« Il faut être un crétin fini pour se fier au marché en temps de guerre »
Qui s’enrichit grâce à la flambée des prix de l’énergie ? Ivo Van Isterdael, conseiller principal du régulateur de l’énergie CREG, voit les requins et les vautours du marché du gaz prospérer. Et il appelle l’Europe à agir : « On s’attendrait à davantage de la part de ses amis ».
Le commerce du gaz est un monde très dur. « L’argent, l’argent, c’est tout ce qui compte », déclare Ivo Van Isterdael. Il est conseiller principal de la CREG, l’organisme fédéral chargé de réguler les marchés de l’électricité et du gaz dans notre pays. Ivo Van Isterdael suit ces marchés depuis plus de 20 ans. Son travail : veiller à ce que le commerce de l’énergie se fasse de manière fluide et équitable dans notre pays. Il apporte également son concours à la réglementation européenne en la matière. Il ne s’intéresse pas aux podiums tels que Facebook ou Twitter ; tout au plus publie-t-il de temps à autre une contribution perspicace sur sa page LinkedIn.
Ivo Van Isterdael ne donnait jamais d’interviews, mais il fait cette fois une exception : « Parce que nous sommes dans une situation de guerre économique. Notre économie et notre société sont lentement étranglées par les prix élevés du gaz et de l’électricité, je ne peux plus me taire ». Il souligne qu’il parle en son nom propre et ne mâche pas ses mots.
« La première chose que je fais en me levant le matin est de vérifier le prix du gaz sur mon ordinateur », dit-il. Jusqu’au milieu de l’année dernière, le prix était très stable, à un niveau bas, entre 15 et 25 euros par mégawattheure. Mais l’année dernière, le prix du gaz a été multiplié par dix, culminant à 350 euros par mégawattheure. Le prix du gaz est désormais structurellement élevé. Et sur la plus grande plateforme d’échange de gaz naturel pour l’Europe, nous constatons que le prix du gaz restera aussi élevé au moins jusqu’en 2024. »
Comment se fait-il que le prix du gaz ait autant augmenté en un an ?
Ivo Van Isterdael: Pour une série de raisons: après l’effet coronavirus, notre économie s’est rapidement redressée, la demande en Chine a augmenté, nous avons connu un printemps froid, il y avait moins de vent et donc moins d’énergie éolienne, et il y a eu l’abandon progressif du charbon « sale » et des centrales nucléaires « dangereuses » en Allemagne. La demande de gaz a donc augmenté, si bien que le prix du gaz a grimpé de 20 à 60 euros et que, fin 2021, on se dirigeait vers les 100 euros. Et puis le président russe Vladimir Poutine est entré en Ukraine avec ses chars et a lentement fermé le robinet du gaz. Cela a mis un coup d’accélérateur à la hausse des prix. De plus, les réserves européennes de gaz étaient épuisées et nous devions les remplir de toute urgence. Et n’oubliez pas le rôle étonnant des États-Unis.
Quel rôle jouent-ils?
Jusqu’en 2011, deux gazoducs acheminaient le gaz de la Russie vers l’Europe. L’un passait par la Pologne, l’autre par l’Ukraine, deux pays qui ne sont pas de très bons amis de la Russie depuis un certain temps. Ce sont deux vieux pipelines, avec de nombreux problèmes et fuites. C’est pourquoi l’Allemagne voulait un troisième gazoduc qui lui apporterait le gaz russe directement par la mer Baltique. C’est devenu le gazoduc Nord Stream 1. Puis, en 2018, la construction d’un deuxième gazoduc, Nord Stream 2, a débuté. Les États-Unis s’y sont opposés avec véhémence, avec l’aide de quelques amis européens. Officiellement parce que cela rendrait l’Allemagne et l’Europe trop dépendantes du gaz russe. Cette résistance américaine est allée si loin que, fin 2019, le président Donald Trump a même émis des sanctions contre les entreprises qui coopéraient à la construction de Nord Stream 2.
Les États-Unis ont-ils contribué à faire grimper le prix du gaz ?
En effet, toute cette agitation autour de Nord Stream 2 a créé des troubles sur le marché et a donc provoqué une hausse des prix du gaz : ils ont doublé pour atteindre 120 euros par mégawattheure. Et pourquoi, selon vous, Trump a-t-il émis ces sanctions en Europe ? Les Américains ont rendu plus difficile l’approvisionnement de l’Europe en gaz russe afin qu’un marché européen puisse s’ouvrir aux producteurs américains de gaz de schiste, les meilleurs amis de Trump. Money, money, money.
Trump avait-il raison ? L’Allemagne ne devenait-elle pas trop dépendante du gaz russe ?
Sans aucun doute. L’Allemagne est presque à moitié dépendante de l’énergie russe. Mais d’un autre côté : la Russie nous a fourni du gaz pendant 60 ans sans aucun problème. Ils n’ont jamais manqué d’honorer un seul contrat. En outre, l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder a siégé au conseil d’administration de la société énergétique russe Gazprom. La Russie était donc un partenaire extrêmement fiable jusqu’à l’invasion de l’Ukraine. Les Allemands ont commis la grave erreur de se crisper après la catastrophe nucléaire de Fukushima, de dire adieu à l’énergie nucléaire et de tout miser sur le gaz et à l’énergie éolienne.
Aujourd’hui (NDLR: lundi), le prix du gaz s’élève à 280 euros, soit neuf fois plus qu’il y a un an. Cela signifie-t-il la faillite de la libéralisation du marché du gaz ?
Grâce à la libéralisation, et donc à la concurrence, nous avons bénéficié pendant dix ans d’un prix du gaz plus bas qu’avant la libéralisation. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la libéralisation a réduit les dépenses énergétiques en Europe d’environ 70 milliards d’euros. C’est un grand succès.
Seulement, ce modèle ne fonctionne que tant que l’approvisionnement en gaz est suffisant. Dès que la demande a dépassé l’offre, nous avons assisté à une flambée des prix. Et maintenant, nous sommes en situation de guerre. Entre les parties belligérantes, il n’y a plus la confiance nécessaire pour faire du commerce. Vous ne pouvez alors plus compter sur le mécanisme du marché où le jeu de l’offre et de la demande détermine le prix. L’Europe pensait que les forces du marché allaient résoudre tous les problèmes, même si la Russie a fermé le robinet du gaz. Désolé, mais si vous vous fiez au mécanisme du marché en temps de guerre, vous êtes un crétin fini.
Ce n’est pas très indulgent.
L’Europe a supposé à tort que la guerre en Ukraine et la réduction des approvisionnements en gaz seraient un phénomène temporaire. En attendant, il est clair pour tout le monde que tant que Poutine sera au Kremlin, il utilisera le gaz comme une arme de guerre économique. Il continuera probablement à envoyer du gaz en Europe pendant un certain temps, car c’est ainsi qu’il peut le mieux manipuler le prix du gaz. Chaque fois qu’il ferme un peu plus le robinet du gaz, soi-disant pour des travaux de maintenance sur les pipelines, le prix du gaz augmente. C’est ainsi que la Russie essaie de nous mettre à genoux. Il faut se rappeler que lorsque nous étions amis, la Russie fournissait 150 milliards de mètres cubes de gaz par an, soit un tiers des 450 milliards que l’Europe consomme annuellement.
Avons-nous perdu les acquis de la libéralisation depuis longtemps ?
Les 70 milliards que nous avions économisés sur notre facture de gaz ont disparu. Afin de protéger les utilisateurs finaux de l’explosion des prix du gaz et de l’électricité, les gouvernements européens ont déjà dépensé 280 milliards d’euros depuis septembre de l’année dernière, selon le thinktank Bruegel. Ainsi, en six mois seulement, nous avons perdu quatre fois les bénéfices que nous avions accumulés en dix ans.
A qui profite la crise du gaz ?
Gazprom vient d’annoncer des chiffres records : 41,6 milliards d’euros de bénéfices pour les six premiers mois de cette année. Mais la société d’État norvégienne Equinor, la société d’État Qatargas, les géants américains du gaz et du pétrole comme ExxonMobil, le Britannique Shell, le Français Total, l’Italien Eni, etc. gagnent aussi beaucoup d’argent aujourd’hui. Ces mastodontes de l’énergie sont intégrés verticalement – c’est-à-dire qu’ils font tout, du pompage à la livraison du gaz – et maintenant, ils prennent l’argent. Ce sont les requins.
Et puis, il y a les magnats des matières premières comme Trafigura, Vitol et Gunvor.
En effet, ils achètent et vendent toutes sortes de matières premières, y compris du gaz, tout comme quelqu’un d’autre achète et vend des chaussures. Ils n’ont aucun scrupule, il s’agit d’un commerce international très dur dont le seul but est de faire le plus de profit possible. Il en va de même pour les fonds spéculatifs et les acteurs financiers, tels que Goldman Sachs. Ils ne s’intéressent pas du tout au gaz, ils achètent des contrats à terme et espèrent que le prix va augmenter pour pouvoir vendre ces contrats à un prix plus élevé. Ces grands de la finance agissent aussi sans conscience, ce sont les vautours. Mais ils ont aussi une fonction : lorsque je les vois tourner au-dessus d’un marché, je sais qu’il y a un cadavre, que quelque chose ne va pas.
La Russie n’est donc pas la seule à gagner beaucoup d’argent avec la guerre ?
En premier lieu, vous avez les États-Unis et le Qatar. Ils font de gros profits sur chaque méthanier qu’ils envoient en Europe. En outre, ils sont très flexibles et peuvent faire changer de cap à ce méthanier si quelqu’un d’autre, en Asie, par exemple, offre davantage pour la cargaison de gaz. Un méthanier a à son bord environ 200 000 m3 de gaz liquide, ce qui correspond à 1,2 million de mégawattheures. Cela donne un surplus de profit possible de plus de 200 millions d’euros par méthanier. Par méthanier.
Et à part les États-Unis et le Qatar ?
La Norvège se porte également bien aujourd’hui, mais elle est moins flexible car elle fournit du gaz par gazoducs. Un rapide calcul : chaque jour, ils livrent environ 300 m3 de gaz à l’Europe, dont 15 % arrivent à Zeebruges. Cela représente 3 millions de mégawattheures, ce qui signifie qu’avec les prix actuels du gaz, ils réalisent en Europe un bénéfice pouvant atteindre 700 millions par jour, soit 5 milliards par semaine.
Grâce à la guerre en Ukraine.
Ces gigantesques profits de guerre sont choquants. Si nous sommes en guerre, nos trois amis – les États-Unis, le Qatar et la Norvège – devraient dire : nous vous fournirons du gaz à 50 euros par mégawattheure. Le prix du marché s’effondrerait immédiatement, et on pourrait tuer Poutine économiquement.
Mais cela ne se produit pas et, en attendant, il y a de grands perdants.
Ce sont les ménages, les consommateurs, les entreprises, les écoles, les hôpitaux, les indépendants, etc. qui paient les pots cassés. Partout en Europe, ils reçoivent des factures de gaz élevées. Les gouvernements, qui ont prévu d’importants budgets pour faire face à la hausse des prix de l’énergie, font également partie des perdants. Notre gouvernement a déjà dépensé 4 milliards.
Dans le secteur de l’énergie, les fournisseurs d’énergie qui ne sont pas intégrés verticalement sont également fortement perdants. Les fournisseurs d’énergie tels que Mega, Octa+, Luminus, etc., se retrouvent entre le marteau et l’enclume, avec d’un côté des prix élevés du gaz et de l’électricité et de l’autre des clients qui ne peuvent plus payer leurs factures.
Combien coûtent réellement la production de gaz et son acheminement vers l’Europe ?
Les coûts de production sont estimés à 7 à 10 euros par mégawattheure et les coûts de transport à 3 à 5 euros, en fonction de la manière dont le gaz est acheminé, par des gazoducs depuis la Norvège ou par des méthaniers depuis les États-Unis et le Qatar. Le coût de la livraison aux frontières européennes est donc d’environ 15 euros. Rien n’est gratuit, donc avec une marge généreuse, 30 euros par mégawattheure est un bon prix.
Aujourd’hui, ce prix est huit, neuf ou dix fois plus élevé. Cela étrangle l’Europe sur le plan économique. Les entreprises qui consomment beaucoup d’énergie peuvent peut-être arrêter leur production pendant un certain temps, mais cela ne peut pas non plus durer longtemps. Aux États-Unis, le prix du gaz est neuf à dix fois moins élevé qu’en Europe. Si cette différence de prix persiste, les grandes entreprises chimiques investiront aux États-Unis ou y établiront leurs nouvelles activités. Ou au Bahreïn. Mais pas à Anvers. Si nous ne changeons pas de cap rapidement, nous sommes foutus. L’impact sur notre économie et notre société sera désastreux.
C’est pourquoi il y a eu un comité de concertation entre le gouvernement national et les gouvernements régionaux la semaine dernière. Mais peuvent-ils faire beaucoup ?
Même un feu de forêt hors de contrôle doit être éteint. C’est ce que fait notre gouvernement en ce moment et il doit continuer à le faire. J’entends et je lis aussi les critiques, mais il ne faut pas tirer sur les pompiers lors d’un incendie de forêt. Cependant, on peut dire que nos gouvernements n’ont pas mené de politique énergétique ces dernières années. En 2003, par exemple, nous avons décidé d’éliminer progressivement l’énergie nucléaire d’ici 2025, mais la manière dont nous allions procéder n’a jamais été claire. Et maintenant, ce n’est toujours pas clair. On peut leur en vouloir pour ça.
Et l’Europe?
L’Europe devrait déployer des canadairs, y aller au forcing. Le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) s’est poliment rendu en Norvège pour demander s’ils pouvaient fournir du gaz moins cher. Le chancelier allemand Olaf Scholz s’est rendu au Qatar avec une demande similaire. Et qu’est-ce qu’ils ramènent au mieux ? Un mémorandum d’entente. C’est un cache-misère, cela signifie simplement que les négociations vont se poursuivre. On pourrait attendre davantage de la part de ses amis. Le fait qu’ils ne baissent pas spontanément leurs prix de gaz pour l’Europe prouve que pour eux aussi l’argent et les profits rapides priment sur les valeurs éthiques et les principes sains.
L’Europe doit adopter une ligne plus dure ?
L’Europe est un marché de 500 millions de personnes et nous nous comportons comme des bambins perdus sur la plage. Il est grand temps que l’Europe parle d’une seule voix et dise aux États-Unis, au Qatar et à la Norvège que les choses ne peuvent pas continuer ainsi. Nous devons négocier amicalement, mais fermement et parvenir à des accords sur les prix et des contrats à long terme qui sont également à leur avantage. Non seulement pour sauver l’Europe, mais aussi pour frapper les finances de Poutine. Et comme c’est la guerre, il ne faut pas avoir peur de menacer de lourdes taxes à l’importation sur les produits américains. Ou avec une révision des conditions d’adhésion de la Norvège à l’Espace économique européen. Et si le Qatar ne baisse pas le prix du gaz, nous devrions envisager un boycott européen de la Coupe du monde.
Pendant ce temps, les factures d’électricité augmentent également, car le prix de l’électricité est lié au prix du gaz, même si les centrales à gaz de notre pays ne produisent que 20 % de l’électricité. Comment l’expliquer ?
Le prix de l’électricité est déterminé par la « tarification marginale ». Vous achetez d’abord votre électricité au fournisseur le moins cher, les producteurs d’énergie solaire et éolienne. Mais comme ils ne fournissent pas assez d’électricité, vous achetez à d’autres producteurs. Pour obtenir la dernière partie de l’électricité dont vous avez besoin, vous vous tournez vers le producteur le plus cher. Aujourd’hui, ce sont les usines à gaz, car le prix du gaz est très élevé. Et ils déterminent le prix final de l’électricité, car tous les autres producteurs d’électricité moins chers obtiennent ce prix plus élevé.
La règle générale est que le prix de l’électricité est égal à deux fois le prix du gaz plus la moitié du prix du CO2. Concrètement, si le prix du gaz est de 300 euros, le prix de l’électricité est de 600 euros plus la moitié du prix de revient du CO2, qui est d’environ 50 euros aujourd’hui, soit 650 euros. En d’autres termes, si le prix du gaz augmente, le prix de l’électricité augmente deux fois plus.
Donc, si je souscris un contrat d’électricité pour une électricité 100 % verte, c’est le prix du gaz qui détermine le prix de mon électricité?
C’est la conséquence du système. N’oublions pas non plus que les énergies solaire et éolienne ont été largement subventionnées par le gouvernement, c’est-à-dire par nous tous, pendant des années. Et ces entreprises sont maintenant susceptibles de faire beaucoup de bénéfices supplémentaires, grâce à des factures d’électricité élevées. Le consommateur les paie donc deux fois pour l’énergie verte.
Outre les producteurs d’énergie solaire et éolienne, Engie, avec ses centrales nucléaires, réalise des bénéfices supplémentaires grâce au prix élevé du gaz. Le gouvernement cherche à savoir comment écrémer ces bénéfices excédentaires.
Cela ne semble pas être facile. Pour éviter de s’enliser dans des procédures judiciaires, il vaudrait mieux obliger ces entreprises à investir leurs bénéfices surélevés dans des projets de transition énergétique et de réduction des émissions de CO2.
Les factures énergétiques des consommateurs resteront tout aussi élevées.
Et c’est intenable, je le sais, il faut agir de toute urgence. Le prix élevé de l’électricité s’explique par le prix élevé du gaz, mais il est impossible d’éliminer les centrales à gaz du mix, certainement pas si nous fermons les centrales nucléaires et les remplaçons par des centrales à gaz. Car il ne faut pas perdre de vue la réalité : la demande énergétique de notre pays s’élève à 400 térawattheures, dont 80 térawattheures d’électricité. Après 15 ans de fortes subventions, la Belgique a une production annuelle d’électricité de 20 térawattheures grâce au soleil et au vent. Nous devons combler cet énorme déficit de 380 térawattheures et nous ne pourrons jamais le faire avec le soleil et le vent. Même si nous gardons les centrales nucléaires ouvertes, nous ne pouvons pas nous passer de gaz, il faut donc faire baisser le prix du gaz.
Comment ? Par un plafonnement des prix, comme l’a proposé un jour le ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Groen) ?
Comme je l’ai dit, l’Europe doit négocier sérieusement avec les États-Unis, le Qatar et la Norvège pour faire baisser le prix du gaz. En outre, le plafonnement des prix n’est pas la meilleure solution, car le marché du gaz est un marché mondial et, si l’on plafonne les prix, quelqu’un devra payer la différence entre le prix du marché et le prix plafond. Il peut s’agir de la Banque centrale européenne, mais au final, la facture retombera sur le consommateur.
Peut-on imaginer un nouveau système de marché qui remplace la tarification marginale, comme le suggère la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen ?
Je souhaite bonne chance à Von der Leyen, mais d’après mon expérience en matière de changement de règles en Europe, je peux dire que cela prend des années. D’ici là, nous serons économiquement morts.
Que proposez-vous?
Je conserverais le système de tarification marginale, mais je dirais aux usines de gaz qu’elles ne peuvent facturer que 100 euros pour leur gaz, par exemple. Quel sera alors le prix de l’électricité ? Deux fois 100 euros, plus 50 euros de taxe sur le CO2, soit un total de 250 euros. Une grande différence par rapport aux 650 euros que nous venons de calculer. Et peut-être pourriez-vous abolir temporairement les droits sur le CO2 parce que nous sommes en guerre, alors vous vous retrouveriez avec 200 euros. Le résultat ? Au total, 450 millions d’euros de moins seront dépensés pour l’électricité par térawattheure en Belgique. Nous consommons 80 térawattheures sur une base annuelle, donc multipliez ce chiffre par 80 et vous avez vos économies pour une année. Bien sûr, le gouvernement doit répondre aux besoins des usines à gaz, tant que celles-ci doivent acheter le gaz à 300 euros et ne peuvent répercuter que 100 euros sur le consommateur. Cette différence de 200 euros coûte 80 millions par térawattheure au gouvernement.
Et où trouvera-t-elle cet argent ?
Dans les surplus de bénéfices et/ou de tous les consommateurs. S’ils voient leur facture d’électricité baisser de 450 millions d’euros par térawattheure, ils seront probablement prêts à payer 80 millions d’euros de taxes. Le bénéfice pour les consommateurs est alors encore de 370 millions, multiplié par 80 sur une base annuelle, ce qui est un très beau montant. De plus, tout cela peut se faire rapidement, ce qui constitue un autre avantage. Un tel arrangement existe déjà en Espagne, d’ailleurs, et nous devrions l’étendre au niveau européen.
Vous pensez que tout finira bien ?
De nombreux décideurs en Europe pensent encore que nous allons nous en sortir sans rien faire, mais oubliez cela. Il faut espérer que la pression croissante des consommateurs incitera l’Europe à agir. Car si rien n’est fait, non seulement des conséquences économiques, mais aussi une crise politique en Europe sont imminentes. Il existe un risque réel que la foi déjà chancelante dans les institutions s’évapore complètement et que la polarisation de notre société s’accentue encore. Nous devons l’éviter à tout prix.
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