Elections 2024 : les institutions européennes sous le feu des infox
Accusées de vouloir « interdire la réparation des voitures de plus de 15 ans » ou de « faire manger des insectes » aux gens à leur insu, les institutions européennes et leur fonctionnement complexe sont des cibles récurrentes de campagnes de désinformation soutenues à l’approche des élections de juin.
Sur les réseaux sociaux mais aussi parfois dans les médias, partout en Europe, de nombreux sujets de la vie quotidienne font l’objet d’informations fausses, tronquées ou approximatives qui visent à mettre en cause les interventions, avérées ou supposées, directes ou indirectes, de l’Union européenne. Limitation du nombre des douches, suppression des petits déjeuners, bannissement du papier toilette, port du masque obligatoire pour les vaches ou production de puces électroniques pour « contrôler la population » : ces fausses affirmations, parmi les plus virales vérifiées par le réseau européen de l’AFP ces derniers mois, pourraient sembler anecdotiques. Mais, avertissent les experts, les raisons pour lesquelles ces infox ciblant l’UE prolifèrent sont plus que jamais à prendre au sérieux, en raison de leurs possibles conséquences politiques, en particulier sur les élections à venir.
La désinformation est « l’une des menaces les plus significatives » à laquelle les démocraties doivent faire face, avait d’ailleurs averti fin janvier le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell.
Complexité bruxelloise
Premier facteur d’explication, la gouvernance de l‘Union européenne et ses processus de préparation de ses politiques publiques sont très complexes. « Assurément, les faibles niveaux de connaissance, même sur des aspects élémentaires, de la manière dont l’UE fonctionne, contribue au problème de la désinformation », estime ainsi Simon Usherwood, professeur de sciences politiques et d’études internationales à l’Open University à Londres.
Par exemple, des internautes ont pu partager sur les réseaux sociaux, en France, en Grèce ou en Allemagne, des posts assurant que l’Union européenne voulait « mettre au rebut » les vieux véhicules » ou « interdire la réparation des voitures de plus de 15 ans », interprétant mal la proposition, effectivement faite par la Commission européenne en juillet 2023, de réviser la réglementation relative à la gestion des véhicules hors d’usage (VHU).
Régulièrement, ces infox servent à attiser l’idée d’une UE toute-puissante, outrepassant la souveraineté des Etats au détriment de la liberté des citoyens. Pour autant, « je ne suis pas sûr que les sujets soient beaucoup plus complexes à Bruxelles que pour les politiques publiques nationales« , relativise le sociologue des médias Cyril Lemieux, qui anime à l’EHESS à Paris un séminaire sur la désinformation. Pour lui, plus fondamentalement, « à tous ces échelons, national comme européen, s’exprime notamment une même méfiance des classes populaires à l’égard d’élites soupçonnées d’être trop éloignées d’elles, qui favorise l’adhésion aux ‘fake news' ».
Et cette méfiance est aussi largement instrumentalisée politiquement, en particulier de la part de « souverainistes qui répandent des messages anti-UE », souligne Jakub Kalensky, analyste au centre d’excellence européen pour la lutte contre les menaces hybrides à Helsinki. Ainsi, on retrouve parmi ceux qui ont colporté la rumeur d’une Commission européenne voulant faire manger des insectes aux Européens à leur insu aussi bien l’euro-sceptique britannique d’extrême droite Nigel Farage que le président de l’Union populaire républicaine et partisan d’une sortie de la France de l’UE François Asselineau ou le ministre hongrois de l’Agriculture Istvan Nagy.
« Ecosystème pro-Kremlin »
Pour Jakub Kalensky, ces souverainistes « ont développé une symbiose » avec un adversaire encore plus redoutable de l’UE, la Russie et « l’écosystème de désinformation pro-Kremlin« , qui a tout intérêt à attiser la défiance envers Bruxelles et les élections démocratiques, surtout dans le contexte de la guerre en Ukraine. Selon lui, « cette symbiose est mutuellement bénéfique : l’écosystème pro-Kremlin gagne de nouveaux acteurs nationaux qui confèrent une légitimité à ses messages et les acteurs anti-UE bénéficient d’une visibilité qu’ils ne pourraient pas obtenir autrement ». Au final, résume Simon Usherwood, « la désinformation qui vise l’UE provient de nombreuses sources différentes » qui se renforcent, comme lorsque « des messages émanant de personnes véritablement perdues face à l’UE ou simplement critiques sont ensuite instrumentalisés par des groupes politiques plus organisés » ou même des Etats. « L’UE court alors le risque de considérer tout message négatif comme de la désinformation », met-il en garde, alors qu’elle doit, selon lui, rester à l’écoute des critiques que les citoyens expriment de bonne foi pour améliorer son fonctionnement.