Emmanuel Macron a voulu un choc de clarification en France en optant pour la dissolution. Il a eu le choc. La clarification, c’est moins sûr. © Getty Images

Législatives en France: l’ambition de Bardella et le crépuscule de Macron

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le Rassemblement national est le favori des législatives. Mais le doute subsiste tant la situation est inédite. Exercice de prospective sur l’après-7 juillet.

La dissolution décidée le 9 juin par Emmanuel Macron a incontestablement provoqué un choc en France, assumé par le président français, mais aux conséquences très incertaines, et pas nécessairement en phase avec ce qu’il prévoyait. Il escomptait une clarification du paysage politique. Elle s’est produite au sein de l’aile droite du parti Les Républicains, engagée dans une alliance avec le Rassemblement national. Mais elle ne s’est pas réalisée sur son flanc gauche où l’alliance du Nouveau Front populaire reproduit les ambiguïtés de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) de 2022, tout en constituant une force électorale qui brigue au moins la deuxième place lors des élections des 30 juin et 7 juillet, soit devant la liste de la majorité présidentielle… En fait de clarification, c’est surtout celle que les résultats des élections européennes avaient consacrée que semble devoir provoquer la dissolution: la victoire du Rassemblement national et la possibilité qu’il endosse la fonction de Premier ministre, avec Jordan Bardella en cas de majorité absolue.

Le «coup» d’Emmanuel Macron devrait cependant doper le taux de participation au scrutin, ce qui ajoute une dimension à l’incertitude qui l’entoure sur son issue. «Lors des élections législatives, un seuil de 12,5% des inscrits doit être rempli par la personne qui souhaite être candidate au deuxième tour. Plus le nombre de personnes exprimant un suffrage est important, plus le seuil des suffrages exprimés permettant d’accéder au deuxième tour descend. Comme on table sur une participation de 65%, le «ticket d’entrée» pourrait avoisiner les 20% des suffrages exprimés. Cela amènerait à des triangulaires, soit la possibilité que, dans plusieurs cantons, ce soit trois candidats qui arrivent en finale, et pas deux. Et là, il sera très difficile de savoir pour qui les uns et les autres se désisteront», analyse Anne-Charlène Bezzina. La professeure de droit public et maître de conférences à l’université de Rouen et à Sciences Po Paris éclaire les autres questions constitutionnelles qui risquent de se poser «le jour d’après» ces élections législatives exceptionnelles.

«On en revient à la logique de la IVe République. Dans les plus fortes périodes de crise, on avait un Premier ministre par mois.»

1. Premier ministre: que peut faire le président?

Après le deuxième tour des législatives, de quelle marge de manœuvre disposera Emmanuel Macron pour désigner le futur Premier ministre? Il y a le texte et la coutume. «Rien dans la Constitution française n’oblige la main du président de la République. L’article 8 précise qu’il nomme le Premier ministre. Et c’est tout ce que nous avons, souligne Anne-Charlène Bezzina. Mais sa main est liée par cette coutume qui veut que l’on nomme Premier ministre le leader de la majorité. Un autre élément plaide en faveur de ce choix. L’Assemblée nationale pourrait tout à fait démettre par une motion de censure le gouvernement d’un Premier ministre qu’elle ne reconnaîtrait pas comme légitime. Donc, c’est la coutume qui oblige la main du président. Cela a été le cas en 1986 lors de la cohabitation. Ce n’est pas de gaieté de cœur que François Mitterrand a nommé Jacques Chirac à Matignon.»

Jordan Bardella a présenté son programme de gouvernement le 24 juin. Sûr de lui. © Getty Images

2.Quid en l’absence de majorité absolue?

«La majorité relative ne change rien au fait que c’est toujours le groupe majoritaire qui doit nommer le leader en son sein, avance la professeure de droit public. Elisabeth Borne (NDLR: Première ministre d’Emmanuel Macron jusqu’en janvier dernier) a été nommée en 2022 et était la cheffe d’une majorité relative. Néanmoins, si cette majorité est vraiment très relative, qu’elle est le fait du Rassemblement national, et que celui-ci souhaite former un gouvernement d’union nationale, il se peut que ce groupe majoritaire présente un nom plus consensuel. Tout dépend du projet politique du groupe majoritaire. Si celui-ci souhaite former une coalition, le président peut nommer Premier ministre le chef de cette alliance

Enfin, «si le groupe majoritaire refuse de former un gouvernement, le président de la République choisira un autre Premier ministre. A charge pour ce gouvernement à la majorité relative de tenir la barre des motions de censure et de ne pas être renversé. Dans cette hypothèse, on en revient à la logique de la IVe République. Trois forces politiques dominaient alors l’Assemblée nationale. De ce fait, la formation des gouvernements pouvait prendre beaucoup de temps. Et ils ne résistaient pas forcément à l’épreuve du premier texte mis en discussion à l’Assemblée. D’où une grande instabilité. Dans les plus fortes périodes de crise, on avait un Premier ministre par mois. La France court le risque de cette instabilité, sauf si un gouvernement d’union nationale autour d’une courte majorité se forme. Mais cela paraît mal parti

Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste. © DR

3.Le président amené à démissionner?

La dirigeante du Rassemblement national, Marine Le Pen, le crie sur tous les toits: en cas de blocage politique après le 7 juillet, Emmanuel Macron n’aura d’autre choix que de démissionner. Selon elle, ce n’est pas une demande, c’est un constat. Une paralysie politique offre, selon elle, trois issues: le remaniement du gouvernement, la dissolution, la démission du président. «Le remaniement, pour le coup, dans cette circonstance, ne m’apparaîtrait pas extrêmement utile. La dissolution vient d’être opérée pendant un an. Il ne restera donc au président que la démission pour sortir de la crise», a plaidé le 21 juin l’ancienne candidate à l’élection présidentielle. Le surlendemain, Emmanuel Macron publiait une «lettre aux Français» dans laquelle il assure qu’il continuera à agir jusqu’en mai 2027, le terme de son mandat, même en cas de cohabitation.

Mais le président français peut-il être contraint d’une manière ou d’une autre à quitter le pouvoir? «Nous avons une procédure de destitution, à l’article 68 de la Constitution, détaille Anne-Charlène Bezzina. Elle est relativement exceptionnelle puisqu’il faut que l’Assemblée nationale et le Sénat, réunis en Haute Cour, reconnaissent le président de la République coupable d’un manquement incompatible avec l’exercice des devoirs de son mandat. Cette destitution doit être décidée d’abord par une des assemblées du Parlement puis par l’autre avant que la Haute Cour soit convoquée. Celle-ci a un mois pour statuer avec une majorité des deux tiers des membres présents. C’est une procédure très lourde qui n’a jamais été mise en œuvre sous la Ve République. Hormis cette procédure de destitution politico-pénale, on n’a pas d’autres procédures de mise en minorité du président. Le processus de démission est, comme toute démission, un acte moral et personnel.»

«Une cohabitation entre Emmanuel Macron et un Premier ministre RN serait sûrement source de plus de blocages.»

4.Les coalitions sont-elles durables?

L’avenir de la future majorité, qui plus est relative, dépendra grandement de la cohésion dont elle fera preuve. Les développements enregistrés depuis l’annonce de la dissolution n’incitent pas nécessairement à l’optimisme. «Les élections législatives anticipées à la suite de dissolution ont toujours été une épreuve pour la cohésion de partis dans l’histoire de France, considère la constitutionnaliste. Le jeu consiste à prendre tout le monde de court et à couper l’herbe sous le pied de l’adversaire. De ce fait, les couteaux sont très aiguisés entre chacune des coalitions. Dans les trois blocs qui émergeront de ces élections, je ne crois pas qu’existe une véritable cohésion programmatique. L’épreuve parlementaire de 2022 à 2024 a quand même prouvé qu’il était très difficile de concilier ces blocs entre eux. Les quinze jours de campagne n’auront certainement pas permis de refermer les blessures de cette période et de celle des élections européennes. Il ne faut pas se méprendre. Ces blocs sont avant tout des unions électoralistes. Certaines ne pourront même pas survivre au sein de l’Assemblée nationale. Chacun y voudra son groupe. Ce sera le cas des composantes du Nouveau Front populaire, ainsi que de la partie de la droite républicaine qui s’est alliée au Rassemblement national. Tout cela privera ces coalitions de tout leur sens. Au sein du bloc centriste, il s’agit plus de l’expression d’un ressentiment de la part des alliés de la majorité.»

5.Des règles pour une cohabitation?

La répartition des compétences entre le président et le Premier ministre est-elle inscrite dans un texte officiel? Cela pourrait être utile en temps normal et, qui plus est, en période de cohabitation, quoique l’histoire a montré que la délimitation était souvent plus claire dans ce cas de figure. «L’article 19 de la Constitution définit les pouvoirs propres du président de la République, ceux qui ne nécessitent pas le contreseing du Premier ministre ou des ministres compétents, précise Anne-Charlène Bezzani. Mais hormis cela, ce qu’on peut appeler le «domaine réservé» dans notre Constitution française est en réalité plutôt une interprétation qu’ont fait nos anciens présidents du constat qu’ils étaient les seuls à dominer le domaine international. En réalité, la Constitution française appelle un régime qui nécessite de l’harmonie à tous les étages, au sein des deux assemblées, au sein de l’assemblée et de l’exécutif, et entre les têtes de l’exécutif. On aura beaucoup de mal à fonctionner en cas de disharmonie.»

Les précédents épisodes de cohabitation ont tous concerné des partis traditionnels, qui partageaient certaines conceptions de l’exercice du pouvoir. Cela pourrait ne pas être le cas après le 7 juillet. «On a l’habitude de dire que les cohabitations que nous avons connues ont rétabli le régime parlementaire en vigueur au Royaume-Uni ou en Belgique, avec un plus grand respect des droits du Parlement, et un Premier ministre plus fort, décrypte la maître de conférences à l’université de Rouen et à Sciences Po Paris. Mais une cohabitation entre Emmanuel Macron et un Premier ministre d’un parti politique qui lui est aussi hostile et dont la vision de la politique est aussi différente n’aurait rien à voir avec les autres. Elle serait sûrement source de plus de blocages. Chacun usera sûrement de sa faculté d’inertie pour empêcher l’autre. C’est ce qui risque d’être le plus marquant dans le caractère inédit de cette cohabitation.»

Avec une majorité relative, la tâche de la Première ministre Elisabeth Borne s’est avérée particulièrement ardue. © AFP via Getty Images

6. Une dissolution hara-kiri?

La cause de toutes ces perspectives incertaines, la dissolution, reste une source de profonde incompréhension. «On parle parfois de dissolutions à l’anglaise, très feutrées, avance Anne-Charlène Bezzina. Dans une tribune publiée dans Le Figaro, j’ai parlé d’une dissolution à la japonaise. Il s’agit presque d’une forme de suicide politique pour la majorité. Elle est très risquée. Elle est choisie dans un moment sensible, à quelques jours de l’ouverture des Jeux olympiques de Paris et au sortir d’une élection européenne qui a beaucoup marqué les Français. Elle est inédite dans son caractère très personnel. Le président de la République l’a décidée sans consulter sa base. Il y a une vraie difficulté à comprendre pourquoi le président a choisi de solliciter des élections dans un temps aussi court. C’est une vraie incompréhension, y compris pour sa base. C’est en cela que c’est particulièrement perturbant. C’est peut-être le premier président de la République qui trouble sa propre majorité.»

Les secousses de la dissolution

Depuis l’annonce du séisme de la dissolution de l’Assemblée nationale française le 9 juin au soir des élections européennes, les plaques tectoniques de la scène politique française ont sensiblement bougé. Trois répliques en attestent.

L’union à gauche. Les fractures observées lors de la campagne pour les élections européennes, sur fond d’exploitation à outrance par La France insoumise du conflit entre Israël et le Hamas à Gaza, ne prédisposaient pas à une «réconciliation» express. Elle s’est pourtant produite le 14 juin autour d’un accord sur un programme commun, peut-être a minima, mais néanmoins méritoire, entre forces socialistes, écologistes, communistes et insoumises. Le Nouveau Front populaire, de François Hollande à Jean-Luc Mélenchon, est donc, plus ou moins, en ordre de marche pour les 30 juin et 7 juillet.

L’alliance entre le RN et le LR-Ciotti. Cela aura été l’événement majeur de la période entre la dissolution et les élections. Le président du parti Les Républicains, Eric Ciotti, a décidé, le 11 juin de façon aussi solitaire qu’Emmanuel Macron sur la dissolution, de faire alliance avec le Rassemblement national et de pulvériser le front républicain auquel s’était toujours tenu sa formation. Mais il n’a pas emporté avec lui, loin de là, les forces vives de la droite classique. Tous les ténors du parti continuent à faire confiance en leur bonne étoile…

L’implosion à venir de la majorité. L’heure des réglements de comptes n’a pas encore sonné. Mais les prises de distance sont déjà bien réelles entre les membres de la majorité macroniste, leurs alliés et Emmanuel Macron. L’initiative la plus spectaculaire est venue de l’ancien Premier ministre Edouard Philippe qui a déclaré, le 23 juin, vouloir forger une nouvelle majorité au-delà de la liste Ensemble pour la République. Une démarche, visant les Républicains-canal historique et d’éventuels socialistes déçus par l’alliance avec l’extrême gauche, qui est en réalité la seule chance de victoire du bloc centriste. Y compris dans la perspective de la présidentielle de 2027 pour laquelle le Premier ministre Gabriel Attal affûte aussi ses prétentions.

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