49.3, motion de censure: pourquoi le gouvernement Barnier ne tient plus qu’à un fil
Faute de majorité à l’Assemblée, le Premier ministre français Michel Barnier a délenché le 49.3 pour faire adopter le budget de la Sécurité sociale. Un passage en force auquel la gauche et l’extrême droite ont répondu par une motion de censure, qui devrait signer la chute prématurée de l’exécutif.
Le gouvernement Barnier, bientôt un lointain souvenir? Le Premier ministre français, en poste depuis à peine trois mois, jouait son destin à l’Assemblée nationale, lundi après-midi. Les députés devaient se prononcer en lecture définitive sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Le texte, bien qu’avalisé par une Commission mixte paritaire (composée de sept députés et sept sénateurs) la semaine dernière, comportait des mesures sérieusement décriées par l’opposition, tant à gauche qu’à l’extrême droite.
Le Nouveau Front Populaire (NFP), fort de 193 députés au sein de l’hémicycle, s’opposait à l’«austérité» du projet de loi depuis ses prémices. Les parlementaires issu de l’alliance des gauches dénonçaient, notamment, une répartition inégale de la charge fiscale et une trop faible contribution des épaules les plus larges. Ils s’apprêtaient ainsi à rejeter le texte à l’unanimité.
De son côté, le Rassemblement national (142 députés à l’Assemblée) réclamait également des ajustements dans le budget présenté par le camp présidentiel. L’extrême droite regrettait des mesures d’économie susceptibles de «fragiliser le pouvoir d’achat» des Français et exigeait, a contrario, davantage de coupes dans les aides accordées aux sans-papiers, notamment.
Des concessions insuffisantes
Faute de majorité (l’alliance macronistes-droite ne dispose «que» de 166 sièges au Palais Bourbon), le Premier ministre a décidé de déclencher l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le budget sans recourir au vote des députés. Devant les parlementaires, le chef du gouvernement a fait valoir le souhait de «stabilité» et de «visibilité» des Français. Une décision qui devrait signer le renversement de son exécutif.
Dans la foulée, la gauche a en effet déposé une motion de censure contre le gouvernement. Une menace qu’elle brandissait depuis plusieurs jours en cas de recours au 49.3. «Nous n’acceptons plus cet autoritarisme d’Emmanuel Macron qui, à chaque fois, passe en force», a fustigé la députée de la France Insoumise Mathilde Panot. Quelques minutes plus tard, le Rassemblement national a annoncé qu’il déposerait sa propre motion de censure. Il votera également la motion de la gauche, qui sera débattue au plus tôt 48 heures après son dépôt, soit pas avant mercredi en fin de journée.
Les importantes concessions réalisées par le camp présidentiel ces dernières semaines auront donc été vaines. Pour tenter de rallier les députés RN à sa cause, Michel Barnier avait abandonné la hausse des taxes sur l’électricité et accepté de réduire l’aide médicale d’Etat pour les sans-papiers. Face à l’inflexibilité des nationalistes, le Premier ministre avait tenté le tout pour le tout lundi midi, en renoncant au déremboursement des médicaments en 2025, une «ligne rouge» à laquelle le parti d’extrême droite refusait de déroger. Des multiples mains tendues qui n’auront pas suffi à convaincre Jordan Bardella. «Il n’y a pas d’issue pour un gouvernement qui renoue avec le fil du macronisme, qui refuse de prendre en compte l’urgence sociale de la fin du mois et qui ignore la nécessité de relancer la croissance», a réagi le leader d’extrême droite lundi après-midi.
Une aubaine pour Marine Le Pen
Pour Luc Rouban, directeur de recherche CNRS à Sciences Po Paris, la séquence permet au RN de réaffirmer sa puissance politique. Elle permet également à Marine Le Pen, présidente du groupe RN à l’Assemblée, de conserver son poids dans l’hémicycle (et au sein-même de son parti) malgré ses récents déboires judicaires. «Le Pen a été affaiblie par l’affaire des assistants parlementaires (NDLR: pour laquelle le parquet a requis 5 ans de prison à son encontre), rappelle l’expert. En déposant sa propre motion de censure, elle montre qu’elle conserve un certain pouvoir. Même si elle est condamnée en mars et qu’elle est déclarée inéligible à la présidentielle de 2027, elle prouve qu’elle reste capable de faire de la politique.»
La méthode de la gauche n’a rien non plus d’étonnant aux yeux de Luc Rouban. «La position du NFP s’inscrit dans une logique de rupture et de conflit permanents, adoptée dès la nomination de Michel Barnier. Cette stratégie, surtout portée par la France Insoumise, met mal à l’aise les socialistes qui les ont rejoints, qui sont davantage dans une logique de négociations.»
Inquiétudes économiques
La motion de censure probablement votée mercredi plongera la France dans une nouvelle période d’instabilité politique. En cas de renversement de l’exécutif– une première depuis 1962 – le gouvernement de Michel Barnier deviendrait le plus court de l’histoire de la Ve République. Emmanuel Macron serait alors tenu de nommer un nouveau Premier ministre. Une mission périlleuse pour le président, au vu de la cristallisation toujours plus importante du paysage politique français.
La chute de l’exécutif menace également la stabilité économique du pays. «Le risque principal, c’est de donner une mauvaise image de la France au niveau des marchés financiers, alerte Luc Rouban. Il faut s’attendre à une augmentation des taux d’intérêt et, probablement, à une chute des investissements étrangers.» Une inquiétude partagée par Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes. «La France risque d’entrer dans une phase plus incertaine, et l’incertitude, en matière financière, c’est toujours quelque chose de préoccupant, mettait-il en garde lundi matin sur France Info. Notre situation financière est dangereuse. Il faut vraiment mettre le frein et donner le signe que nous reprenons le contrôle de nos finances publiques.»
«La France risque d’entrer dans une phase plus incertaine, et l’incertitude, en matière financière, c’est toujours quelque chose de préoccupant.»
Avec un déficit public en net dérapage, attendu cette année à 6,2% du Produit intérieur brut, très loin du plafond de 3% autorisé par les règles de l’UE, la France affiche la pire performance des 27 pays de l’Union européenne à l’exception de la Roumanie.
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