Retraites: Emmanuel Macron s’adressera aux Français mercredi, déjà plus de 1 200 actions contre la réforme
Très en retrait pendant toute la contestation, Emmanuel Macron va s’adresser aux Français mercredi pour tenter de désamorcer une situation hautement inflammable, mais n’envisage pas de décision radicale pour sortir de la crise provoquée par l’adoption au forceps de la réforme des retraites.
Ni dissolution du Parlement, ni remaniement du gouvernement, ni référendum sur les retraites: les participants à une réunion du camp présidentiel à l’Elysée ont indiqué que le chef de l’Etat n’envisageait aucune de ces options, mais avait demandé à ses troupes de faire des « propositions » en vue d' »un changement de méthode et d’agenda des réformes ».
Le président français doit s’exprimer mercredi à la mi-journée dans une interview en direct sur les chaînes TF1 et France 2, alors que la tension reste très vive dans le pays. Il doit continuer ses consultations politiques toute la journée de mardi, suspendues cependant en matinée pour aller accueillir à l’aéroport l’ex-otage Olivier Dubois, enlevé au Mali en avril 2021 et de retour en France.
« Le combat continue »
Si la contestation sociale, encadrée par les syndicats pendant deux mois, est restée pacifique, les signes de radicalisation se multiplient depuis plusieurs jours en France. Lundi soir, des poubelles renversées et brûlées, des barricades, des jets de projectiles sur les forces de l’ordre, et des fumigènes ont marqué certaines des manifestations qui ont éclaté spontanément un peu partout en France après l’adoption de la réforme.
Grâce à la procédure décriée du 49.3, qui permet à un texte d’être adopté sans vote sauf si le gouvernement est censuré, la réforme – qui prévoit le recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans – a été officiellement adoptée lundi au Parlement. Mais cet épilogue parlementaire, qui s’est joué par un vote plus serré qu’attendu (avec notamment 19 députés LR sur 61 apportant leurs voix à la motion de censure transpartisane), n’a pas fait retomber la pression sur l’exécutif. Au contraire.
Cet épilogue parlementaire, qui s’est joué par un vote à 9 voix près, beaucoup plus serré qu’attendu – avec notamment 19 députés Les Républicains (LR, droite traditionnelle) sur 61 apportant leurs voix à la motion de censure transpartisane -, n’a toutefois pas fait retomber la pression sur l’exécutif. Au contraire.
« Le combat continue », ont scandé tous les leaders de la coalition de gauche Nupes.
Les opposants à la réforme comptent notamment sur des recours devant le Conseil constitutionnel, également saisi par Elisabeth Borne, et ont dégainé une demande de référendum d’initiative partagée (RIP), dont les Sages doivent examiner la recevabilité.
Certains veulent continuer aussi le combat dans la rue, à l’instar du leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon, qui a appelé à « une censure populaire », « en tout lieu en toute circonstance ».
« Rien n’entame la détermination des travailleurs », a prévenu de son côté le puissant syndicat CGT, tandis que le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger a appelé à la mobilisation pour la prochaine journée de grèves et de manifestations prévue jeudi.
« Colère » et « violences »
M. Berger s’est aussi dit inquiet de la « colère » et des « violences » qui pourraient s’exprimer du fait de l’adoption d’une loi qui n’avait « pas de majorité à l’Assemblée nationale ».
Plusieurs manifestations, souvent émaillées de violences, ont encore eu lieu dans plusieurs villes lundi soir. Près de 300 personnes ont été interpellées, en grande majorité à Paris, où, des poubelles et des vélos ont été incendiés, selon une source policière. Les sapeurs-pompiers sont intervenus 240 fois, selon cette source.
A Donges (ouest), les forces de l’ordre sont intervenues dans la nuit de lundi à mardi pour débloquer un terminal pétrolier, occupé depuis une semaine par des grévistes. A Amiens (nord), la permanence du parti de droite Les Républicains a été vandalisée
Et mardi plusieurs grèves se poursuivaient, notamment dans le secteur pétrolier. Le gouvernement a annoncé des réquisitions de personnel au dépôt pétrolier de Fos-sur-Mer (sud-est) face au blocage.
Tout au long de la journée lundi, la colère s’était illustrée par de nouveaux rassemblements, des piquets de grève, des routes bloquées, des transports perturbés ou encore des stations-service à sec pour la première fois depuis le début du conflit social.
« Plus de 1.200 » actions non déclarées depuis jeudi
« Plus de 1.200 » manifestations non déclarées, « parfois violentes », se sont déroulées sur tout le territoire depuis jeudi, date de l’utilisation du 49.3 pour adopter la réforme contestée des retraites, a dénoncé mardi Gérald Darmanin.
Apportant dans un communiqué son « total soutien » aux forces de l’ordre, le ministre de l’Intérieur français a affirmé que « 94 agents » avaient été blessés depuis jeudi et annoncé qu’il se rendrait dans l’après-midi au « chevet des policiers blessés à Paris ».
M. Darmanin a fait valoir que les forces de l’ordre avaient fait face « à une multiplicité d’actions non déclarées (plus de 1.200) souvent violentes tels que des tentatives d’incendie de sous-préfectures et préfectures, des atteintes à des hôtels de ville ou des permanences parlementaires, des blocages d’axes de communication ».
Il a « rappelé aux responsables de forces de l’ordre leur nécessaire action pour garantir l’intégrité physique des agents du ministère de l’Intérieur ».
Mais alors que magistrats, avocats et politiques dénoncent des gardes à vue « arbitraires », il a souligné « l’indispensable proportionnalité de l’usage de la force et la nécessité de saisir immédiatement les inspections en cas de manquement à la déontologie ».
Selon le dernier bilan consolidé du parquet de Paris, 425 personnes ont été placées en garde à vue lors des trois premières soirées de manifestations spontanées, de jeudi à samedi. Seules 52 d’entre elles ont fait l’objet de poursuites à l’issue. Les chiffres pour les soirées de dimanche et lundi ne sont pas encore disponibles.
Lundi soir, au total, 287 personnes, dont 234 à Paris, ont été interpellées lors d’une cinquième soirée consécutive de manifestations spontanées contre l’usage du 49.3, selon une source policière.
Manifestations et déchets: la mairie de Paris active une « cellule de crise »
La mairie de Paris a décidé d’actionner une « cellule de crise », au lendemain d’une cinquième soirée de manifestations spontanées contre la réforme des retraites dans la capitale, où 9.300 tonnes de poubelles jonchent toujours les trottoirs.
Déjà actionnée pour la crise sanitaire du Covid-19 ou les canicules estivales, cette cellule de crise réunira tous les jours la maire Anne Hidalgo (PS), ses adjoints et les maires d’arrondissement pour « prendre les décisions qui s’imposent afin d’assurer la continuité des services publics » à Paris, indique la mairie dans un communiqué.
Contacté par l’AFP, l’entourage de l’édile socialiste précise que la cellule de crise servira à suivre l’évolution de la collecte des déchets, fortement perturbée depuis plus de deux semaines, mais aussi à informer « les établissements publics des parcours de manifestation ».
Selon la mairie, 9.300 tonnes n’ont pu être ramassées ce mardi, un volume stable par rapport à lundi et qui n’augmente plus depuis le pic symbolique des 10.000 tonnes vendredi, jour des premières réquisitions effectives ordonnées par la préfecture de police.
Anne Hidalgo, qui soutient le mouvement social, « appelle au calme et exhorte le gouvernement à retirer sa réforme et engager le dialogue avec les partenaires sociaux », indique aussi la mairie.
Lundi, Jean-Pierre Lecoq, le maire LR du VIe arrondissement, un secteur très touché par le défaut de collecte, avait signalé à l’AFP un « début d’incendie devant une crèche privée » lié à un feu de poubelle.
« Il y a urgence » sur le plan sanitaire, a estimé l’élu d’opposition, selon lequel les réquisitions ordonnées par la préfecture de police, après un refus de la mairie de les demander, ont jusqu’ici un « effet limité ».
Depuis jeudi, ces réquisitions « ont permis la mise en place d’un service minimum » avec notamment « 206 camions (qui) ont ainsi pu être mis en service », a affirmé mardi la préfecture de police dans un communiqué.
« Quatre centres de tri de déchets ont fait l’objet d’un déblocage par les forces de l’ordre pour permettre la sortie de ces véhicules », a ajouté la préfecture.
Deux des trois usines d’incinération desservant la capitale, à Ivry-sur-Seine et Issy-les-Moulineaux, étaient « complètement bloquées » mardi comme la veille, un barrage filtrant laissant passer certains camions à Saint-Ouen, indique le syndicat métropolitain qui les gère, le Syctom.
Quant au centre de transfert de Romainville, crucial pour l’évacuation des déchets, il avait été bloqué une heure mardi matin, précise le Syctom.
A Ivry, la grève a été reconduite jusqu’à jeudi inclus. A Issy, les adhérents de la CGT ont voté « à l’unanimité » la poursuite du mouvement pour 48 heures supplémentaires, a indiqué une responsable syndicale à l’AFP.