Parmi les prévenus qui comparaissent dans le cadre des émeutes liées à la mort du jeune Nahel, une constante saute aux yeux : la surreprésentation des jeunes hommes.

Pourquoi peu de filles dans les émeutes en France? « Traditionnellement, la voyoucratie reste le fait des garçons »

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Où sont les femmes ? Parmi les prévenus qui comparaissent dans le cadre des émeutes liées à la mort du jeune Nahel, une constante saute aux yeux : la surreprésentation des jeunes hommes dans les tribunaux.

Après une succession de nuits tumultueuses dans plusieurs villes françaises, l’heure est à l’apaisement. Et au bilan. D’après les chiffres transmis par le ministère de la Justice mardi, 3.625 personnes ont été placées en garde à vue dans le cadre des émeutes qui ont suivi la mort du jeune Nahel, parmi lesquelles 480 ont été jugées en comparution immédiate. Depuis lundi, les tribunaux aux quatre coins de l’Hexagone voient défiler des prévenus aux profils extrêmement variés. Lycéens, apprentis boulangers, étrangers sans papiers et étudiants bien insérés se croisent en salles d’audience. Certains sont mineurs, d’autres ont la trentaine bien entamée. Beaucoup étaient jusqu’alors inconnus des services de police. Mais, selon les journalistes du Monde qui couvrent les comparutions, très peu de femmes sont jugées.

Comment expliquer cette surreprésentation des hommes ? La délinquance et la criminalité sont-elles réservées uniquement au sexe masculin ? La plupart des études auto-reportées (soit des études au cours desquelles les personnes interrogées fournissent des informations sur leurs comportements délinquants) montrent qu’en général, les filles sont souvent sous-représentées au niveau des conduites délictueuses, confirme Cécile Mathys, professeure au sein du département de criminologie et directrice du Centre recherche intervention jeunesse de l’ULiège. « Si l’on s’intéresse à l’implication dans des bagarres ou des coups et blessures volontaires, deux jeunes sur 10 disent être concernés, dont un peu plus d’une fille pour trois garçons, précise la chercheuse. Par contre, dans des groupes plus ciblés, par exemple chez les jeunes placés en IPPJ suite à des infractions, on remarque que les jeunes filles ont des conduites similaires à celles des jeunes hommes en termes de prévalence et de contenus, que ce soit pour des faits mineurs ou graves. »

Principe d’identification

Dans le cadre des troubles liés à la mort de Nahel, plusieurs facteurs peuvent expliquer la surreprésentation des garçons parmi les émeutiers. Tout d’abord, la protestation concerne un jeune homme de 17 ans, qui a été tué par la police. « Il y a donc davantage de possibilités de s’identifier à Nahel pour les jeunes garçons, moins pour les jeunes femmes, observe Cécile Mathys. Beaucoup ont perçu son décès comme une véritable injustice, qui les a conduit à descendre dans les rues. »

Malgré de légères évolutions, l’espace public reste davantage réservé aux hommes qu’aux femmes, rappelle également la professeure de l’ULiège. « Les jeunes femmes ont encore tendance à être plus confinées au sein de la sphère familiale, avec parfois, une plus grande sévérité en matière d’autorité parentale pour les heures de sorties des filles par rapport aux garçons ». Les jeunes femmes vont parfois descendre dans la rue, mais plutôt pour des causes précises auxquelles elles s’identifient. Par exemple, énormément de femmes, de mères ou de sœurs ont participé à la marche blanche organisée par la maman de Nahel. « Ces manifestations de soutien étaient structurées et bien cadrées, laissant moins de place aux dérives, au contraire des mouvements de révoltes spontanés, dans lesquels on a pu voir s’immiscer des profils opportunistes, qui ont vu là une occasion de s’exprimer, de prendre leur place au sein de l’espace public », analyse Cécile Mathys.

L’influence des stéréotypes dans les émeutes

Les moyens de communication, ainsi que le type de messages envoyés, ont également pu influer sur le genre de profils qui se sont retrouvés dans les émeutes. « Si la communication a eu lieu au départ de réseaux sociaux et de plateformes de discussion restreintes et fermées, c’est logique de retrouver une certaine forme d’homogénéité parmi les membres, relève la professeure de l’ULiège. Si ces groupes sont composés majoritairement de profils masculins, ce sont eux qu’on retrouvera dans la rue via un biais de sélection. »

Les jeunes femmes ont encore tendance à être plus confinées au sein de la sphère familiale, avec parfois, une plus grande sévérité en matière d’autorité parentale pour les heures de sorties des filles par rapport aux garçons.

En outre, les stéréotypes de genre continuent à prédominer et peuvent expliquer cette surreprésentation des jeunes hommes parmi les émeutiers. « L’impératif de masculinité ou d’étalage de la force physique influe toujours sur le comportement de certains », précise la professeure de l’ULiège. « Traditionnellement, dans les quartiers, la voyoucratie reste le fait des garçons », pointe de son côté Armel Mombouli, président de l’association française Vox Populi, qui vise à contribuer à l’Éducation de la jeunesse dans les quartiers populaires par le prisme de la formation, de la culture et du sport.

Principe de proportionnalité

Selon Armel Mombouli, les jeunes femmes ont toutefois bien plus fait entendre leur voix lors de la mort de Nahel que lors des révoltes de 2005 (survenues à la suite du décès de deux adolescents électrocutés alors qu’ils cherchaient à échapper à un contrôle de police, NdlR). « En 2023, les femmes occupent bien plus l’espace public qu’en 2005. Face à l’explosion de la criminalité, ce sont les mères et les sœurs qui essaient d’intervenir dans les quartiers, de sensibiliser et de dire stop. Mais elles restent toujours moins impliquées dans la délinquance d’opportunité. »

Pour Cécile Mathys, se fier uniquement aux nombres d’arrestations et de comparutions immédiates ne permet pas de tirer de conclusions en matière de genre. « Des jeunes femmes ont pu participer aux émeutes, mais pas forcément en première ligne. En étant en retrait, peut-être ont-elles eu la possibilité de se disperser plus facilement et d’échapper aux arrestations », suppose la chercheuse. « Assiste-t-on également à un traitement genré différent de la part des forces de l’ordre ? Les jeunes hommes sont-ils potentiellement plus enclins à être arrêtés que les jeunes femmes ? », s’interroge-t-elle encore. « Et puis simplement, si plus de garçons ont manifesté, il y en aura plus qui auront été arrêtés à la fin. C’est un principe de proportionnalité, qui peut participer in fine à une focale excessive sur un profil déterminé, en l’occurrence les garçons. »

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