Jean-Luc Mélenchon, leader de La France insoumise, habile stratège mais idéologue toujours virulent. © BELGAIMAGE

Crise politique en France: la gauche a évolué, mais Mélenchon reste un repoussoir

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le Nouveau Front populaire s’est imposé comme une coalition fiable au dam de ses détracteurs qui pariaient sur sa fragilité. Cependant, l’unité crée des contraintes.

Entre le soir du deuxième tour des élections législatives le 7 juillet, qui a vu sa victoire surprise, et le matin du premier cycle de discussions visant à désigner un Premier ministre que sa délégation a inauguré le 23 août, la gauche française a opéré une mue pour espérer être adoubée pour gouverner. En vain.

Il y a huit semaines, grisé par le succès du Nouveau Front populaire (NFP) aux dépens des listes de la macronie et de l’extrême droite, le leader de sa principale composante, La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, clamait, contre toute vraisemblance au vu de la majorité relative obtenue, que le NFP «appliquera son programme, rien que son programme, mais tout son programme». Il y a une semaine, Lucie Castets, désignée candidate Première ministre de la coalition le 23 juillet, se disait pourtant prête, dans les jardins de l’Elysée, à «aller construire des coalitions, et à discuter avec les autres forces politiques» pour faire adopter par l’Assemblée nationale des pans de ce programme…

Mais le temps a-t-il vraiment fait son œuvre dans l’assouplissement des positions de La France insoumise? Ses détracteurs, en tout cas, président Macron en tête, n’y ont pas cru ou n’ont pas voulu croire en la capacité de Lucie Castets de faire entendre raison au partenaire insoumis, puisque après le chiffon rouge des ministres LFI, c’est celui du programme d’un gouvernement Castets, nécessairement soumis aux diktats de Jean-Luc Mélenchon, qu’ils ont agité pour justifier de ne pas la nommer.

Obstacles surmontés

Beaucoup d’intentions auront été prêtées par ses adversaires au Nouveau Front populaire depuis sa création dans la foulée de la dissolution décidée par le président français au soir des élections européennes largement remportées, le 9 juin, par le Rassemblement national emmené par Jordan Bardella. Emmanuel Macron avait sans doute pronostiqué, en dégainant l’arme périlleuse des élections anticipées, que minée par le délitement de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) malgré sa bonne tenue aux législatives de juin 2022, la gauche serait dans l’incapacité de reformer une entente. Dans la semaine suivant l’annonce de la dissolution, ses composantes, les mêmes que celles de la Nupes (le Parti socialiste, Europe Ecologie Les Verts, le Parti communiste et La France insoumise), s’entendaient sur une répartition des circonscriptions et sur un programme. Résultat: le Nouveau Front populaire s’engageait dans la bataille avec une stratégie cohérente, à laquelle seul le Rassemblement national pouvait aussi prétendre, alors que Les Républicains, écartelés entre aile Ciotti et aile Wauquiez, et les forces de l’ex-majorité présidentielle se déchiraient ou peinaient à se remettre du coup de poker du président.

Le Nouveau Front populaire a donc traversé les élections législatives précipitées en alimentant l’espoir d’un renouveau au sein du peuple de gauche et, après la victoire du Rassemblement national au premier tour, en s’érigeant en principal rempart à l’arrivée de l’extrême droite à Matignon. Fort du plus grand nombre de députés même si leur total était très éloigné de celui lui offrant une majorité absolue, il a légitimement revendiqué l’exercice du pouvoir exécutif. Ses contempteurs ont alors parié sur son incapacité, devant ce nouveau défi, à forger un consensus pour désigner un candidat Premier ministre. Après avoir lancé sans grande concertation des ballons d’essai de personnalités supposées éligibles au poste, les partis de la coalition ont fini, après deux semaines, par s’accorder sur un profil inconnu mais de nature à fédérer toutes les sensibilités. Lucie Castets, ancienne directrice des finances et des achats de la Ville de Paris et fondatrice du collectif Nos services publics, a peiné à s’affirmer. Mais elle a gagné en crédibilité pour s’imposer naturellement comme l’incarnation d’un potentiel gouvernement siglé NFP. Aucune autre force politique, depuis le 7 juillet, n’a œuvré de la sorte pour présenter une solution à la crise née de la dissolution et de la scission de la représentation parlementaire en trois forces presque égales.

«Jean-Luc Mélenchon empêche la gauche de montrer qu’elle veut apaiser le pays.»

Dissidences limitées

Même les nouvelles sorties débridées de Jean-Luc Mélenchon (n’excluant pas, un temps, de briguer le poste de chef du gouvernement ou appelant à contre-temps à la destitution du président), même les informations subrepticement distillées sur la possibilité que l’Elysée choisisse une personnalité socialiste pour former le gouvernement n’ont pas semé de zizanie fatale au Nouveau Front populaire. Des voix, cependant, se sont élevées à la droite de la gauche pour prôner une rupture avec le «Lider Maximo» de La France insoumise. Raphaël Glucksmann, qui a mené la liste du Parti socialiste aux élections européennes avec succès, a estimé dans une interview accordée au Point le 22 août qu’il fallait «tourner la page Macron et Mélenchon». Mais l’homme, leader du mouvement Place publique associé au PS, s’est mis en quelque sorte à l’écart du Nouveau Front populaire, même s’il a soutenu son action lors des législatives, en refusant de participer aux discussions postélectorales. Il a en effet jugé qu’«il aurait fallu engager dès le soir du second tour un dialogue avec les partis politiques ayant participé au front républicain contre le Rassemblement national sur la base des priorités, comme l’augmentation du Smic, le retour de l’impôt sur la fortune ou l’accélération de la transition écologique». Il dit aujourd’hui travailler à l’émergence d’une force sociale-démocrate pour faire face au lepénisme en 2027, année de la prochaine élection présidentielle. Une perspective trop lointaine pour faire partie aujourd’hui des prétendants, si tant est qu’il le voudrait, au poste de chef de gouvernement d’une coalition centriste élargie sur laquelle travaille Emmanuel Macron.

Malgré l’évolution de ses positions dans ces négociations pour accéder à Matignon, la gauche souffre donc toujours de l’extrémisme de celui qui reste sa figure dominante, Jean-Luc Mélenchon. Le secrétaire national du Parti socialiste, Sébastien Vincini, pourtant proche du premier secrétaire Olivier Faure, a résumé le 26 août l’enjeu pour toute alliance progressiste candidate au pouvoir: «Il est temps que Jean-Luc Mélenchon passe la main. Car il empêche la gauche de montrer qu’elle veut apaiser le pays.» Encore faudrait-il qu’elle puisse lui substituer une personnalité aussi forte, ce qui n’est pas gagné, même si la séquence politique actuelle a révélé les compétences de quelques promesses, dont la leader des écologistes, Marine Tondelier.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire