Fin de l’abondance, cinq à dix hivers difficiles: « Il faut appeler un chat, un chat »
Face à la flambée des prix de l’énergie et de l’inflation, le Premier ministre belge Alexander De Croo et le président français Emmanuel Macron ont chacun annoncé des temps difficiles. Même si les réactions ont été assez négatives, certains estiment qu’elles ont le mérite d’ « appeler un chat, un chat ».
Mercredi dernier, six mois jour pour jour après le début de la guerre en Ukraine, Emmanuel Macron a appelé son gouvernement à « l’unité » face à « la grande bascule » qui marque la rentrée avec « la fin de l’abondance », « des évidences » et « de l’insouciance ».
« C’est une grande bascule que nous vivons », a averti le chef de l’État français, revenant sur la récente « série de crises graves », de l’Ukraine à la sécheresse, en préambule du conseil des ministres de rentrée à l’Élysée.
Un grand bouleversement
« Le moment que nous vivons peut sembler être structuré par une série de crises graves (…) et il se pourrait que d’aucuns voient notre destin comme étant perpétuellement de gérer les crises ou des urgences. Je crois pour ma part que ce que nous sommes en train de vivre est plutôt de l’ordre d’une grande bascule ou d’un grand bouleversement », a déclaré Emmanuel Macron lors d’une allocution devant les ministres exceptionnellement retransmise.
Deux jours avant, le Premier ministre Alexander De Croo avait lui aussi annoncé des temps économiques difficiles en raison de la flambée des prix de l’énergie. « Les cinq à dix prochains hivers seront difficiles. L’évolution de la situation est très difficile dans toute l’Europe. Certains secteurs sont confrontés à de lourdes difficultés avec ces prix élevés de l’énergie », a-t-il constaté. « Si nous nous soutenons mutuellement dans ces temps difficiles. On peut le faire, avec la confiance en soi et la force de décision qui y sont nécessaires », a-t-il ajouté.
Sans surprise, leurs déclarations ont suscité un afflux de réactions, à commencer par celle du président du MR Georges-Louis Bouchez. « Si l’on sait déjà que les cinq à dix prochains hivers seront difficiles, il est urgent de garder plus que deux réacteurs nucléaires. Renforcer sa dépendance au gaz relève d’un aveuglement coupable », a-t-il tweeté.
« Une déclaration scandaleuse »
La députée Marie Christine Marghem évoque même « une déclaration scandaleuse » indigne d’un gouvernement. Pour elle, « gouverner, c’est prévoir. Il faut changer de paradigme pour faire face et protéger sa population : maintenir tout notre parc nucléaire en activité et lancer le chantier du nouveau ! », tweete-t-elle.
Interrogé par le quotidien De Morgen, le professeur en politique internationale Thijs Van de Graaf (Université de Gand) estime pourtant que De Croo et Macron ont bien fait d’être sincères. « Je suis heureux qu’il y ait des politiciens comme De Croo ou Macron qui osent appeler un chat un chat, et qui osent dire que la situation se présente très mal. Il est clair que cela durera plus qu’un hiver ». « Nous nous dirigeons tout droit vers une récession. Nous avons vraiment besoin d’un choc pour réveiller les gens », ajoute-t-il.
Il y a quinze jours, l’économiste Bertrand Candelon (UCLouvain) confirmait qu’il fallait bel et bien se préparer au pire. « Une rupture des livraisons de gaz russe va engendrer une diminution de la demande, et donc une réduction de la consommation », déclarait-il au Vif.
« Un message anxiogène difficilement compréhensible »
En France, « la fin de l’abondance » évoquée par le président français a suscité la colère de l’opposition de gauche. « Non mais on rêve ! Comme si les Français avaient manqué de soucis et s’étaient trop gavés », s’est indigné le secrétaire général du Parti communiste français, Fabien Roussel, sur Twitter. « Quand vous êtes dans un pays où il y a neuf millions de pauvres (…), entendre un truc pareil, c’est incroyable », a renchéri le leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon.
Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication politique à Sciences Po craint également que le message de Macron passe mal auprès d’une partie de la population. « Ce message anxiogène va être difficilement compréhensible au-delà des élites, car pour la plupart des Français, les mots d’insouciance et d’abondance sont incompréhensibles, ils ne se sentent pas concernés », déclare-t-il à l’Express.
Pour lui, le président français prend « une posture de président qui prépare le pays à des situations difficiles, un peu une posture du héros qui va sauver son peuple des périls et des difficultés en temps de guerre ».
Elisabeth Borne appelle à la « responsabilité collective » des entreprises sur le climat et l’énergie
La Première ministre française Elisabeth Borne a appelé lundi, devant le Medef, à la « responsabilité collective » en matière d’économies d’énergie, réclamant à chaque entreprise d’établir son propre « plan de sobriété » dès septembre.
« L’heure n’est plus aux demi-mesures, l’heure n’est plus au chacun pour soi, l’heure est à la responsabilité collective », a affirmé la Première ministre devant les patrons français.
Pour « surmonter le risque de pénurie de gaz cet hiver, atténuer le dérèglement climatique, (…) nous devons agir plus vite et plus fort », a-t-elle ajouté, en invitant Etat, entreprises et particuliers à « préférer les économies choisies plutôt que les coupures subies ».
Elle a exhorté à cet égard les entreprises à établir en septembre des « plans de sobriété » énergétiques, consistant à réduire les consommations de 10% sur deux ans, afin d’éviter que le gouvernement n’impose des « baisses de consommation ». Un premier bilan de ces plans sera tiré « début octobre ».
Car « si chacun ne prend pas sa part, ou que toutes les hypothèses défavorables se conjuguaient », comme l’arrêt total des approvisionnements en gaz de la Russie, « nous serions amenés à imposer des baisses de consommation », a-t-elle prévenu.
Et « si nous devions en arriver au rationnement, les entreprises seraient (…) les premières touchées », a précisé Mme Borne. Pour réduire l’impact d’un éventuel rationnement, le gouvernement réfléchit par ailleurs avec les entreprises à un « marché d’échange de droits à consommer ».
Côté particuliers, elle a souligné que chacun économiserait l’énergie « compte tenu de ses moyens » car « les Français en précarité énergétique ne sont pas ceux qui devront encore faire des efforts ». (AFP)
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici