France: le RN face à un dilemme en cas d’inéligibilité de Marine Le Pen
Face à une accusation réclamant son inéligibilité, Marine Le Pen risque d’être écartée de la présidentielle de 2027. Un scénario auquel se prépare le Rassemblement national.
Les risques d’inéligibilité planant à l’encontre de la dirigeante d’extrême droite Marine Le Pen constituent un mini-séisme dans la vie politique française, son parti, potentiellement orphelin de sa cheffe pour la présidentielle de 2027, pouvant être tenté de répondre en censurant le fragile gouvernement en place.
Le procès contre le Rassemblement national (RN), accusé d’avoir détourné l’argent du Parlement européen pour financer ses besoins internes, ne passionnait guère la France depuis son ouverture le 30 septembre.
Jusqu’au réquisitoire très dur mercredi soir: l’accusation a requis cinq ans de prison, dont deux ans ferme aménageables, 300.000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité contre celle que les sondages donnent parmi les favoris pour succéder à Emmanuel Macron. Si le tribunal suit ces réquisitions, Mme Le Pen, 56 ans et déjà trois fois candidate malheureuse à la présidence, deviendrait inéligible dès le prononcé du verdict, attendu début 2025, et ce même en cas d’appel.
Plan B comme Bardella
«La seule chose qui intéressait le parquet, c’était Marine Le Pen pour pouvoir demander son exclusion de la vie politique (…) et puis le Rassemblement national pour pouvoir ruiner le parti», a protesté la principale intéressée. «Qu’on arrête (de faire comme si le RN) ne serait pas capable de présenter un candidat: ils ont un candidat de rechange», a rétorqué l’ex-ministre Xavier Bertrand (droite), ajoutant : «il s’appelle Bardella, il n’attend que cela».
L’actuel président du RN, qui a succédé à Marine Le Pen à la tête du parti, n’a pas manqué de témoigner de sa loyauté envers sa mentor, en dénonçant «une atteinte à la démocratie» et en s’associant sur X à la campagne #JeSoutiensMarine. Car le jeune homme au costume impeccablement cintré et à la diction soignée n’est pas poursuivi par la justice, contrairement à Mme Le Pen, son parti et 24 autres prévenus.
«Les adversaires du RN crient victoire trop tôt», prévient le chercheur Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême-droite en France, interrogé par l’AFP. «Car une inéligibilité de Marine Le Pen serait sans doute perçue par les électeurs du parti comme une forme de persécution, d’acharnement de la part d’un juge réputé politisé. Et je ne suis pas persuadé que la victoire soit plus facile contre Jordan Bardella que contre Marine Le Pen.»
Si M. Bardella a en effet échoué à accéder au poste de Premier ministre lors des législatives anticipées de l’été, consécutives au triomphe du RN aux européennes de juin, dont il était tête de liste, il bénéficie d’une large cote de sympathie.
Censure contre Le Pen?
Mardi soir, en petit comité, Marine Le Pen affectait le calme des vieilles troupes avant le réquisitoire: «l’accusation va accuser, ce qui ne me fera pas tomber de ma chaise, a priori…». Elle ne s’offusquait même des propos de Jordan Bardella qui, le même jour, avait expliqué que c’étaient «les circonstances» qui «déterminent» la meilleure candidature à la présidentielle.
Mais celle qui s’était engagée à ne pas censurer d’office le gouvernement minoritaire de centre droit du Premier ministre Michel Barnier, formé le 21 septembre, s’est soudainement fait menaçante. «Oui, il y a un chemin qui s’est fait dans mon esprit», lançait-elle, en prévenant que «ceux qui sont confiants ne devraient pas l’être tant que ça». Le RN est en position d’arbitre à l’Assemblée nationale, où il constitue le groupe le plus important avec 125 élus sur 577 sièges.
En privé, ses lieutenants décryptaient: «Ce qui nous retenait de voter la motion de censure, c’étaient deux électorats de conquête, les retraités et les chefs d’entreprise, dont nous craignions qu’ils nous accusent d’irresponsabilité si nous faisions sauter le gouvernement». Or, poursuit l’un des mêmes, «ceux-là nous demandent maintenant aussi de censurer», ajoutant leurs voix à celles de «notre électoral historique».
«Michel Barnier a choisi le chemin de la censure du Rassemblement national», a affirmé jeudi soir le député Jean-Philippe Tanguy sur la chaîne BFMTV, en précisant que le groupe parlementaire trancherait sur cette question. De son côté, Jordan Bardella a récusé tout lien entre les ennuis judiciaires du RN et la décision de censurer ou pas le gouvernement. «On ne mélange pas tout», a-t-il dit sur Europe 1 et CNews.