Françoise Fabian: Drôle de dame
Une personnalité dévoile ses oeuvres d’art préférées. Celles qui, à ses yeux, n’ont pas de prix. Pourtant, elles en ont un. Elles révèlent aussi des pans inédits de son parcours, de son caractère et de son intimité. Cette semaine : la comédienne Françoise Fabian.
D’ordinaire, une jolie femme ne donne jamais son âge. Et une journaliste bien élevée se fait la complice de cette petite coquetterie. Sauf que voilà, Françoise Fabian a 85 printemps et qu’elle en fait facilement vingt de moins. Et que c’est sans maquillage, et en djellaba bleu céleste, qu’elle vous reçoit chez elle, au centre de Paris. Sur le palier, on y croise une consoeur, lèvres carmin-perfecto noir-baskets blanches, l’uniforme des Parisiennes entre 20 et 40 ans, qui range son enregistreur et salue bas cette grande dame du cinéma.
Car Françoise Fabian est en pleine promo et, en ce mercredi pluvieux, elle a décidé d’enchaîner les interviews. Pas de nouveau rôle, de biopic ou de livre consacré à ses Mémoires mais un album avec plein de chansons ( Tant de choses que j’aime), aventure qu’en soixante ans de carrière, elle n’avait jamais trouvé le temps de faire. Un disque, oui, mais pas avec n’importe qui puisque c’est la crème de la scène française qui le lui a écrit : Vincent Delerm, La Grande Sophie, Nicolas Kerr, Julien Clerc, Charles Aznavour… Pour un peu, on se dirait au bar au soir des Victoires de la musique 2018. Et comme à peu près toutes les jolies choses qui lui sont arrivées dans sa vie, c’est par la rencontre avec un homme, Alex Beaupain, que » la Fabian » se met aujourd’hui à pousser la chansonnette.
Ses nids
En forme olympique, elle fait glisser ses mules de velours du parquet à la cuisine pour préparer un café. Le temps pour nous d’observer cet étrange et magnifique appartement, mi-oriental mi-classique, rempli de chinoiseries, de chaises en léopard et de chandeliers en argent. Sur les murs, des tableaux de toutes sortes : des petites marines, du paysage classique français et un peu d’abstraction, ça et là. Au bout de la pièce, une grande bibliothèque – piquée au centre d’un miroir » oeil de sorcière » – s’organise autour d’ouvrages de littérature ou d’histoire, de récits ou de souvenirs. En face, côté salon, il y a de la rose anglaise et des carafes en cristal sur un plateau d’argent, un petit autel dédié à Marcel Proust aussi, une petite table ronde où on allume des bougies devant le portrait de l’écrivain. Réajustant sa célèbre mèche blanche et écartant ensuite la dizaine de petits coussins brodés et soyeux, Françoise Fabian, née Michèle Cortés de León y Fabianera, s’installe dans son divan. Plutôt un lit d’apparat, qui la rapproche plus de la reine de Saba que d’une actrice en promo posée sur un canapé Ikea.
L’album, elle l’admet, c’est un petit luxe qu’elle s’offre aujourd’hui : » Le dernier rêve que j’avais envie de réaliser. » Une sorte de rendez-vous manqué avec la chanson depuis plus de quarante ans, car, à l’époque, elle avait chanté quelques rengaines de ses amis à la télévision, comme celles de Serge Reggiani, Guy Béart ou Françoise Sagan. Elle avait caressé l’idée de faire un album mais elle a manqué de temps, Gainsbourg refusait de collaborer et puis tout le monde est mort. Alors, maintenant, place aux jeunes : Alex Beaupain lui a proposé d’enregister un album et en a parlé à tous ses copains. » C’est fou quand même que tous ces jeunes aient eu envie de m’écrire ces chansons « , dit-elle de sa voix claire, celle à propos de laquelle François Truffaut lui prédisait qu’on ne l’oublierait pas.
Question oeuvres d’art, l’héroïne de Ma nuit chez Maud reconnaît que c’est tout à fait son truc. D’ailleurs, toute petite déjà, elle avait choisi de construire sa vie sur les arts. La découverte des vestiges romains dans son petit village algérien, les cours de piano enfant, la lecture à l’adolescence et, enfin, le théâtre et le cinéma dès les années 1950, lors de son arrivée à Paris. » Un monde sans art serait complètement vide, ce serait épouvantable « , s’exclame-t-elle en plantant son regard émeraude dans le mien. De tous les arts, c’est la littérature qui la bouleverse le plus. C’est aussi par là que tout a commencé, à Tipaza, en Algérie, où elle est née, d’un papa instituteur d’origine catalane et d’une mère russo-polonaise. » Les livres, c’étaient la vie que j’avais envie d’avoir, celle que je rêvais de vivre et qui était différente de notre quotidien. »
Ses hommes
Se livrant à l’exercice du Renc’art, Françoise Fabian a choisi en premier le Moïse de Michel-Ange, » une des plus belles choses » qu’elle ait jamais vues dans sa vie. Et regardant cette image sur la tablette, son souffle se coupe, ses yeux s’embrument, sa voix se tord. » A chaque fois, c’est pareil, rassure-t-elle : dès que quelque chose est trop beau, je pleure d’émotion ou je m’évanouis, c’est plus fort que moi. » Un magnifique Moïse qu’elle a découvert avec ses parents et auquel elle rend encore visite à chacun de ses déplacements à Rome.
Moïse ou la figure sublimée de l’homme et qui n’est pas sans évoquer tous ceux qui ont traversé sa vie : » Il n’y en a pas eu beaucoup, sourit-elle, mais ils ont tous été importants. » Le premier flirt déjà : un jeune garçon rencontré en Algérie et qui l’emmène pour la première fois au conservatoire. Son père ensuite : il accepte d’envoyer sa fille seule à Paris pour qu’elle poursuive ses cours de théâtre. Jean Meyer, le patron de la Comédie-Française : il la repère sur une terrasse de café alors qu’elle traîne avec ses grands copains, tous débutants à l’époque, Jean Rochefort, Jean-Paul Belmondo, Bruno Cremer et Claude Rich. Et puis, Roger Vadim, qui lui met le pied à l’étrier : » Je suis une de ses créatures mais contrairement aux autres, moi, je n’ai jamais couché avec lui « , explique-t-elle très sérieusement.
Car il y a le réalisateur Jacques Becker, son premier coup de foudre, qui sera son premier mari. » Il m’attendait sur le trottoir de chez Lipp alors que je déjeunais avec un ami. Pendant des semaines, il m’a emmenée partout, souvent chez Montand et Signoret, mais c’était platonique car il voulait être sûr de m’aimer avant de me toucher. Deux mois plus tard, il me demandait en mariage. » Jacques meurt trois ans plus tard et la laisse sans un sou et avec un bébé sur le bras. » Sans doute la période la plus difficile de ma vie. J’ai confié ma fille à ma mère car je dormais sur le canapé du salon de mes amis. Puis, j’ai eu un contrat en Italie, puis un autre et ça a fini par redémarrer. » Et en grand : Louis Malle, Eric Rohmer, Buñuel, Decoin, Delvaux, Demy, Rivette pour le cinéma, avec une aussi belle carrière en parallèle au théâtre. Si elle devait citer un modèle, ce serait assurément Annie Girardot, même quand elle ne faisait que » des comiques « .
Entre tout ça, la rencontre avec Marcel Bozzuffi, son second mari, dont elle confesse, près de trente ans après sa mort, rester encore et toujours folle amoureuse de lui. » Je lui parle tous les jours et on se dispute encore… » Une idylle qui naît trois ans après son veuvage de Jacques sur un plateau de cinéma, un Maigret avec Jean Gabin où Françoise Fabian complimente l’acteur sur sa fossette au menton. Et Bozzuffi de lui répondre en hurlant : » Surtout ne me touchez pas ! Moi, je ne veux pas souffrir et vous, vous êtes un femme qui fait souffrir des hommes « , lâche-t-il en s’enfuyant, l’air de celui qui venait de croiser le diable.
Ses secrets
Françoise Fabian a ensuite élu A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust, son adoré. Une oeuvre magistrale qu’elle a lue plus de dix fois. » Ce qui me plaît tant, c’est son recours à la mémoire involontaire. » Et elle récite l’un des plus beaux passages, celui des clochers de Martinville et de l’odeur des lilas, qui la fait, cet après-midi encore, éclater en sanglots. Elle, sa madeleine restera toujours l’Algérie, un pays dont on ne se remet pas et une enfance passée au bord de la mer entourée de ses cousins.
Mais » je ne peux pas tout vous raconter tout de même, c’est tellement personnel « . Une réflexion qui désarçonne quand on sait qu’elle a toujours assumé publiquement le fait d’avoir subi plusieurs avortements (elle est signataire du » Manifeste des 343 salopes « , le 5 avril 1971, dans Le Nouvel Observateur, en faveur de l’interruption volontaire de grossesse) ou de s’être réveillée à trente ans à peine, une mèche blanche sur la tête ; conséquence, selon elle, de la perte brutale de son oncle qu’elle chérissait. Elle révèle aussi qu’il lui est arrivé de passer un mois à fumer de l’opium sur un bateau avec des amis ou ne s’être jamais laissée faire avec les hommes.
Sur le phénomène MeToo, l’actrice précise du haut de ses 65 ans de métier que ce n’est pas la séduction qu’il faut combattre mais la violence. D’ailleurs, quand elle était jeune, elle ne prenait jamais le bus sans avoir un compas dans sa poche, histoire de dissuader les frôleurs et les chipoteurs. Sur le fond pourtant, Françoise Fabian reste une grande timide lovée entre les coussins de son divan. Même si, avec l’âge, ça va mieux, elle avoue continuer à crâner un brin quand elle rencontre des gens pour la première fois.
Ses plans
Pour clore sa sélection d’oeuvres d’art, la comédienne a hésité. Entre un tableau de Picasso, un de ceux qu’il a refusés de vendre toute sa vie, et une photo de Robert Doisneau. Finalement, ce sont ces deux enfants qui l’emportent, deux gamins habillés comme des hommes, à l’arrière-plan, tandis que deux autres s’amusent sous le regard distrait des passants. Un univers comme elle les aime, avec du charme, de la nostalgie et, surtout, beaucoup d’humour. Car sous ses grands airs de femme belle et chic, Françoise Fabian peut être drôle aussi. Du genre à déclarer à 70 ans que, lorsqu’elle atteindra les 80, elle se suicidera. » Finalement, je ne suis pas encore trop mal. Alors j’ai décidé de m’accorder dix ans encore. » Bonne nouvelle.
Jacques-Emile Blanche (1861 – 1942)
Né avec une cuillère en or dans la bouche, il est le fils du célèbre aliéniste Antoine Blanche. Jacques-Emile fréquente les salons mondains et devient rapidement le portraitiste le plus fin de ce Tout-Paris qui tourbillonne entre Belle Epoque et les Années folles. Encouragé par Manet ou Fantin-Latour, il n’hésite pas à délaisser la technique pour mieux exalter la personnalité profonde de ses modèles. Il est l’ami des musiciens (Stravinsky, Debussy…) comme des écrivains (Proust, Gide, Mauriac ou Cocteau) et des peintres (Renoir ou Degas). Apollinaire dira de sa peinture qu’elle est à l’image des grands hommes qu’il représente, à savoir » sans égale « .
Sur le marché de l’art. Tout dépend de la personnalité qui est représentée. Là où une princesse de Broglie est enlevée à 67 000 euros, un Jean Cocteau est emporté à plus de 110 000 euros alors qu’un André Gide à 21 ans (magnifique tableau au demeurant) s’envole à 280 000 euros.
Robert Doisneau (1912 – 1994)
» Saisir les gestes ordinaires des gens ordinaires dans des situations ordinaires » : c’est ainsi que le photographe français le plus populaire du xxe siècle définissait son art. Connu pour son empathie envers les plus démunis ou ses amitiés pour les intellectuels germanopratins, Doisneau est avant tout un humaniste qui aime et sublime chacun, sans distinction sociale ou de classe.
Sur le marché de l’art. Si son ultracélèbre Baiser de l’hôtel de ville en tirage argentique d’époque trouvait acquéreur à plus de 150 000 euros en 2005, d’autres tirages restent nettement plus accessibles (moins de 10 000 euros). Evidemment, en photo, tout dépend du tirage mais également du sujet. Pour une photographie issue de sa série Ballade pour violoncelle, réalisée avec le virtuose Maurice Baquet, comptez 800 euros alors qu’un portrait du Corbusier ou de Giacometti dépasse facilement les 2 000 euros. Notez que, depuis quelques années, la cote de Doisneau est plutôt à la baisse.
Michel-Ange (1475 – 1564)
Sculpteur, peintre, architecte et poète, Michel-Ange est l’un des plus grands artistes de la fin de la Renaissance italienne. D’origine modeste, c’est auprès de Laurent de Médicis, qui le prend sous son aile, qu’il formera son oeil et sa main. Michel-Ange quitte Florence pour se perfectionner ensuite à Bologne, puis à Rome où il rencontre le pape Jules II. Le souverain pontife le charge de réaliser son mausolée. Dans l’attente du démarrage des travaux, il lui confie les fresques et les plafonds de la chapelle Sixtine qui, avec son célèbre David, resteront sans doute ses plus belles oeuvres. Le tombeau de Jules II sera finalement revu à la baisse et, pour lui donner un peu de lustre, Michel-Ange ajoute cette grande sculpture de Moïse. A partir de 1546, l’artiste se concentre essentiellement sur l’architecture, un projet de coupole pour Saint-Pierre, le palais Farnèse ou la place du Capitole.
Sur le marché de l’art. On lui connaît un recueil de poésie dont on ne sait toujours pas s’il était destiné à un homme ou à une femme. Pour un dessin original, comptez entre 1,5 et 3 millions d’euros.
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