Mort de Nahel : « La loi sur l’usage des armes à feu a augmenté le nombre de personnes descendues par la police »
Cette nuit encore, de nombreuses villes françaises de la région parisienne et de la province ont été touchés par des violences suite au décès de Nahel, tué par la police. Ce drame est-il symptomatique d’une montée des violences policières, que ce soit en France ou en Belgique ? Analyse.
Nahel, 17 ans, a été tué mardi par un tir au thorax lors d’un contrôle routier mené par deux motards de la police, après un refus d’obtempérer à Nanterre, à l’ouest de Paris. La mort de l’adolescent a déclenché une série de violences partout en France, mais particulièrement à Paris et sa banlieue. Craignant une « généralisation » des violences, les autorités françaises envisagent de décréter l’état d’urgence.
Celui-ci, qui permettrait aux autorités administratives de prendre des mesures d’exception comme une interdiction de circuler, avait été déclenché en novembre 2005 après 10 jours d’émeutes dans les banlieues, suscitées par la mort de deux adolescents. Les deux jeunes avaient été électrocutés dans un transformateur électrique où ils s’étaient cachés pour échapper à la police.
Les incidents se sont également étendus à la Belgique, 64 personnes ont été interpellées à Bruxelles la nuit de jeudi à vendredi. Une personne mineure a été arrêtée judiciairement pour des faits de coups et blessures envers un inspecteur de police, et 47 mineurs et 16 adultes ont été arrêtés administrativement.
Décès de Nahel: 13 cas de tirs mortels
Pour l’année 2022, la presse française recense 13 cas de tirs mortels sur des véhicules, et 3 pour l’année 2023. Le 1er mai dernier, l’ONU avait déjà dénoncé les violences policières au cours d’opérations de maintien de l’ordre. Ce vendredi, elle a explicitement demandé à la France de se pencher sérieusement sur les problèmes de racisme et de discrimination raciale au sein des forces de l’ordre.
Qu’en est-il Belgique ? Assiste-t-on à une montée des violences policières ? En l’absence de chiffres précis sur les violences commises par la police, il est difficile de répondre à cette question, explique Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International. « Les statistiques policières et judiciaires sont très faibles, mais ces dernières années, nous avons eu des cas extrêmement problématiques de personnes, et souvent d’ailleurs de personnes racisées, qui étaient victimes de violences policières au point d’être tuées. »
Il rappelle l’existence en France d’une loi de 2017 qui a augmenté considérablement le nombre de personnes descendues par la police. Cette loi stipule en effet que les policiers sont autorisés à tirer « lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s’arrêter, autrement que par l’usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ».
Profilage ethnique
En Belgique, on pense évidemment au cas de Mawda, la fillette kurde de deux ans tuée par balle par un policier lors d’une course-poursuite sur l’autoroute en 2018. Même si les cas de personnes tuées pour refus d’obtempérer restent rares en Belgique, il y a un souci important au niveau du profilage ethnique, estime Philippe Hensmans. La police a recours au profilage ethnique lorsqu’elle contrôle un individu dans la rue en raison de sa couleur de peau ou de son origine, sans raison objective. « Il y a du travail à formation à faire de côté-là, l’idée de l’utilisation des bodycams qui pourrait être intéressante, même si elle est limitée et que c’est la police qui décide de son usage », déclare-t-il.
Coordinatrice de l’Observatoire des violences policières pour la Ligue des droits humains, Saskia Simon confirme l’absences de statistiques officielles pour la Belgique. « Quand bien même le Comité P serait en mesure de fournir des statistiques pour toute la Belgique, ce ne seraient que les statistiques des plaintes reçues, car il y a énormément de plaintes qui ne sont jamais déposées ».
L’Observatoire dénonce le nombre d’obstacles au dépôt de plaintes qui poussent beaucoup de gens à renoncer à porter plainte. « Porter plainte est trop lourd, trop risqué, et les gens ne savent pas où s’adresser. Le taux d’aboutissement des procédures, et le taux de condamnation des policiers sont tellement faibles que pour la plupart des gens, le jeu n’en vaut pas la chandelle », déplore Saskia Simon.
Une évolution sociétale
Professeur en droit à l’UCLouvain, Christian-Paul De Valkeneer rappelle que le plaignant n’a pas nécessairement raison. « Ce n’est pas parce qu’un policier utilise son arme, et tue quelqu’un que pour autant l’usage qu’il a fait de son arme est un usage illégal. S’il se trouve en état de légitime défense par exemple, la loi lui permet d’utiliser son arme. »
Le professeur souligne l’importance de mener rapidement une enquête très approfondie sur les circonstances qui ont amené le policier à utiliser son arme. « C’est évidemment de nature aussi à apaiser la situation que de voir que l’on prend vraiment les choses très au sérieux. Le pire serait de mener une enquête tardivement et de manière incorrecte, ce qui donnerait l’impression de vouloir protéger les policiers ».
Pour Christian-Paul De Valkeneer, ces derniers sont confrontés à des situations de plus en plus complexes, qui traduisent une évolution sociétale. « Le métier de policier ne se pratique plus aujourd’hui comme il y a 30 ou 40 ans. Il ne s’est pas simplifié avec le temps. Nous sommes de plus en plus dans une contestation de l’autorité, de telle sorte que quand un policier intervient, il doit essayer de négocier l’autorité. Il y a parfois des situations très compliquées où il faut gérer énormément d’agressivité et de tensions ».
Pour lui, les formations des policiers devraient mettre davantage l’accent sur la négociation, essayer de discuter avec les gens afin que la contrainte devrait être utilisée comme un ultima ratio. « Il faut beaucoup de compétences et de savoir-être pour gérer ce type de situations ».
« C’est là une évolution globale de notre société qui rend les métiers humains assez complexes, que ce soit au niveau des soignants, des accompagnateurs de train, des enseignants ou des magistrats. Et la police et la justice sont en première ligne des dysfonctionnements sociaux, elles interviennent quand tout le reste a échoué », déclare-t-il. En cause, un individualisme en hausse. « Nous vivons dans une société où chacun pense qu’il est porteur de droits, où il y a moins de sens collectif », conclut-il.
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