Le Premier ministre François Bayrou et le ministre de l’Intérieur sortant Bruno Retailleau, le 14 décembre, lors d’une conférence de presse sur la dévastation de Mayotte par un cyclone. © GETTY IMAGES

Crise politique en France: les 4 duels que devra remporter François Bayrou pour espérer durer

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Se prémunir contre une motion de censure après le camouflet infligé au Parti socialiste relève de la quadrature du cercle pour le nouveau Premier ministre.

Nommé un vendredi 13 (décembre) Premier ministre par Emmanuel Macron, le dirigeant centriste François Bayrou n’a, en première analyse, pas beaucoup plus de chances de durer que son prédécesseur, issu des Républicains de droite, Michel Barnier. Le succès du Béarnais dépendra, à vrai dire, de l’issue des duels auxquels il sera confronté.

Avec Macron, une question de crédibilité

En début de matinée à l’Elysée ce vendredi-là, le leader du Mouvement démocrate (MoDem) s’était vu notifier qu’il ne serait pas Premier ministre, le poste étant dévolu, selon les désirs du président, à un macroniste pur jus (Sébastien Lecornu). En fin de matinée, il était nommé à Matignon. Entre les deux: un coup de gueule mémorable et la menace de retirer le groupe MoDem de la coalition présidentielle. La genèse houleuse de la nomination de François Bayrou conforte la crédibilité du Premier ministre autant qu’elle affaiblit encore un peu plus celle du président.

Un bon point pour Bayrou aux yeux des potentiels alliés du chef du gouvernement qui ne veulent pas voir appliquée une prolongation de la politique des gouvernements précédents après le résultat renversant des législatives de juin-juillet. Mais un atout relatif (Barnier était aussi catalogué en partie comme opposé au président) et à manier avec prudence pour ne pas attiser la faculté de nuisance du locataire de l’Elysée. Le 17 décembre, le chef du groupe MoDem à l’Assemblée nationale, Marc Fesneau, a tenu à indiquer que François Bayrou présenterait «une architecture de démarrage» du gouvernement «avec la volonté de trouver un équilibre qui se fera avec le président de la République». Diplomatie appliquée.

Avec Le Pen, la clémence minimale

La figure de François Bayrou a a priori de quoi tempérer les ardeurs disqualifiantes du Rassemblement national. Homme des territoires (maire de Pau), partisan de l’insertion d’une dose de proportionnelle dans le mode de scrutin, compréhensif à l’égard des libertés prises par le parti d’extrême droite avec les règles du Parlement européen, dont sa propre formation s’est également rendue coupable…: malgré sa proximité de longue date avec Emmanuel Macron honni par l’extrême droite, le leader du MoDem réussit à éviter la censure d’office.

Se démarquant de la pratique du président, qui avait snobé les extrêmes, François Bayrou a reçu le 16 décembre Marine Le Pen qui s’est félicitée d’être écoutée. Cette bienveillance réciproque ne dit cependant rien de l’attitude future du RN. Selon que le gouvernement penchera plus ou moins à droite dans ses actes, la mansuétude de l’extrême droite sera plus ou moins durable. Elle ne sera de toute façon pas éternelle.

Bruno Retailleau pose un défi quasi insurmontable au Premier ministre.

Avec Retailleau, le chiffon rouge

Marqueur par excellence d’une droitisation du gouvernement, le ministre de l’Intérieur du gouvernement Barnier, Bruno Retailleau, pose un défi quasi insurmontable au Premier ministre. Son parti, Les Républicains, veut sa reconduction au sein de l’équipe de Bayrou, c’est une des conditions de son soutien au gouvernement. Dans le même temps, il représente un épouvantail pour tous les partis de gauche. Un sentiment encore renforcé par une sortie controversée lors de sa visite à Mayotte après le passage du cyclone Chido qui a ravagé le département français le 14 décembre.

Disant «penser au jour d’après», Bruno Retailleau a soutenu que «l’archipel ne pourra être reconstruit sans traiter la question migratoire». La gauche y a vu une «récupération» politique particulièrement malvenue alors que le bilan des pertes humaines n’était pas encore établi et que la responsabilité du sous-investissement de Paris dans l’île est questionnée pour l’expliquer en partie. «Bruno Retailleau est un obsessionnel indécent et inconséquent», a ainsi commenté le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure. Mettez Retailleau dans votre gouvernement, vous vous aliénez la gauche. Ne l’y mettez pas, vous vous coupez de la droite et de l’extrême droite.

Avec Faure, le niveau de la rupture

En passant des colloques avec le président à ceux avec le Premier ministre, le Parti socialiste a vu se dégrader sa position. Dans la séquence initiale, il escomptait encore jouer un rôle central en appui d’un chef de gouvernement de sa famille politique, fût-il le semi-dissident Bernard Cazeneuve. Une fois Bayrou nommé, il n’est plus qu’une force de soutien extérieur dont la seule mais essentielle utilité serait de ne pas voter la censure.

Le premier secrétaire Olivier Faure avait pourtant pris sur lui, après la démission forcée de Michel Barnier, de prendre ses distances avec La France insoumise et de briser l’unité du Nouveau Front républicain (NFP) pour ouvrir la porte à une possible collaboration avec «les partis de l’axe républicain», les macronistes (Ensemble, MoDem, Horizons) et Les Républicains de Laurent Wauquiez. Une évolution risquée électoralement et personnellement intéressée, sa reconduction à la tête du parti lors d’un congrès qui doit se dérouler avant l’été 2025 dépendant de l’élargissement de sa base militante. Mais pour la deuxième fois après les consultations estivales qui impliquaient la possibilité de la nomination de Lucie Castets, Emmanuel Macron a refusé de jouer la carte de la gauche. C’est l’histoire d’une occasion ratée.

François Bayrou pourra donc associer quelques personnalités de gauche à son gouvernement, cela ne lèvera pas l’hypothèque du dépôt d’une motion de censure rassemblant le NFP reconstitué. Dans ces conditions, seules des intonations progressistes fortes dans son programme pourront le préserver de la contestation des socialistes. Ce qui risque de le priver de l’approbation de la droite, macronistes compris, et plus sûrement encore de l’extrême droite. Même un deal minimal prévoyant un renoncement à recourir à l’article 49.3 contre un engagement à ne pas voter une censure a, dans ces conditions, l’air d’être un travail titanesque.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire