Après la réforme des retraites et le recours au 49.3, que pourra encore faire le président Macron?
Le pouvoir sort affaibli des débats sur la réforme des retraites. La faute au dogmatisme d’Emmanuel Macron, estime Jean-Michel Aphatie, chroniqueur politique.
Entre contestation de la gauche dans la rue et accommodements avec la droite au Parlement, l’examen du projet de loi de réforme des retraites du gouvernement d’Elisabeth Borne n’aura pas été un long fleuve tranquille. L’épreuve laissera des traces. Décryptage avec Jean-Michel Aphatie, chroniqueur politique sur la chaîne d’information continue LCI.
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Où a péché l’action du gouvernement pour rendre aussi compliquée l’adoption de la réforme des retraites?
Deux choses. Le texte a été visiblement mal appréhendé par les ministres sur beaucoup de points, les longues carrières, la retraite des femmes… Le gouvernement a manqué d’anticipation, ce qui a engendré une mauvaise pédagogie. Des polémiques se sont installées. Le deuxième écueil, le plus important, est que la réforme des retraites comporte deux éléments principaux, l’augmentation de la durée de cotisation et le recul de l’âge de départ. On cotisait à peu près 41 ans et demi avant la réforme ; on cotisera 43 ans. Par conséquent, on retarde le moment où la retraite sera prise. Ceci étant acté, il y a la deuxième mesure qui recule l’âge légal de départ de 62 à 64 ans. En additionnant les deux dispositions, le gouvernement a suscité une contestation bien au-delà des oppositions traditionnelles. Beaucoup de gens ont visiblement jugé cela insupportable. Le gouvernement aurait pu atteindre son objectif budgétaire en se concentrant sur la première mesure, qui faisait mécaniquement reculer l’âge effectif de départ à la retraite.
Comment expliquer le sentiment d’impréparation qui a semblé prévaloir dans le chef du gouvernement?
Par une forme de dogmatisme. Emmanuel Macron entre en campagne présidentielle en 2022 sans savoir pourquoi. Il veut poursuivre son action à la tête de l’Etat. Mais que propose-t-il? Il avait des propositions en 2017. Certaines étaient innovantes. Mais quand vous passez cinq ans au pouvoir, vous n’êtes pas en situation de re-présenter un projet avec des idées nouvelles. La seule chose que vous dites sérieusement à l’électorat, c’est «continuons ensemble». Macron n’a fait qu’une proposition pendant la campagne de 2022, celle de modifier l’âge légal de départ à la retraite, de 62 à 65 ans (NDLR: proposition initiale). Pourquoi le fait-il? Parce qu’après avoir beaucoup dépensé, notamment pour faire face au Covid, il a voulu montrer qu’il était sérieux. Il y a un côté démonstration de force dans son attitude. Les hommes politiques adorent cela: «Je vais prendre une mesure difficile et comme je suis très courageux, je vais l’assumer.» Une fois qu’il est confirmé dans son mandat, peu importe que des personnes lui disent qu’il n’est peut-être pas indispensable de modifier l’âge légal de départ à la retraite. Pour lui, cette mesure ne se discute pas. Par dogmatisme. Il ne tient compte ni de l’opinion des syndicats ni de la réaction de l’opinion publique… Petit à petit, la France s’enfonce dans le conflit. Et le gouvernement se retrouve tout seul. Le vice est là, dans cette unique proposition de campagne qu’il faut appliquer.
Dans quel Etat le président et le gouvernement sortiront-ils de cette épreuve?
Il est difficile de le déterminer. L’utilisation du 49.3 sera mal vécue et donnera du gouvernement une image d’autoritarisme qui n’est pas bonne. Mais on peut vivre avec cela. On est au début du mandat. La question est plutôt de savoir ce qu’Emmanuel Macron fera après la réforme des retraites pour essayer de dissiper le malaise qui s’est installé. Modifiera-t-il l’équipe gouvernementale? Changera-t-il de Premier ministre, considérant que celle qui est en poste est trop rincée pour mener d’autres réformes et continuer à être entendue de l’opinion publique? Macron doit dresser le constat que la Première ministre et les ministres en première ligne sur ce dossier ont été assez décevants. Pas très bons dans l’explication, pas assez bons pour faire face aux polémiques… Ensuite comment poursuit-on l’action gouvernementale, et avec quel type de projet? Un projet de loi immigration était annoncé. Sortir de la réforme des retraites, qui a beaucoup clivé, en enchaînant avec la question des migrations, qui divisera beaucoup aussi… D’importants problèmes de finances publiques se poseront également. On reparle de la nécessité de trouver des revenus fiscaux pour les prochains budgets, c’est-à-dire d’augmenter les impôts parce que les déficits prennent des proportions trop importantes avec des taux d’intérêt qui remontent. Emmanuel Macron a des chantiers compliqués devant lui. C’est un pouvoir qui sortira sans doute de cette réforme frappé de beaucoup d’impopularité.
Ce ressentiment peut-il prendre d’autres formes que la mobilisation syndicale?
La colère peut-elle susciter des mouvements désordonnés? Autour de qui? Avec quel mot d’ordre? Les gilets jaunes nous avaient surpris parce que c’était un mouvement atypique. Il n’est pas facile de reproduire des mobilisations comme celle-là. Par tempérament, je ne pense pas qu’un mouvement de contestation du pouvoir dans la rue, qui échapperait aux partis politiques, soit devant nous. Mais comme le mouvement des gilets jaunes n’était pas prévisible, les prochains ne le sont pas nécessairement non plus.
Le mouvement syndical est-il renforcé?
L’unité des syndicats est solide parce que le mot d’ordre contre la réforme des retraites est simple. L’unité perdurera. Mais une fois que le projet sera adopté, ils ne seront plus au premier plan. Peut-être la CGT ou d’autres syndicats radicaux tenteront-ils de poursuivre les mouvements de grève. Mais je pense que cela n’ira pas très loin. Si au plus fort du conflit, ils n’ont pas réussi à bloquer la société, je ne vois pas comment ils réussiraient à la bloquer après.
Les concessions faites aux Républicains ont-elles dénaturé le sens ou l’objectif budgétaire de la réforme?
Le sens de la réforme, non. Elles ne le dénaturent pas. Les Républicains n’ont touché ni à la borne d’âge ni aux 43 années de cotisation. Mais toutes les corrections à l’égard de catégories de Français qui subissaient une situation injuste coûtent cher. Comme la réforme visait l’équilibre nécessaire aux comptes sociaux, si vous ajoutez des dépenses, vous détruisez l’équilibre. C’est dans cette contradiction qu’est enfermé le gouvernement.
Les débats à l’Assemblée nationale sur la réforme des retraites et sur d’autres questions ont donné lieu à des incidents (propos raciste, ministre traité d’assassin, bras d’honneur du garde des Sceaux…). L’absence de majorité d’Emmanuel Macron était censée redynamiser le débat parlementaire. Le rendez-vous est-il raté?
Les péripéties parlementaires suscitent des polémiques, mais, au fond, ce n’est pas trop grave. Un député qui traite un ministre d’assassin, c’est minable, mais ce n’est pas très grave. Le vrai problème, c’est l’échec d’Emmanuel Macron aux élections législatives. Au deuxième tour de l’élection présidentielle, beaucoup d’électeurs n’ont pas été libres de leur vote. Ils ont voté Macron pour éviter Le Pen. Mais quand leur liberté de vote a été rendue aux électeurs lors des élections législatives, ils ont choisi un opposant à Emmanuel Macron. Quand on affirme qu’Emmanuel Macron a une majorité relative à l’Assemblée nationale, on dit quelque chose qui n’est pas vrai. En fait, Emmanuel Macron y est en minorité. C’est cette absence de majorité qui cause tous les problèmes que l’on connaît. Pas de majorité pour voter la réforme des retraites? Donc, le débat est confus, voire violent. Pas de majorité pour tous les autres projets de loi? Donc, le gouvernement n’apparaît pas en position d’attaquer les vrais chantiers difficiles. Il y a une perte d’autorité évidente du gouvernement. Et l’opinion publique est de plus en plus agressive à son endroit. Les institutions françaises sont un peu complexes, ce qui explique cette situation. Et la complexité fait aussi que l’on a peut-être du mal à l’analyser. Mais la défaite aux élections législatives est le moment à partir duquel l’action gouvernementale se dérègle et devient très difficile. Tout découle de cet accident industriel. Or, en France, assez curieusement, on a analysé le fait qu’Emmanuel Macron soit en minorité comme une bonne nouvelle qui amènerait la France à faire des compromis comme en font les Etats démocratiques occidentaux. Un Parlement qui sait construire des textes avec des majorités différentes, ce n’est pas du tout la culture française. L’absence de majorité pour un président de la République est un véritable problème. Le quinquennat d’Emmanuel Macron démarre sur de mauvaises bases. La légitimité paraît absente. Il faut faire avec, dans un environnement problématique, avec une addition de crises considérables.
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