France: « Métro, boulot, tombeau », manifestations et grève massive contre une réforme des retraites décriée
Des centaines de milliers de manifestants défilant à travers le pays, des transports très perturbés sur le réseau ferroviaire et à Paris, des écoles fermées: la France fait face jeudi à une journée de grève massive contre le projet de réforme des retraites, un test politique pour le président Emmanuel Macron dans un contexte économique et social tendu.
Le projet et sa mesure phare, le report de l’âge de départ à 64 ans, contre 62 aujourd’hui, se heurte à un front syndical uni et une large hostilité dans l’opinion d’après les sondages. Les syndicats ont d’ores et déjà salué jeudi après-midi une mobilisation « réussie ». « Emmanuel Macron, il voudrait qu’on meure sur le terrain, qu’on travaille jusqu’à 64 ans », lance à l’AFP Hamidou, 43 ans, éboueur de la ville de Paris rencontré dans la manifestation. « On se lève très tôt. Y’a certains de mes collègues qui se lèvent à 3 heures du matin. Travailler jusqu’à 64 ans, franchement c’est trop », lance-t-il.
Plus loin, une jeune femme brandit une pancarte: « la retraite avant l’arthrite ». D’autres pancartes proclament « Métro, boulot, tombeau » ou « Métro, boulot, caveau ». Les manifestants ont battu le pavé jeudi matin dans de nombreuses villes françaises, avant que le cortège parisien ne s’ébranle vers 13H15 pour dire « non » au recul de l’âge légal de départ à la retraite. Des heurts ont éclaté jeudi après-midi entre forces de l’ordre et manifestants autour de la place de la Bastille à Paris, avec jets de projectiles et usage de gaz lacrymogènes, a constaté un journaliste de l’AFP.
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Le ministère de l’Intérieur a recensé 1,12 million de manifestants en France dont 80.000 à Paris, a-t-il annoncé jeudi soir. Plus tôt jeudi, le syndicat CGT a avancé de son côté le chiffre de « plus de deux millions » de manifestants, a déclaré son secrétaire général, Philippe Martinez, pour qui cette réforme des retraites « canalise tous les mécontentements » en France. Plus de 200 manifestations ont eu lieu à Paris et en régions, très majoritairement dans le calme. Quelques heurts, tensions ou dégradations ont été signalés à Paris, Lyon (est) et Rennes (ouest).
La mobilisation « est au-delà de ce qu’on pensait », s’est félicité le numéro un du syndicat CFDT, Laurent Berger, au début de la manifestation parisienne.
Faire « réfléchir » le gouvernement
A Marseille (sud), Jérôme Thevenin, cuisinier de 52 ans à la carrière « hachée », a longtemps travaillé comme saisonnier. « Je n’ose même pas faire le calcul pour savoir quand je pourrai partir. Mais je vois la retraite approcher et je me sens davantage concerné », dit-il, en espérant que la mobilisation « fera réfléchir le gouvernement ».
Anticipant un « jeudi de galère », le ministre délégué aux Transports, Clément Beaune, avait appelé à différer les déplacements ou à télétravailler, une pratique qui s’est largement répandue en France depuis le confinement pour endiguer le Covid en 2020. Les agents de l’entreprise publique d’électricité EDF ont procédé à des baisses de production d’électricité, atteignant au moins l’équivalent de deux fois la consommation de Paris. Du côté des raffineries, la CGT TotalEnergies comptait entre 70 et 100% de grévistes, sur la plupart des sites du groupe.
La grève était très suivie dans les transports avec quasiment aucun train régional, peu de trains grande vitesse (TGV), un métro tournant au ralenti à Paris et une grande banlieue très peu desservie. Il n’y avait aucun trafic au port de Calais, premier de France pour les voyageurs, en raison d’une grève des officiers de port. De nombreux services publics font l’objet d’appels à la grève, en particulier l’éducation, où le principal syndicat, la FSU, dénombre 70% d’enseignants grévistes dans les écoles et 65% dans les collèges et lycées.
Emmanuel Macron, dont la réforme des retraites est un chantier crucial du second quinquennat, pour lequel il s’était engagé dès la campagne de son premier mandat, joue gros: son parti, qui ne dispose pas d’une majorité à l’Assemblée nationale, pourrait être fragilisé si le mouvement était profond et durable. Ce test politique pour le président – qui reste en dehors de la mêlée et envoie la Première ministre Elisabeth Borne en première ligne – intervient dans un contexte économique et social tendu.
Les Français subissent les effets d’une forte inflation, à 5,2% en moyenne en 2022, dans un pays qui a été secoué lors du premier mandat d’Emmanuel Macron par les manifestations des « Gilets jaunes » contre la vie chère.
Jeudi, M. Macron est sorti de son silence sur cette réforme depuis Barcelone – où il s’est rendu dans le cadre d’un sommet franco-espagnol – et où il a dit espérer que les manifestations en cours en France se déroulent « sans débordements », tout en défendant un projet qui a, selon lui, déjà été « démocratiquement validé ».
La France est l’un des pays européens où l’âge légal de départ à la retraite est le plus bas, sans que les systèmes de retraite soient complètement comparables. Le gouvernement a fait le choix d’allonger la durée de travail, pour répondre à la dégradation financière des caisses de retraite et au vieillissement de la population. Il défend son projet en le présentant comme « porteur de progrès social » notamment en revalorisant les petites retraites.