Enquête sur Lafarge en Syrie: Laurent Fabius a été entendu comme témoin
L’ancien chef de la diplomatie française Laurent Fabius a été entendu comme témoin dans l’enquête sur des soupçons de financement du terrorisme visant Lafarge en Syrie et a affirmé ne pas avoir été informé des activités du cimentier franco-suisse, a appris lundi l’AFP de source proche du dossier.
Entendu le 20 juillet comme témoin par les juges d’instruction, le ministre des Affaires étrangères de 2012 à 2016, et actuel président du Conseil constitutionnel, a fait valoir qu' »aucun élément d’information » ne lui était parvenu concernant le maintien en Syrie de Lafarge au prix d’arrangements financiers avec des groupes armés dont l’organisation Etat islamique (EI), selon son audition révélée par Le Monde et qu’a pu consulter l’AFP. « Si la question est de déterminer si je savais ou non qu’il y avait une usine Lafarge en Syrie, je n’ai pas de souvenir précis », a déclaré le ministre lors de cette audition. « Je n’ai jamais été saisi d’une question concernant Lafarge, je suis catégorique », a-t-il martelé.
Depuis plusieurs mois, l’enquête a soulevé des questions sur ce que savaient ou non les autorités au sommet de l’Etat sur les agissements de Lafarge, mise en examen fin juin comme personne morale pour « financement d’une entreprise terroriste » et « complicité de crimes contre l’humanité », des accusations rarissimes pour une entreprise française. Cette audition était réclamée depuis octobre 2017 par l’ONG Sherpa, partie civile dans cette enquête au vu des interrogations sur le rôle du Quai d’Orsay à l’époque. D’anciens responsables du cimentier, qui avait une usine à Jalabiya, dans le nord de la Syrie, ont affirmé que cette volonté de rester coûte que coûte dans le pays en guerre avait reçu l’aval des autorités françaises. Huit cadres et dirigeants ont déjà été inculpés dans cette affaire, dont l’ancien PDG de Lafarge de 2007 à 2015, Bruno Lafont, pour financement d’une entreprise terroriste et/ou mise en danger de la vie d’autrui.
Le cimentier est soupçonné d’avoir versé via sa filiale LCS près de 13 millions d’euros entre 2011 et 2015 pour maintenir sa cimenterie en Syrie, alors que le pays s’enfonçait dans la guerre. Ces sommes, qui ont bénéficié en partie à des groupes armés dont l’EI, correspondaient notamment au versement d’une « taxe » pour sécuriser la circulation des salariés et des marchandises, à des achats de matières premières – dont du pétrole – à des fournisseurs proches de l’EI et à la rétribution d’intermédiaires chargés de négocier avec les factions, d’après l’enquête. De récents éléments de l’enquête alimentent désormais des soupçons sur une possible vente de ciment au groupe EI: un contrat pour une transaction aurait été évoqué lors d’une réunion en décembre 2014, après la prise de l’usine par les jihadistes, selon une source proche du dossier.
Contrairement à d’autres multinationales, le cimentier avait décidé de rester en Syrie, exposant ses salariés locaux aux risques de rapt alors que la direction du site avait, elle, déjà quitté l’usine et évacué ses expatriés. Lafarge a toujours qualifié la sécurité de ses équipes de « priorité ». Or, parmi les nombreux employés enlevés, un a été tué et un autre reste porté disparu, selon des témoignages recueillis sur place par l’AFP.
Lors de son inculpation en 2017, l’ex-PDG Bruno Lafont a assuré n’avoir été au courant d’un « accord avec Daesh » (acronyme arabe de l’EI) qu’en août 2014, et avoir décidé à ce moment-là de la fermeture de l’usine. Quelques semaines plus tard, le 19 septembre, elle tombera finalement sous le pavillon noir de l’organisation d’Abou Bakr al-Baghdadi.
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