Regain de violences à Marseille: le trafic de drogues toujours plus meurtrier
Trois hommes ont été abattus à Marseille le week-end dernier. La ville française, malgré les efforts des autorités, connaît un regain de violences lié au trafic de drogues. Les profils des personnes impliquées évolue.
En un week-end, trois hommes de moins de trente ans ont été abattus en pleine rue à Marseille: trois victimes de plus dans une guerre de la drogue qui colle à la peau de la deuxième ville de France, malgré des succès policiers.
Dimanche soir, deux hommes ont succombé sous les balles. La veille, toujours à Marseille, un homme de 21 ans, déjà condamné pour trafic de drogues, était tué par des hommes à scooter armés d’une kalachnikov. A la terrasse du bar où la victime s’était réfugiée en vain, dans le centre de Marseille, deux clients ont été blessés. Des « victimes collatérales » rares mais pas exceptionnelles, avec 52 « fusillades » recensées par la préfecture de police en 2022.
« Il y a des endroits mal fréquentés, des points de vente de drogue près de l’école. Il y a une emprise sur le quartier », déplore Roger Grégory, un retraité qui habite près d’un lieu des crimes.
Dans ce secteur du 3e arrondissement, « il y a un point de deal qui fait l’objet d’une tentative de prise en main par des trafiquants de très haut vol de la cité voisine », explique à l’AFP la préfète de police Frédérique Camilleri. Dans cette zone, « la plus pauvre d’Europe », « la cité Félix-Pyat est un haut-lieu du trafic de stupéfiants depuis trente ans », rappelle-t-elle.
« Cycles de vendetta »
Et si l’arrondissement est devenu le théâtre régulier de crimes, c’est que la violence des trafiquants procède par « cycles »: « des cycles de prises de contrôle et des cycles de vendetta ». Dès qu’elle a vu la tension « monter » dans ce quartier, au début de l’été, la préfète a placé des renforts dans certaines de ses cités, comme au Moulin de mai (troisième arrondisement de Marseille), où une jeune femme, étrangère au trafic de drogues, avait été tuée en 2020.
Grâce notamment au minutieux travail d’enquête des policiers (écoutes, suivi des réseaux criminels…), au moins 29 homicides ont été évités entre 2016 et 2022, souligne Mme Camilleri. Et l’augmentation des saisies est spectaculaire, notamment pour la cocaïne, grâce « à une meilleure action sur le port ». « A Marseille, 60% des règlements de comptes sont résolus », le double du taux moyen en France, se félicitait en juin le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.
Cependant, la tendance est « très mauvaise« , a admis lundi Damien Martinelli, procureur adjoint à Marseille. Depuis début 2022, 25 personnes sont mortes par balles dans des homicides liés à des trafics de drogue dans le département des Bouches-du-Rhône, où se trouve Marseille, selon la préfecture de police. Comme sur toute l’année 2021.
Une violence qui rappelle les années 1980, quand Marseille était une plaque tournante du trafic d’héroïne mondial, avec la célèbre « French connection ». « Mettre hors d’état de nuire les équipes de tueurs » est une priorité pour les enquêteurs, insiste la préfète de police, en évoquant « ces gens qui ont un contrat pour aller tuer quelqu’un d’autre ». Mais « c’est un monde où les choses bougent beaucoup, où des gens montent très vite et peuvent descendre aussi très vite ». Aujourd’hui, explique-t-elle, « la nature des victimes a peut-être un peu changé, ce ne sont plus les grands barons mais des chefs intermédiaires qui vont être tués ».
Têtes à Dubaï
Si le trafic est toujours aux mains des Marseillais, les têtes de réseau se mettent à l’abri à l’étranger, à Dubaï notamment, où les arrestations sont de plus en plus fréquentes.
Quant aux « petites mains », les « charbonneurs », ce sont de moins en moins des enfants des quartiers. Ils sont recrutés via les réseaux sociaux, dans le reste de la France ou parmi les étrangers en situation irrégulière, logés dans des squats.
« Il faudrait que nous arrivions à casser le mythe », véhiculé par les trafiquants, sur Marseille et « l’argent facile », insistait début 2022 la procureure de la République de Marseille, Dominique Laurens. Cette nouvelle « main-d’oeuvre très docile » profite au business, analyse Mme Camilleri. Mais sa présence augmente les tensions avec les habitants des quartiers, qui subissaient déjà des « checkpoints » à l’entrée de leurs immeubles.
Dans un bar, un serveur confie: « Parfois, certains jeunes du réseau viennent, ils consomment et ils paient pas, mais on n’ose rien leur dire« .