Elections à suspense au Portugal: l’extrême droite en embuscade tente de séduire la jeunesse
Après huit ans de gouvernement socialiste, les Portugais voteront dimanche prochain lors d’élections législatives anticipées à l’issue incertaine et qui pourraient voir une nouvelle poussée de l’extrême droite à trois mois des élections européennes.
L’opposition de centre droit représentée par l’Alliance démocratique (AD) de Luis Montenegro, 51 ans, figure en tête des sondages depuis plusieurs semaines, mais reste au coude à coude avec le Parti socialiste (PS) de Pedro Nuno Santos, 46 ans. Selon une enquête publiée vendredi par l’hebdomadaire Expresso, l’AD recueillerait 31% des intentions de vote, contre 30% pour le PS du Premier ministre sortant Antonio Costa, qui a démissionné début novembre après avoir été impliqué dans une enquête pour trafic d’influence. Ce sondage dénombrait toutefois 18% d’indécis et, de surcroît, 22% des personnes ayant indiqué une préférence admettaient pouvoir encore changer d’avis.
Quel que soit le vainqueur du scrutin, « une majorité de gauche semble peu probable », note José Santana Pereira, professeur de Sciences politiques à l’Institut universitaire de Lisbonne ISCTE. Lors des précédentes élections, il y a deux ans, les socialistes avaient obtenu à eux seuls la majorité absolue des sièges à l’assemblée. Mais le Parlement devrait cette fois basculer à droite en raison de la progression du jeune parti d’extrême droite Chega (« Assez » en portugais), propulsé en janvier 2022 au rang de troisième force politique du pays avec 7,2% des voix et désormais crédité de 17% des intentions de vote.
« Le terrain était prêt »
« Cette ascension suit une tendance observée dans d’autres pays d’Europe« , note M. Santana Pereira. « Jusqu’en 2019 (date de la création de Chega, ndlr), le Portugal était décrit comme une sorte de port d’abri, libre de populisme, mais ce n’était clairement qu’une question de temps avant qu’on n’assiste à son avènement », précise-t-il. « Le terrain était prêt », souligne le politologue, en expliquant que les « attitudes populistes » envers les élites politiques étaient déjà présentes dans l’opinion publique. Par conséquent, conclut-il, « il manquait seulement quelqu’un capable de présenter un projet politique convaincant et cette personne a été André Ventura« .
Ce professeur de droit de 41 ans, ancien séminariste et ex-inspecteur du fisc, s’est fait connaître d’abord comme commentateur de football à la télévision, puis pour ses attaques contre la communauté tzigane quand il militait encore dans les rangs du principal parti de centre droit.
En fondant Chega, il est parvenu à agréger le vote de protestation contre la corruption et l’ensemble du système politique mis en place depuis la « Révolution des Œillets », qui a mis fin à un régime autoritaire de droite et dont le Portugal célèbrera le cinquantenaire en avril.
« Pour la stabilité »
Face au défi posé par la droite radicale, le chef de l’opposition de centre droit a plusieurs fois répété qu’il ne scellerait aucun accord avec André Ventura pour arriver au pouvoir. « Nous avons besoin de tout donner jusqu’à la dernière seconde. Pas seulement pour gagner, mais aussi pour la stabilité » d’un futur gouvernement, a fait valoir Luis Montenegro, cherchant ainsi à éviter de dépendre d’un éventuel soutien de Chega.
Mais si les prévisions des sondages se confirment et si M. Montenegro remporte le scrutin sans disposer de la majorité absolue à l’assemblée, il devra tenter de former un exécutif minoritaire et, pour cela, compter sur l’abstention des socialistes, ou des populistes, pour faire adopter des lois.
En 2015, Antonio Costa avait réussi le tour de force de former son premier gouvernement sans gagner les élections, en scellant une alliance inédite avec les partis de la gauche radicale afin de « tourner la page » de la politique d’austérité menée jusqu’alors par la droite. Depuis, le Portugal a bénéficié d’une embellie économique qui lui a permis d’augmenter le pouvoir d’achat tout en continuant d’assainir les finances publiques du pays.
La « misère » des jeunes
Les socialistes, au pouvoir depuis huit ans, ont « laissé les jeunes dans un état de grande pression et de grande misère, car ils doivent tous les jours choisir entre rester au pays avec des perspectives limitées ou partir à l’étranger et renoncer au confort de leur famille« , déclare Rita Matias, l’une des figures de proue du parti d’extrême droite Chega, à l’AFP.
Près du tiers des Portugais de moins de 40 ans nés dans leur pays résident actuellement à l’étranger, selon une étude de l’Observatoire de l’émigration. Avant d' »ouvrir grand les portes » à l’immigration, le pays doit « donner les moyens à ceux qui ont émigré » de « rentrer et rester », fait valoir la députée originaire de Seixal, une banlieue ouvrière de la capitale située sur la rive sud du Tage.
Comme « l’électorat plus âgé s’identifie davantage aux partis classiques », les jeunes, au vote volatil voire abstentionnistes, constituaient un important « potentiel », explique la chercheuse allemande Lea Heyne, de l’Institut de Sciences sociales de l’Université de Lisbonne.
Vidéos virales sur TikTok
Alors que le Portugal s’apprête à célébrer le mois prochain le cinquantenaire de la Révolution des Œillets, qui mit fin à un régime autoritaire et conservateur de plusieurs décennies, Chega mise sur un électorat « qui n’a pas connu la dictature » et « n’a pas de liens forts avec les partis traditionnels », précise Mme Heyne, auteure d’une étude sur le parti.
Initiée en politique par son père, dirigeant d’un mouvement contre l’avortement et l’euthanasie qui a fusionné avec Chega, Rita Matias se présente comme catholique et « anti-féministe ». Au sein du parti, elle a commencé par s’occuper des réseaux sociaux en lançant en 2021 un compte TikTok, devenu aujourd’hui l’un des principaux vecteurs de communication avec les jeunes. A coups de vidéos humoristiques et phrases choc qui deviennent vite virales, Chega a franchi la barre des 200.000 abonnés alors que ses rivaux, arrivés beaucoup plus récemment sur ce réseau social, atteignent à peine le millier d’abonnés.
Le pari d’être très présent sur les réseaux sociaux, voulu par André Ventura lui-même, a permis à sa formation politique de contrarier l’image « d’un homme extrémiste et raciste » que les médias donnaient de lui, confie Rita Matias. « Quand tout d’un coup ce même homme apparaît jouant avec ses lunettes de soleil, tapant dans un ballon ou faisant du skate, (…) ça le rapproche du citoyen lambda », souligne-t-elle.
L’extrême droite séduit de plus en plus de jeunes
« La jeunesse ne doit pas être le monopole de la gauche », affirme Rita Matias. Avec son sourire avenant, la députée portugaise de 25 ans est devenue l’une des figures de proue du parti d’extrême droite Chega, qui compte sur l’électorat jeune pour confirmer sa croissance fulgurante. « Les jeunes sont au cœur de notre action politique », lance la jeune femme aux longs cheveux bruns à des sympathisants rassemblés dans une bibliothèque publique de Lisbonne dans le cadre de la campagne pour les élections législatives de dimanche prochain.
Plus jeune députée du Parlement élue lors des législatives de janvier 2022 et désormais tête de liste pour le district de Setubal, qui comprend la banlieue sud de Lisbonne, la porte-parole du parti auprès des jeunes incarne aisément cette stratégie. S’affichant régulièrement aux côtés du président de Chega André Ventura, lui-même âgé de 41 ans, Rita Matias suscite aussi l’enthousiasme des électeurs qui, dans les rues de Barreiro, une des villes de sa circonscription, se précipitent pour l’embrasser ou faire des selfies avec elle.
« Je n’ai trouvé aucun autre parti qui se batte aussi bien pour les jeunes », affirme Veronica Varela, une étudiante de 20 ans qui suit dans un café, le débat télévisé entre André Ventura et le leader du parti socialiste Pedro Nuno Santos.
Fondé en 2019, l’année de l’entrée du parti au Parlement, Chega a commencé par attirer des électeurs conservateurs de plus de 40 ans. Mais selon les dernières enquêtes, c’est le parti qui progresse le plus parmi les jeunes. Car si son programme promet de « nettoyer le pays de la corruption » et « contrôler les frontières », Chega défend également des mesures sociales visant notamment à aider les jeunes à acheter leur premier logement ou à financer leurs études.
Un sondage publié début janvier lui donnait 16% des intentions de vote, un chiffre qui montait à près de 26% chez les 18-34 ans. Dans cette catégorie d’âge, la formation populiste devançait tous ses concurrents, le Parti socialiste obtenant 22%.
Cinq choses à savoir sur le Portugal
Du cinquantenaire de la Révolution des Œillets au record de la plus grosse vague jamais surfée au monde, voici cinq choses à savoir sur le Portugal, où auront lieu dimanche prochain des élections législatives.
50 ans de démocratie
Le Portugal célèbre cette année le cinquantenaire de la Révolution des Œillets du 25 Avril 1974, qui a mis fin à 48 ans d’une dictature fasciste et à 13 années de guerres coloniales en Afrique. Cette transition démocratique a été déclenchée par un coup d’État militaire qui, en une journée et sans effusion de sang, a mis fin au régime incarné par Antonio Salazar, mort quatre ans plus tôt, puis par son successeur Marcello Caetano.
Le pays a organisé ses premières élections libres au suffrage universel le 25 avril 1975.
Afflux de touristes…
Avec ses 300 jours de soleil par an, le Portugal attire de plus en plus de touristes. Levier de croissance intervenant à hauteur de 15% dans le PIB, ce secteur a généré l’an dernier un chiffre d’affaires record de 25 milliards d’euros.
Surnommé la « Floride de l’Europe », ce pays accueille également de nombreux étrangers fortunés – retraités, investisseurs ou nomades numériques – séduits à la fois par sa douceur de vivre et une fiscalité attractive.
… et d’immigrés
Au total, le nombre des résidents étrangers a doublé en cinq ans et il y a désormais plus d’un million d’immigrés au Portugal, soit un dixième de la population totale.
Derrière les quelque 400.000 Brésiliens, il y a les ressortissants européens (Royaume Uni, Italie, France) et ceux d’anciennes colonies portugaises en Afrique (Cap-vert, Angola, Guinée-Bissau) mais aussi de nombreux travailleurs en provenance d’Asie du sud (Inde, Népal, Bangladesh). En parallèle, près d’un tiers des moins de 39 ans nés au Portugal vivent actuellement à l’étranger.
Surf XXL
Avec son littoral de plus de 800 km, le Portugal est résolument tourné vers l’océan. Après avoir été un pays de navigateurs qui ont exploré le monde au XVIe siècle, sa côte Atlantique attire aujourd’hui des surfeurs du monde entier.
Le « spot » le plus connu se trouve à Nazaré, dans le centre de son territoire. C’est là que l’Allemand Sebastian Steudtner a établi en 2020 le record mondial de la plus grosse vague jamais surfée, une déferlante de 86 pieds (26,2 mètres).
N.1 mondial du liège
Avec ses vastes forêts de chênes-lièges – d’une superficie totale d’environ 720.000 hectares, ce qui en fait les plus importantes du monde -, le Portugal est devenu le roi incontesté du liège, qui sert à la production de bouchons pour les bouteilles de vin ou d’isolants.
L’année dernière, les exportations de liège ont atteint un niveau historique et le Portugal, premier producteur mondial, a réalisé un chiffre d’affaires record de plus d’un milliard d’euros.