Rejet du projet de loi immigration: « Le grand gagnant dans cette affaire, c’est le Rassemblement national »
Le rejet du projet de loi « immigration » à l’Assemblée nationale place l’exécutif français dans une impasse. Privé d’une majorité absolue dans l’hémicycle, le camp présidentiel peine à trouver des alliés, tant dans les rangs de la gauche que de la droite. La Macronie est-elle arrivée à bout de souffle ?
C’est une séquence politique qui risque de laisser des traces. Lundi, dans un hémicycle surchauffé, les députés français ont voté, à 270 voix contre 265, une « motion de rejet » du projet de loi « immigration », porté par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Le texte, en l’état, ne satisfaisait ni la gauche (socialistes, écologistes, communistes et insoumis), ni la droite (Les Républicains) et l’extrême-droite (Rassemblement national), qui ont décidé d’unir leur voix dans une alliance inédite. « Cette convergence des oppositions a pris tout le monde de court », expose Luc Rouban, directeur de recherche CNRS à Sciences Po Paris. Si une telle coalition – formée par des partis qu’a priori tout oppose, à plus forte raison en matière d’immigration – a vu le jour, c’est parce qu’il y avait un « coup politique à jouer », estime Simon Persico, professeur de sciences politiques à Sciences Po Grenoble. « Les partis ont saisi cette opportunité de faire échouer le gouvernement. In fine, c’est une victoire politique pour toutes les formes d’opposition. »
Projet de loi immigration: « Un blocage institutionnel »
Pour Gérald Darmanin, cette séquence constitue un sérieux camouflet, lui qui planchait depuis plus d’un an sur son projet de loi. Le ministre de l’Intérieur, amer, a d’ailleurs remis sa démission au président Emmanuel Macron, qui l’a refusée. Mais, au-delà d’un échec personnel, cette motion traduit une « forme de rejet global de l’action du gouvernement dans son ensemble », tranche Luc Rouban.
Emmanuel Macron, qui a fait d’une régulation de l’immigration une des priorités de son second quinquennat, a dénoncé le « cynisme » de l’opposition et le « jeu du pire » auquel elle s’est livrée lundi, l’accusant de vouloir « bloquer le pays ». Obstiné, le président français a chargé Gérald Darmanin et la Première ministre Elisabeth Borne de « faire des propositions » pour surmonter le blocage. L’exécutif a finalement décidé mardi de convoquer une ‘commission mixte paritaire‘, qui se réunira à huis clos. Cette instance, composée de sept députés et sept sénateurs, aura pour mission de s’accorder sur une version remaniée du texte. Un test ultime pour le camp présidentiel.
Privés d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale depuis les législatives de 2022, les députés macronistes peinent sérieusement à trouver des alliés fidèles. Les débats sur la réforme des retraites et l’usage répété des 49.3 avaient déjà illustré l’efficacité relative de cette culture du compris à la sauce française. Mais cette fois, sur une thématique aussi conflictuelle que l’immigration, LREM apparaît totalement plongée dans une impasse. « La polarisation est telle entre, d’un côté, un bloc de droite radicale, conservatrice et identitaire, et de l’autre, un bloc plutôt écosocialiste, voire communiste, qu’on se retrouve dans une situation de blocage institutionnel, observe Simon Persico. Avec cette position intermédiaire, LREM ne parvient plus à séduire personne. »
Vers une « droitisation » du camp présidentiel?
Selon Luc Rouban, cette séquence va obliger Emmanuel Macron à assumer sa « droitisation ». « S’il veut faire aboutir ce texte, il devra en sortir une version encore plus ferme. Dans le fond, le gouvernement est pris en otage par la droite, et notamment par la droite la plus radicale. Le grand gagnant dans cette affaire, c’est le Rassemblement national. » Un virage qui risque de mettre à mal le camp présidentiel lui-même. « Si LREM décide d’encore resserrer la vis, cela nécessitera un vrai travail de négociation auprès de ses propres parlementaires, juge Simon Persico. Car certains avaient déjà affiché leur hostilité à se rallier au projet de Darmanin, jugé trop ‘extrême’ sur certains points. »
« Le gouvernement est pris en otage par la droite, et notamment par la droite la plus radicale. »
Face à ce blocage, le président du Rassemblement national a appelé à la dissolution de l’Assemblée et à la convocation de nouvelles élections, estimant que le gouvernement faisait face à une « une crise politique majeure« . « Jordan Bardella (le président du RN, NdlR) se voit déjà à Matignon, réagit Luc Rouban. Dans l’état actuel des choses, c’est sûr que le grand gagnant d’une dissolution serait le Rassemblement national. Par contre, ce serait un désastre pour Les Républicains, mais aussi pour le camp présidentiel qui souffre toujours d’impopularité. »
Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a réfuté en bloc l’hypothèse d’une dissolution, mardi matin. Pour Luc Rouban, la piste d’un remaniement de l’exécutif parait plus probable. « Macron pourrait alors nommer un Premier ministre qui serait un peu plus à droite qu’Elisabeth Borne, avec un profil moins technocrate et plus politique. »
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