France: pourquoi la gauche peine à traduire sa victoire électorale
Elle doit surmonter ses dissensions internes et trouver les moyens de gouverner dans une Assemblée nationale dominée, comme jamais auparavant, par trois blocs. Pas simple.
Les Français vont devoir apprendre la patience en politique. Fini, les élections législatives qui confortent le président qui vient d’être élu. Emmanuel Macron en a fait l’expérience en juin 2022 quand les électeurs n’ont accordé à ses candidats qu’une majorité relative. S’en sont suivis deux ans de tractations au Parlement, de votes de réformes au cas par cas, et de recours à l’article 49.3 permettant de contourner la sanction des députés si ceux-ci n’ont pas intérêt à faire tomber le gouvernement par une motion de censure.
Les élections législatives des 30 juin et 7 juillet, résultat de la dissolution voulue par le président, ont compliqué un peu plus la donne en accordant une majorité plus relative encore au groupe politique le plus puissant et en plaçant la gauche sur la première marche d’un podium devant l’ex-majorité présidentielle et le Rassemblement national, mais avec des écarts restreints. Le Nouveau Front populaire, rassemblant La France insoumise, le Parti socialiste, Europe Ecologie Les Verts et le Parti communiste, a certes remporté la victoire électorale. Mais le chemin vers une victoire politique est encore semé d’embûches. Coalition majoritaire? Gouvernement minoritaire? Exécutif technique? Les espoirs des vainqueurs risquent de se heurter à la réalité d’une France divisée en trois blocs, et au bord du blocage complet.
«Quand deux forces s’équilibrent dans une coalition, cela favorise la troisième.»
Un gouvernement pour quand?
Logiquement, après la défaite de la coalition macroniste aux élections législatives (168 élus pour 250 dans la précédente assemblée), le Premier ministre Gabriel Attal a présenté sa démission au président le 8 juillet. Logiquement, en raison de l’absence de majorité absolue d’un autre groupe politique, Emmanuel Macron lui a demandé de surseoir à la mettre en œuvre et d’assurer la continuité de la gouvernance du pays. Les Jeux olympiques de Paris s’ouvrent le 26 juillet. Le président entend «attendre la structuration de la nouvelle Assemblée nationale pour prendre les décisions nécessaires, […] conformément à la tradition républicaine», a communiqué l’Elysée.
Les «échéances couperets», de nature à forcer la composition d’un exécutif, sont la tenue de la première session de la nouvelle Assemblée nationale le 18 juillet, au cours de laquelle pourrait théoriquement être déposée une motion de censure du gouvernement Attal, et plus vraisemblablement la rentrée parlementaire du 1er octobre. Les Jeux olympiques auront fini de dérouler leurs fastes.
L’article 8 de la Constitution énonce que le président nomme le Premier ministre. Aucun autre prescrit ne le contraint. Mais la tradition veut qu’il choisisse le chef du gouvernement dans le premier groupe politique de l’assemblée. Le Nouveau Front populaire (NFP) a gagné les élections législatives en envoyant 182 députés au palais Bourbon, pour 168 à l’ancienne majorité Ensemble et 143 au Rassemblement national et à ses alliés, dissidents du parti Les Républicains sous l’impulsion du député réélu Eric Ciotti.
Mélenchon moins hégémonique
Mais comment parvenir à gouverner avec une majorité relative dans un Parlement écartelé entre trois blocs de force équivalente? C’est le dilemme qui se pose à la gauche française. Compromis ou pas compromis? Le soir du scrutin, Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise, demeurée la principale composante du NFP, a dit son intention d’appliquer tout son programme, rien que son programme. Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste, a répété le même mantra. Faut-il y voir une fin de non-recevoir à tout élargissement de l’assise parlementaire du Nouveau Front populaire et à toute négociation?
«Il n’est pas possible de dire d’emblée qu’on appliquera pas le programme. Il fallait envoyer le signe que les choses ont changé à l’électorat de gauche. D’ailleurs, Olivier Faure n’a pas dit qu’il fallait appliquer tout le programme du Nouveau Front populaire de la même manière que Jean-Luc Mélenchon. Et Marine Tondelier (NDLR: secrétaire nationale d’Europe Ecologie Les Verts) ne l’a pas dit de la même façon non plus. On est encore dans une phase de négociations et de construction d’un rapport de force», analyse Rémi Lefebvre, professeur des universités à l’université de Lille et auteur de Faut-il désespérer de la gauche? (Textuel, 2022).
Un rapport de force qui aurait changé. Composante du Nouveau Front populaire, La France insoumise reste un repoussoir aux yeux de beaucoup de citoyens par la radicalité de ses idées. Alors qu’elle était dominante au sein de la gauche française à l’issue des élections législatives de 2022, ce n’est plus si évident aujourd’hui. «Ce qui était prévisible est arrivé: La France insoumise n’est plus du tout hégémonique, souligne Rémi Lefebvre. Au sein de la coalition du NFP, elle est minoritaire. Proches, les socialistes et les écologistes sont plus forts que La France insoumise seule (NDLR: ils disposent respectivement de 59 et 28 députés qui, additionnés (87), dépassent les 74 élus de LFI). Celle-ci n’a pratiquement rien gagné lors de ces élections. Affirmer que le NFP est l’otage de LFI est faux. C’est une donnée importante. Cela signifie que la proposition de Premier ministre formulée par la gauche sera déjà un indice des rapports de force internes.»
Marine Tondelier, la voie médiane?
Depuis le 7 juillet, les cadres de La France insoumise n’ont pourtant pas cessé d’affirmer que leur formation était légitime à proposer le nom du futur Premier ministre, et même que Jean-Luc Mélenchon, épouvantail des épouvantails, n’était nullement «disqualifié» pour briguer le poste. On ne l’entend pas tout à fait de cette oreille dans les trois autres composantes du Nouveau Front populaire, le Parti socialiste, Europe Ecologie Les Verts et le Parti communiste. «Quand deux forces s’équilibrent dans une coalition, comme c’est le cas pour La France insoumise et le Parti socialiste, cela favorise la troisième force. C’est ce qui est en train de se passer en faveur de Marine Tondelier», souligne le professeur de l’université de Lille. Les socialistes, les écologistes et les communistes semblent se rejoindre pour estimer que leur chef de gouvernement doit être une personnalité qui rassemble au sein de la gauche, et au-delà au sein de l’ensemble des Français. C’est pour favoriser cette solution que d’aucuns prônent que le Premier ministre de gauche soit désigné au terme d’un vote de tous les députés NFP, et non au cours d’un conclave entre dirigeants des différents partis.
«Une des options envisagées par Jean-Luc Mélenchon est la crise institutionnelle: ne transiger sur rien, et préparer les autres échéances.»
Les négociations entre les partis du Nouveau Front populaire sont donc cruciales pour l’avenir de la gauche en France. Soit ils taisent leurs divergences, maintiennent en vie leur alliance et peuvent prétendre gouverner. Soit ils se déchirent, ruinent leur projet et déçoivent leurs supporters. «La négociation actuelle est bien plus ardue que celles menées avant le premier tour des législatives sur la répartition des circonscriptions et sur la confection du programme, insiste Rémi Lefebvre. La gauche doit d’abord se mettre d’accord entre ses composantes avant de commencer à négocier avec quelqu’un d’autre, sachant que les deux négociations sont liées puisque le Nouveau Front populaire a intérêt à proposer quelqu’un de relativement ouvert comme Premier ministre pour espérer pouvoir négocier avec un autre partenaire dans une deuxième phase.» Or, pense l’auteur de Faut-il désespérer de la gauche?, «une des options envisagées par Jean-Luc Mélenchon est la crise institutionnelle: ne transiger sur rien, n’accepter aucune alliance et préparer les autres échéances. Il ne bradera pas sa radicalité. C’est son fond de commerce, son positionnement politique. Les autres composantes du Nouveau Front populaire sont plus conciliantes.»
De manière plus globale, Rémi Lefebvre souligne le dilemme du Nouveau Front populaire. «La gauche ne peut pas faire naître trop d’espoirs parce qu’elle ne veut pas causer trop de déceptions. Quoi qu’il arrive, sa capacité d’action sera limitée. L’exercice du pouvoir est déjà compliqué en soi pour la gauche. Cela vaut-il le coup de l’assumer quand on n’en a pas les moyens législatifs? C’est une question redoutable.»
La botte secrète de Macron?
De là à penser que le NFP pourrait imploser et que cette déflagration pourrait ouvrir la voie à une coalition alternative au centre, il n’y a qu’un pas que certains rêvent de poser. Elle regrouperait des éléments du parti Les Républicains, les rescapés de l’ex-majorité présidentielle et des représentants de la gauche modérée pour former, si pas une majorité absolue, une majorité relative plus forte que celle de la gauche unie. Mais elle impliquerait que les socialistes, par exemple, renoncent à un point majeur de leur programme, l’abrogation de la réforme des retraites, ou que les macronistes renient un des principaux acquis de leur législature. Improbable.
Si cette ambition d’une réunion du centre-droit et du centre-gauche ne se concrétise pas, une alliance entre ce qui reste de la macronie et LR pourrait encore constituer une force disposant d’une majorité relative, mais plus puissante que celle du Nouveau Front populaire (228 élus, si on leur adjoint les 14 députés divers droite contre 182 au NFP)… Est-ce cette évolution que le président veut encourager en disant «attendre la structuration de la nouvelle Assemblée nationale pour prendre les décisions nécessaires»? Après avoir espéré, pour certains, que l’extrême droite dirige le gouvernement, et pour d’autres qu’un Premier ministre de gauche s’installe à Matignon, les Français pourraient être gagnés par un immense ressentiment à la vision d’un exécutif prêt à appliquer la même politique qu’avant le séisme de la dissolution.
Faute d’un gouvernement minoritaire de gauche et d’une coalition majoritaire ou minoritaire du centre élargi, il ne resterait plus à la France que de tester un «exécutif technique» de personnalités indépendantes chargées de gérer les affaires courantes et de faire voter des législations consensuelles jusqu’à la prochaine dissolution, permise seulement dans un an. Mais pas sûr que ce scénario calmerait les attentes, et potentiellement la colère, de la population.
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