Elections législatives en France : and the winner is… Jean-Luc Mélenchon
Il n’est pas exclu que l’alliance présidentielle obtienne une majorité. Mais le leader de La France insoumise peut d’ores et déjà être considéré comme un des grands gagnants des législatives des 12 et 19 juin. Pour avoir uni la gauche et réussi à déstabiliser la macronie. L’analyse du politiste et professeur à l’université de Lille Rémi Lefebvre.
A l’approche des élections législatives des 12 et 19 juin, la macronie est patraque. L’affaire Damien Abad, du nom du nouveau ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées accusé de viol, la piètre défense de son collègue de l’Intérieur, le pourtant expérimenté Gérald Darmanin, face au fiasco de l’organisation de la finale de la Ligue des champions Real Madrid-Liverpool au Stade de France le 28 mai, et la traduction de la nouvelle méthode de gouvernance du président Emmanuel Macron dans un «Conseil national de la refondation», concurrent du Parlement et du Conseil économique, social et environnemental mal utilisé n’ont pas donné l’élan escompté au gouvernement d’Elisabeth Borne. Tout profit pour la gauche unie au sein de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes)? Eléments de réponse avec le politiste Rémi Lefebvre, professeur des universités à l’université de Lille et auteur de Faut-il désespérer de la gauche? (1).
Il est probable que la logique de différenciation partisane reprenne très rapidement ses droits au sein de la Nupes.»
Rémi Lefebvre, politiste, professeur des universités à l’université de Lille.
L’ opération de rassemblement des forces de gauche initiée par le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, peut-elle d’ores et déjà être qualifiée de succès?
Oui. C’est un succès pour trois raisons. Primo, parce que les sondages placent la Nupes au niveau des scores additionnés de tous les candidats de gauche au premier tour de l’élection présidentielle. Cela veut dire que cette union correspond à l’attente de l’électorat de gauche, même si les 30% ainsi atteints ne constituent pas un résultat exceptionnel sur le plan historique. Deuzio, Jean-Luc Mélenchon a réussi à faire des élections législatives un enjeu. Ce n’était pas vraiment le cas depuis 2002 et la première application de l’inversion du calendrier électoral. Mais ce constat doit être nuancé parce qu’on ne perçoit pas non plus un intérêt considérable pour ce scrutin. Le taux de participation attendu reste assez faible et, en réalité, il n’y a pas vraiment eu de campagne. Tertio, c’est un exploit d’avoir réussi aussi rapidement une union électorale attendue depuis longtemps. De surcroît, cette alliance n’a pas suscité énormément de dissidences, environ septante au Parti socialiste, ce qui n’est pas beaucoup au regard du nombre de circonscriptions.
La fracture irrémédiable redoutée au PS n’a donc pas eu lieu?
Elle n’a pas eu lieu. Certes, Bernard Cazeneuve (NDLR: ministre de l’Intérieur de 2014 à 2016, Premier ministre de décembre 2016 à mai 2017) a démissionné du parti. Mais pas François Hollande ni Carole Delga (NDLR: présidente de la région Occitanie). En réalité, cette alliance a été relativement bien acceptée.
Les socialistes du canal historique sont-ils contraints de ravaler leur rancœur en raison du succès promis à la Nupes?
Cela signifie concrètement que le PS canal historique ne représente plus grand-chose. La plupart des maires de grandes villes ont soutenu l’alliance. Pas forcément par adhésion, aussi par pragmatisme. Il n’y avait pas d’autre solution pour le PS, d’un point de vue électoral. S’il n’acceptait pas cette union, il perdait beaucoup de ses députés et son existence même était en jeu. Je pense que le premier secrétaire Olivier Faure veut profiter de cette alliance pour se débarrasser de l’aile droite du parti qu’il n’arrive pas à congédier depuis 2017.
La Nupes est-elle une entente de circonstance ou une base pour une alliance durable?
Il y a de fortes chances que ce soit avant tout une alliance conjoncturelle. Chacun a voulu défendre son parti. La France insoumise veut prendre l’ascendant sur la gauche en ayant un maximum de députés. Le PS et le Parti communiste veulent élargir leur groupe. Europe Ecologie Les Verts veut en avoir un. Du point de vue idéologique, il est évident que cette alliance est très fragile. Il est probable que la logique de différenciation partisane reprenne très rapidement ses droits et que cette alliance ne dure pas longtemps, ce qui est en général le cas de toutes les alliances électorales à gauche. Néanmoins, on ne peut pas considérer que c’est simplement une alliance pragmatique et électorale. Des questions idéo- logiques ont été tranchées. Je pense notamment que cette union marquera une forme de réancrage du Parti socialiste à gauche. C’est une clarification. Elle montre que le centre de gravité de la gauche en France s’est déplacé plus vers la gauche. Un succès pour La France insoumise.
Etant donné qu’il ne sera pas député vu qu’il ne se présente pas aux législatives, quel rôle jouera Jean-Luc Mélenchon dans le futur s’il n’est pas désigné Premier ministre?
C’est une grande incertitude. Le fait qu’il n’ait pas voulu être député m’amène à penser qu’il veut préparer sa succession. La situation est paradoxale. Jean-Luc Mélenchon a insufflé une dynamique de personnalisation de l’élection présidentielle. Mais il est fort probable que cela signe aussi sa fin. Il sera très difficile pour lui de peser sur une vie politique française qui se re- parlementarisera, alors qu’il n’est pas député. Il le sait très bien. S’il a décidé de ne pas être parlementaire, c’est qu’il envisage de prendre du champ par rapport à la vie politique. Par conséquent, une question redoutable se posera, celle du leadership de La France insoumise. Un défi compliqué.
(1) Faut-il désespérer de la gauche?, par Rémi Lefebvre, Textuel, 160 p.
Le contexte
Les dimanches 12 et 19 juin, les Français sont appelés aux urnes pour élire 577 députés. Depuis l’instauration du quinquennat en 2000 et la tenue des législatives quelques semaines après la présidentielle, ce scrutin bénéficie généralement à la famille politique du président élu ou réélu. Cette fois, cependant, l’union forgée entre La France insoumise, Europe Ecologie Les Verts, le Parti socialiste et le Parti communiste, et l’ambition affichée par Jean-Luc Mélenchon d’être désigné Premier ministre si elle obtenait une majorité, bousculent les prévisions. Une incertitude nourrie aussi par l’obligation pour un candidat de recueillir un nombre de voix égal à au moins 12,5% des inscrits pour concourir au second tour.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici