France: à qui profite la trêve olympique? «Le camp présidentiel coupe l’herbe sous le pied de la gauche»
La liesse des Jeux olympiques relègue au second plan l’incertitude politique française. Une aubaine pour Emmanuel Macron, qui entend bien reprendre la main sur la nomination d’un nouveau Premier ministre. La ferveur patriotique qui s’empare du pays pourrait aussi servir les intérêts du Rassemblement national.
Une parenthèse enchantée. Depuis dix jours, un vent d’enthousiasme et de légèreté souffle sur une France d’ordinaire résignée dans l’aigreur. Organisation (presque) sans faille, triomphe esthétique, moisson de médailles: les Jeux de Paris sont un véritable succès. L’engouement populaire éclipserait presque les déboires politiques qui ont secoué le pays au début de l’été. Pari réussi pour Emmanuel Macron?
Avec la trêve politique déclarée durant toute la durée des Jeux, le président français semble en tout cas reprendre fermement les rênes du pays. En multipliant les apparitions sur le terrain et sur les réseaux pour féliciter les athlètes médaillés, le chef de l’Etat tente de récolter les lauriers de la réussite olympique et, dans le même temps, parvient à ne pas disparaître totalement des radars malgré tout.
Le camp présidentiel s’attribue également le succès de la cérémonie d’ouverture. «Macron joue sur l’image d’une France ouverte à l’international, libérée culturellement et socialement, note Luc Rouban, directeur de recherches CNRS à Sciences Po. En récupérant cette diversité et en se l’appropriant, le macronisme coupe l’herbe sous le pied de la gauche, notamment de la France insoumise, qui est habituellement défenseuse de cette vision progressiste.»
Lucie Castets aux oubliettes?
La gauche, initialement très critique vis-à-vis de l’organisation de ces Jeux, notamment sur le plan social et environnemental, peine à faire entendre sa voix devant tant de ferveur. «Le Nouveau Front Populaire risque de passer pour un ‘mauvais coucheur’ ou être taxé d’aigri en rabâchant cet argument», estime le politologue. Conscients de l’exaltation française, certains membres de la gauche jouent plutôt la carte de l’«héritage», en rappelant que la candidature de Paris avait été portée sous le quinquennat Hollande. Et que la réussite de l’événement tient aussi aux qualités de la maire socialiste de la Ville Lumière, Anne Hidalgo.
Une posture qui ne suffira pas à garder la main sur la nomination d’un Premier ministre, malgré la victoire du Nouveau Front Populaire au second tour des législatives, tranche le directeur de recherches. «A partir du 12 août, Macron va récupérer la mainmise sur l’initiative politique. Il va sortir de sa posture défensive adoptée à la suite du second tour.» Pour Luc Rouban, la candidature de Lucie Castets, sur laquelle s’était accordée in extremis le Nouveau Front Populaire avant le début des Jeux, est «déjà passée à la trappe». «Macron choisira une personnalité issue du centre ou du centre-droit pour Matignon», prédit le politologue. Le camp présidentiel aurait d’ailleurs récemment suggéré le nom de Xavier Bertrand pour le poste, issu des Républicains et président des Hauts-de-France. Une hypothèse qualifiée d’«aberration» par Lucie Castets.
Le patriotisme à la fête
Si la gauche semble être la grande perdante de la trêve olympique, qu’en est-il de l’extrême droite? A défaut de jouer sur l’argument de la menace sécuritaire et terroriste, à laquelle échappe l’événément jusqu’ici, les troupes de Marine Le Pen pourraient surfer sur la déferlante patriotique. Et, ce, malgré leur posture critique en début de quinzaine à l’égard d’une cérémonie d’ouverture jugée trop «woke». «Les Jeux olympiques sont une fête populaire, certes, mais qui exaltent les valeurs nationalistes, rappelle Luc Rouban. Ça peut faire le jeu de l’extrême droite qui pousse cette valeur à son paroxysme.»
«Les Jeux olympiques sont une fête populaire, certes, mais qui exaltent les valeurs nationalistes. Ça peut faire le jeu de l’extrême droite qui pousse cette valeur à son paroxysme.»
Luc Rouban
Politologue et directeur de recherches CNRS à Sciences Po
Les drapeaux tricolores n’ont en tout cas jamais été autant arborés dans l’Hexagone. Mais après l’ivresse populaire, gare à la gueule de bois. Une fois la page olympique tournée, les problèmes politiques referont surface. Et l’atterrissage risque d’être brutal.
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