Le budget, première épreuve de Michel Barnier
Comment commencer à réduire le déficit et ne pas braquer le Rassemblement national? C’est le dilemme du nouveau gouvernement orienté très à droite.
Dépourvu de majorité absolue, le gouvernement de Michel Barnier, porté sur les fonts baptismaux le 21 septembre en vertu d’un équilibre dominant entre le parti centriste Renaissance (douze ministères sur 39) et Les Républicains, de droite (dix ministres, plus Matignon) voit sa pérennité suspendue au bon vouloir des autres groupes politiques de l’Assemblée nationale, et singulièrement à celui du Rassemblement national sans la bienveillance espérée duquel il n’aurait tout simplement pas pu voir le jour.
Mais l’équipe devra aussi résister aux dissensions en son sein. Des propos liminaires du ministre de l’Intérieur, le très conservateur Bruno Retailleau, en ont fourni une première illustration. Alors qu’il appelait, le 23 septembre sur TF1, à revoir «un certain nombre de cadres pour changer une politique pénale qui […] a laissé s’installer un droit à l’inexécution des peines», son collègue de la Justice, Didier Migaud, indiquait sur France 2 que Bruno Retailleau «doit savoir que la justice est indépendante dans notre pays. […] Le sentiment qu’elle ne condamne pas suffisamment n’est pas toujours exact.» Si cette différence d’opinion peut se comprendre par les deux extrémités du champ politique que ces deux ministres représentent dans le gouvernement Barnier, Didier Migaud étant le seul «transfuge» de gauche qui y figure, il n’est pas sûr non plus que les positions radicales du ministre de l’Intérieur soient fort appréciées par tous ses collègues du parti Renaissance.
Après une entame de mandat hésitante, le gouvernement Barnier sera rapidement confronté à son premier défi, la présentation du budget 2025, prévue le 9 octobre. Avec cet enjeu: comment le faire adouber, même à travers une abstention, par les députés de l’extrême droite? Revue des tenants et aboutissants de ce dossier, avec Mathieu Plane, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Quelle situation budgétaire?
Le nouveau ministre français de l’Economie, Antoine Armand, l’a reconnu lui-même le 24 septembre: «La situation est grave.» L’Hexagone connaît effectivement un déficit public inédit, hors période de crise. Les prévisions pour 2024 le situent à 6% du PIB, alors qu’il a déjà été de 5,5% en 2023, loin des 3% requis par l’Union européenne. Mathieu Plane estime que la conjoncture est inquiétante à trois titres. «Un, la France sort de quatre années de crise dure, comme un peu partout, mais avec des comptes publics plus dégradés que ce que l’on aurait pu attendre. Il y a eu des mauvaises surprises non négligeables: elles représentent plusieurs dizaines de milliards d’euros de déficit supplémentaire. Deux, le pays connaît une crise politique alors qu’il aurait besoin d’une trajectoire de redressement avec des choix politiques clairs. Or, personne ne veut porter la responsabilité de ce redressement, tout le monde se renvoie la balle, ce qui fait qu’il paraît quasiment infaisable. Trois, il y a une douzaine d’années, la crise des dettes souveraines était particulièrement marquée sur les Etats d’Europe du Sud. Aujourd’hui, à part l’Italie, ce n’est plus le cas. Dès lors, la France se trouve bien plus isolée que ce qu’elle a connu par le passé.»
Quels (nouveaux) impôts?
Le Premier ministre Michel Barnier a assuré qu’il n’y aurait pas de nouveaux impôts affectant les classes moyennes. Ce qui, vu l’état des finances, suggère qu’il pourrait y en avoir pour les catégories plus aisées de la population. Confirmation par le ministre de l’Economie le 24 septembre, qui a indiqué que «des prélèvements ciblés sur les ménages les plus aisés, c’est à l’étude». «Le dogme du mandat d’Emmanuel Macron, qui stipulait qu’il n’y aurait pas d’augmentation d’impôt, tombe, confirme Mathieu Plane. Un principe de réalité s’impose au Premier ministre. On peut donc s’attendre à des mesures dans ce sens. Soit on assistera à une révolution fiscale, ce que je ne crois pas; soit, ce qui est plus probable, ce seront des mesures d’ajustement qui rapporteront quelques milliards. Symboliquement, ce sera une contribution importante. Mais il ne faut pas penser que cette éventuelle hausse de la fiscalité des revenus du patrimoine et des grosses entreprises permettra de résoudre le problème global du déficit actuel.»
Où couper dans les dépenses publiques?
La voie d’une imposition supplémentaire étant limitée, le gouvernement français devra aussi tenter d’agir sur une réduction des dépenses publiques. Pour l’économiste de l’Observatoire français des conjonctures économiques, quelques pistes existent: les dépenses d’apprentissage où des effets d’aubaine ont été observés; le retour à la normale de la fiscalité sur l’énergie et l’électricité, réduite pendant la période du Covid; une mise à contribution des collectivités locales, auxquelles est imputée la hausse surprise du déficit de cette année… Mais sera-ce suffisant? Le gouvernement Barnier pourrait aussi se tourner vers les dépenses sociales. Des économies paraissent compliquées dans le système de santé, déjà en tension, mais possibles, en revanche, dans le domaine des retraites, sachant que les pensionnés ont été plutôt bien protégés ces dernières années, explique en substance l’économiste. Mais c’est politiquement risqué, parce que, forts de 17 millions d’âmes, ils représentent un poids électoral important.
Comment «séduire» le RN?
Michel Barnier devra en tout cas avoir à l’esprit l’épée de Damoclès du Rassemblement national quand il présentera son projet de budget, sous peine de faire long feu. Mais sur la stratégie du parti d’extrême droite, Mathieu Plane se montre circonspect. «Il est très critique de la situation budgétaire actuelle, fustigeant la dérive des finances publiques. Mais son programme dans ce domaine n’est pas sérieux. Il se dit que le RN accepterait l’augmentation des impôts des plus riches si c’est pour redistribuer les montants aux classes moyennes en baissant le taux de TVA sur l’essence ou d’autres produits. Sauf que le problème est plus compliqué que cela: cet argent prélevé n’est pas là pour être redonné, il est là pour réduire le déficit et la dette.» Pour Michel Barnier, le premier défi, celui du budget, est donc déjà existentiel.
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