«Tout est possible»: à quoi va ressembler le paysage politique français? Voici les 5 scénarios probables
Après son triomphe au premier tour des législatives, l’extrême droite semble plus proche que jamais des portes du pouvoir. Le succès du RN sera-t-il suffisant pour obtenir une majorité absolue dans l’hémicycle et faire basculer la France dans un système de cohabitation? D’autres options restent envisageables.
Un «coup manqué». Un «pari raté». Une «humiliation». Lundi, la presse française et internationale fustigeait de concert l’échec cinglant d’Emmanuel Macron à l’issue du premier tour des législatives. Dans les urnes, le camp présidentiel (20%), qui se présentait comme la «seule alternative au chaos», a finalement fait pâle figure face à l’extrême droite (33,1%) et, dans une moindre mesure, au Nouveau Front Populaire (28%).
Si elle doit encore être confirmée au second tour, la déconfiture de la coalition présidentielle fait craindre une situation de blocage institutionnel dans l’Hexagone. Le Rassemblement national, allié à Eric Ciotti, pourrait-il prendre les clés de Matignon? Un sursaut de la gauche laisserait-il entrevoir la formation d’autres coalitions? Un gouvernement d’affaires courantes est-il envisageable? «Tout – ou presque – est possible», assure Luc Rouban, directeur de recherche CNRS à Sciences Po Paris. Voici les options sur la table.
1. La cohabitation
Dans le cas où le Rassemblement National parvient à obtenir la majorité absolue (289 sièges à l’Assemblée sur 576), la France basculerait dans un système de cohabitation. Concrètement, le président et le nouveau Premier ministre – issu de la majorité – devraient «coexister» au sommet de l’Etat. Un système déjà observé à trois reprises dans l’histoire de la Ve République: entre 1986-1988, avec un président socialiste (François Mitterrand) et un Premier ministre de droite RPR (Jacques Chirac); entre 1993 et 1995 avec un président socialiste (François Mitterrand) et un Premier ministre RPR (Édouard Balladur); et entre 1997 et 2002, avec un président RPR (Jacques Chirac), et un Premier ministre socialiste (Lionel Jospin). «Dans ce cas, le président garde des compétences ‘réservées’, par exemple en matière internationale, de défense, et pour la nomination de hauts fonctionnaires», précise Luc Rouban. Le RN pourrait certes appliquer une partie de son programme, mais ne pourrait pas convoquer de réferendum ou de réforme de la Constitution, des mécanismes qui nécessitent toujours l’aval de l’Elysée.
La grande difficulté de ce système serait la gestion de la conflictualité entre le président et son Premier ministre. Jordan Bardella, chef de file de l’extrême droite pressenti pour la fonction, ne vient «pas du tout du même monde» que Macron, observe Luc Rouban. «Contrairement aux Premiers ministres des anciennes cohabitations – pour beaucoup d’ex-hauts fonctionnaires – Bardella a peu d’expérience politique. Il vient d’un milieu populaire, n’a pas fait d’études supérieures et, surtout, n’est pas familier avec l’appareil de l’Etat.»
2. Une coalition des (extrêmes) droites
Le Rassemblement national pourrait devenir le premier groupe à l’Assemblée nationale, mais en obtenant seulement une majorité relative. Dans ce cas, il pourrait former une coalition gouvernementale avec d’autres forces de droite, notamment avec les députés LR élus sans avoir suivi Eric Ciotti dans son projet d’alliance avec le RN. «C’est une des possibilités les plus crédibles», note Luc Rouban. Dans cette configuration, Eric Ciotti pourrait éventuellement être nommé Premier ministre, Jordan Bardella ayant refusé de briguer le poste si le RN échouait à obtenir une majorité absolue. Des déclarations à prendre avec des pincettes, nuance toutefois Simon Persico, professeur de sciences politiques à Sciences Po Grenoble. «C’est peut-être une stratégie pour récolter encore plus de voix. Si Bardella a vraiment la possibilité de devenir Premier ministre, il est difficile d’imaginer qu’il refuse.»
3. Une coalition anti-RN
En cas de majorité relative du RN, la formation d’une coalition alternative pourrait également être envisagée, incluant des forces du centre, de gauche et de droite modérée. Il faudrait toutefois que le nombre de sièges de l’extrême droite soit plus limité qu’attendu pour légitimement la renvoyer dans l’opposition, et que le Nouveau Front Populaire (alliance des gauches composée des socialistes, écologistes, communistes et insoumis) performe mieux que prévu. Une éventualité peu probable aux yeux de Simon Persico. «La gauche dispose d’un faible réservoir de voix, son électorat s’étant déjà fortement mobilisé au premier tour, notamment dans les métropoles et les quartiers populaires, prédit l’expert. Il semble donc difficile d’enrayer cette vague brune, d’autant qu’une remontée surprise du camp présidentiel est totalement exclue.» La diabolisation de la gauche (notamment des Insoumis) à laquelle s’emploie Macron depuis plusieurs mois semble également enterrer les espoirs d’une telle alliance.
4. Un gouvernement technique
Si aucune des possibilités évoquées plus haut ne se matérialise, la France serait alors plongée dans une situation de blocage institutionnel. Pour éviter cette paralysie, l’idée d’un gouvernement technique pourrait faire son chemin: des experts seraient ainsi nommés pour gérer les ministères pendant un an, avant qu’une nouvelle dissolution puisse être légalement évoquée et permette, cette fois, de faire émerger une majorité plus nette. Autre alternative: un gouvernement d’affaires courantes «à la belge», dans lequel les ministres sortants continueraient d’exercer des compétences restreintes, dans l’attente de la formation d’une coalition ou d’une nouvelle dissolution. Deux situations jamais vues en France.
5. La démission de Macron
Enfin, face à un blocage total, Emmanuel Macron pourrait démissionner. Une option jugée peu probable par les experts, que le président lui-même a d’ailleurs exclue à plusieurs reprises. «L’élection la plus importante, la présidentielle, ce sera en 2027. Macron voudra certainement garder un moyen d’actions pour son camp en vue de ce scrutin, plutôt que de se retirer anticipativement du jeu politique», estime Luc Rouban.
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