les toits. Mais malgré tout, leur action produit des effets militaires. Et c’est ainsi qu’on est passé dans un autre monde.
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