France: les stratégies des partis pour l’emporter aux législatives
Les formations politiques françaises vont devoir rivaliser d’ingéniosité pour s’imposer face à leurs adversaires. Le temps presse: la campagne ne durera que deux semaines.
Depuis ce lundi 17 juin 2024, les Français savent pour quels candidats ils pourront voter les 30 juin et 7 juillet prochains, pour les deux tours des législatives. Les listes électorales sont fixées et montrent à quoi ressemble désormais l’échiquier politique. Au menu, cinq forces politiques principales: le Nouveau Front populaire unissant toute la gauche, la coalition Ensemble incarnant le bloc macroniste, le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen et Jordan Bardella, le parti d’extrême-droite Reconquête mené par Eric Zemmour, et enfin Les Républicains (LR, droite) tiraillés par la tentative d’alliance avec le RN voulue par leur président Eric Ciotti.
La campagne électorale proprement dite peut maintenant commencer. En moins de quatorze jours, chacun va devoir convaincre les électeurs (et les abstentionnistes) de voter pour son camp. Un défi.
Nouveau Front populaire: rester unis avant tout
Pour le politologue Pascal Delwit, professeur à l’ULB, la gauche a réussi son tour de force en formant une union en seulement quelques jours. «C’est un changement important par rapport aux présidentielles de 2022, à deux points de vue, expose-t-il. Premièrement, il y a un rééquilibrage des rapports entre les composantes du Nouveau Front populaire. Contrairement à la NUPES (la coalition de gauche formée il y a deux ans, ndlr), cette nouvelle formation est moins favorable à LFI (La France insoumise, gauche radicale) et plus au PS (qui a le vent en poupe depuis ses résultats honorables obtenus lors des élections européennes, avec 13,8%, ndlr). D’autre part, cette année, l’ensemble du centre-gauche s’est joint à l’alliance, y compris François Hollande.»
La dynamique est donc plutôt bonne. Il n’empêche, des difficultés demeurent, dont l’absence de leader. Elle révèle le tiraillement inhérent au Nouveau Front populaire, qui reste divisé sur de nombreuses questions politiques. En votant pour cette coalition, les Français ne savent pas avec précision qui pourrait devenir leur Premier ministre. Plusieurs noms ont été évoqués, au premier rang desquels celui de François Ruffin. Ce documentariste et député (président d’un micro-parti, Picardie debout!, proche de LFI) est présenté comme le concepteur de cette union de la gauche, mais il peine à s’imposer face à d’autres poids lourds comme Jean-Luc Mélenchon et Raphaël Glucksmann (le premier représentant un repoussoir pour le centre-gauche, et le deuxième un red flag pour la gauche radicale).
Pour Pascal Delwit, le principal défi du Front sera de préserver son unité. Si cela se concrétise, «il y aura très peu de concurrence intra-gauche», prédit-il. Un élément décisif pour s’imposer. Car en rassemblant au moins 30-35% de l’électorat, la coalition pourra facilement passer au second tour des législatives dans de nombreuses circonscriptions. «En 2022, des rivalités à gauche avaient empêché la NUPES d’atteindre cet objectif, notamment dans le Pas-de-Calais et en Occitanie. Ici, le Nouveau Front populaire peut espérer aller plus loin et, in fine, renforcer sa présence à l’Assemblée nationale, surtout si elle insiste sur un élément cohésif fort: la lutte contre l’extrême droite.»
Ensemble: préserver un centre qui se délite
Dans le clan macroniste, le combat contre le RN fait aussi office de slogan de campagne. Sauf qu’ici, le président adapte quelque peu cet argument dans sa rhétorique. Il ne s’agit pas seulement de s’opposer à «un extrême», celui de droite, mais «aux extrêmes», le Nouveau Front populaire étant assimilé à l’extrême gauche vu la place importante des militants de LFI dans son ADN. En filigrane, le but est de rassembler les électeurs ayant peur de ces deux camps polarisés.
«Les macronistes proposent un vote contre, mais pas vraiment pour», constate le politologue. Ensemble a du mal à proposer un programme fédérateur. «Emmanuel Macron veut conserver le centre-gauche tout en faisant le plein à droite. Mais les préoccupations de ces deux composantes sont opposées. À droite, les préoccupations, ce sont le budget et l’immigration. À gauche, c’est le pouvoir d’achat, ce qui implique des dépenses.» Le bloc présidentiel va donc devoir jouer les funambules pour parvenir à obtenir un maximum de votes.
Problème supplémentaire: Emmanuel Macron est un président sortant qui pâtit de l’usure du pouvoir. «Il est extrêmement impopulaire. Donc à mon sens, son seul créneau, c’est de se présenter comme la force de résistance aux extrêmes. La prise de parole de Kylian Mbappé, qui s’inscrit dans cette lignée et qui a sûrement été appelé par le président, montre cette volonté.»
RN: surfer sur la dynamique des européennes
Au RN, les militants se rêvent déjà à la tête de Matignon grâce aux 31,4% obtenus aux européennes. Leur président, Jordan Bardella, bénéficie clairement d’une aura auprès de la jeunesse, du fait de ses vidéos accrocheuses sur les réseaux sociaux. Le parti tentera vraisemblablement de capitaliser sur cette popularité.
Son souci, c’est la difficulté à créer une coalition. La semaine dernière est riche en enseignements de ce point de vue. Eric Zemmour a refusé tout rapprochement et a décidé d’expulser de son parti la nièce de Marine Le Pen, Marion Maréchal, qui était favorable à une telle coopération. Le RN a également tenté de s’allier à LR, avec la bénédiction d’Eric Ciotti. Un échec, vu le refus de l’immense majorité des adhérents LR de se rapprocher de Marine Le Pen. Cela prive le RN de précieuses voix pour les législatives.
Même en interne, le Rassemblement national rencontrera quelques difficultés. «Le parti doit parler en même temps à son électorat du Nord, réputé plus populaire, et du Sud, plus privilégié, analyse Pascal Delwit. Pour le premier, une alliance avec Ciotti peut par exemple être problématique, car il représente la droite classique pour les classes plus modestes, qui veulent se détourner des partis de gouvernement. Il faudra vérifier cet impact. Il s’agit d’une inconnue».
Reconquête: un parti moribond?
Chez Reconquête, la position d’Eric Zemmour est aujourd’hui très délicate. «Son parti est né à partir d’une dissidence du RN. Une fusion avec celui-ci représente donc un scénario improbable. Et s’il faisait jeu égal avec le RN en 2021 dans les intentions de votes, cette dynamique ne s’est jamais concrétisée depuis», rappelle le politologue de l’ULB.
Compte tenu de cette perte de vitesse et du système électoral français (les législatives étant basées sur un scrutin majoritaire et non proportionnel), l’expert ne voit pas de perspectives pour Reconquête, si ce n’est peut-être une: s’allier aux militants LR les plus radicaux. Faut-il imaginer demain Eric Zemmour main dans la main avec Eric Ciotti? «Il faut se montrer ouvert sur ce qui peut se passer. On pourrait avoir une refondation de la droite, et c’est une possibilité», estime Pascal Delwit.
LR: survivre avant de tenter de rebondir
Pendant ce temps, l’ancien parti de Nicolas Sarkozy semble à l’agonie. Le rapprochement d’Eric Ciotti avec le RN a créé la zizanie en interne. Les figures de proue de la formation de droite tentent aujourd’hui de démettre leur président de ses fonctions. Un conflit qui tombe particulièrement mal, puisqu’il met LR en position de faiblesse en vue des législatives.
«LR n’a plus de colonne vertébrale, mais le parti peut toutefois compter sur un véritable ancrage territorial», objecte Pascal Delwit, qui estime que tout n’est pas perdu pour Les Républicains. Il en veut pour preuve le nombre important de sièges qu’ils détiennent au Sénat. Cela pourrait leur sauver la mise dans certaines circonscriptions lors des législatives.
Le politologue pense que LR pourrait même tenter un retour en force après les élections. «Ici, l’enjeu sera d’avoir un groupe parlementaire. Ensuite, en fonction des résultats, il faudra voir comment s’opérera la recomposition à droite. Si bloc macroniste s’écroule, ce qui représente une éventualité, LR pourrait combler le vide qui se créerait. Mais est-ce qu’ils arriveraient à aggréger la droite libérale et conservatrice, comme au temps de Sarkozy, ou seulement conservatrice? Dans quelles conditions cela va intervenir? Il faudra garder ça à l’œil.»
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