Comment l’extrême droite a posé un nouveau jalon de sa progression européenne aux Pays-Bas
La coalition de droite qui formera le gouvernement des Pays-Bas sera cornaquée mais pas dirigée par le leader du Parti pour la liberté, Geert Wilders, vainqueur des législatives.
A la suite du départ inopiné, le 10 juillet 2023, de Mark Rutte du poste de Premier ministre, le paysage institutionnel néerlandais a traversé plusieurs mois de tensions et de dissensions. Les élections législatives anticipées du 22 novembre 2023 ont donné une place importante à l’extrême droite et à Geert Wilders, en accordant 37 sièges au Parti pour la liberté (PVV). La vague d’étonnement passée tant à l’international qu’aux Pays-Bas, il a été difficile de trouver un accord entre les partis «forts du Parlement». Avec les 24 sièges du Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) de Mark Rutte et les 20 du Nouveau contrat social (NSC), il était indispensable de se fonder sur une entente entre ces deux formations pour constituer une coalition majoritaire. Les premiers mois suivant l’élection ont été marqués par des rumeurs au sein du Parlement évoquant un accord minoritaire, le centre-droit rejetant fermement toute alliance avec l’extrême droite. En définitive, certains partis ont mis de l’eau dans leur vin…
Les demandeurs d’asile
Le Mouvement agriculteur-citoyen (BBB), populiste, et le PVV, d’extrême droite, se sont félicités, à l’issue des négociations, le mercredi 15 mai, d’avoir exclu les partis de gauche du gouvernement. Comme lors des élections législatives, la question des demandeurs d’asile a été au centre des discussions. «Les partis ont convenu de déclarer une « crise de l’asile », ce qui permettrait aux Pays-Bas d’ignorer les règles européennes», commente David Bos, politologue à l’université d’Amsterdam. Cependant, cette stratégie semble être contrainte par les règles de l’Union européenne. Car le pays n’accueille pas un nombre exceptionnellement élevé de demandeurs d’asile. Pour le spécialiste, c’est une «façon peu coûteuse de tromper les électeurs». Les quatre partis (PVV, BBB, VVD et NSC) se sont également accordés sur un autre sujet central: l’azote et l’agriculture. La future coalition considère qu’il est nécessaire pour les Pays-Bas de durcir sa position. Cependant, l’Union européenne ayant déjà infligé plusieurs sanctions, cette option apparaît peu envisageable. Les politologues s’accordent à dire que ces stratégies sont toutes deux vouées à l’échec. Avec l’inclusion du VVD dans l’accord et le revirement de Geert Wilders, une sortie de l’Union européenne n’est pas non plus à considérer.
Les autres axes majeurs de cette coalition de droite incluraient la réduction du montant maximal de l’«eigen risico» («propre risque») pour la sécurité sociale des personnes à faibles revenus. Cependant, aucune augmentation n’est prévue ni pour les impôts sur le revenu ni pour les impôts fonciers des personnes aisées, et l’abaissement de l’âge légal de la retraite pour les travailleurs effectuant des tâches physiquement exigeantes est envisagé. Certaines propositions, telles que l’augmentation de la limite de vitesse autorisée à l’extérieur des villes (visant à atteindre 130 km/h) ou la réduction du budget du service public de radiodiffusion et du nombre de fonctionnaires, ont été mentionnées. De plus, l’industrie de la presse et de l’impression subira un revers important avec l’intention de la coalition d’augmenter le taux de TVA de 9% à 21 % sur les livres et journaux.
La coalition explore encore diverses mesures visant à remodeler plusieurs aspects clés de la société néerlandaise. Pour certains, cette potion semble plutôt amère. Le ministre de l’Immigration, Eric van der Burg (VVD), a avoué qu’il s’est mis à pleurer en pleine réunion de son parti parce qu’il savait que la loi pour laquelle il s’est battu pendant des mois (qui consistait à répartir les demandeurs d’asile dans tout le pays) serait révoquée. Il en est de même pour Christianne van der Wal, ministre sortante de la Nature et des Emissions d’azote, elle aussi du VVD, qui voit probablement le travail de son mandat partir en fumée.
«Les partis ont convenu de déclarer une “crise de l’asile”, ce qui permettrait aux Pays-Bas d’ignorer les règles européennes.»
Le Premier ministre
Au-delà du mécontentement demeure l’épineuse question du Premier ministre. En temps normal, le chef du parti qui emporte la majorité relative en nombre de sièges au Parlement est nommé. Geert Wilders, pour réussir à former une coalition, a dû renoncer à cette fonction. «Geert Wilders a réussi à revendiquer le droit de nommer un Premier ministre. Son choix est cependant limité, car le PVV ne compte qu’un seul membre (Wilders lui-même), il n’y a donc pas de « pool » de politiciens plus ou moins expérimentés parmi lesquels choisir. Ronald Plasterk semblait un choix sûr […] mais il manque peut-être d’intégrité», souligne David Bos.
En effet, le 20 mai, Ronald Plasterk a annoncé sa décision de renoncer à son ambition de devenir Premier ministre à la suite de révélations embarrassantes concernant la vente de son entreprise. Dans ce contexte politique mouvementé, la nomination de Dilan Yesilgöz, la leader du Parti populaire pour la liberté et la démocratie, semble également peu probable, étant donné la défaite du VVD face au PVV lors des élections législatives. Le nom de Mona Keijzer, membre du BBB, ancienne ministre et députée du CDA, est avancé dans les rangs du Parlement. Il offre la perspective d’une première présence féminine à la tête d’un gouvernement des Pays-Bas.
Une certitude demeure: le futur Premier ministre devra obtenir l’approbation de Geert Wilders, ce qui en ferait, pour David Bos, «la marionnette d’un ventriloque». Et cette nomination n’est pas la seule chose hors norme. Il est envisagé que le gouvernement soit constitué de plusieurs personnalités extérieures au Parlement, formant ainsi un cabinet extraparlementaire composé d’experts plutôt que de figures politiques traditionnelles. Des indications laissent entendre que des audiences pourraient être organisées, permettant aux membres du Parlement de poser des questions critiques à ces personnalités.
Geert Wilders semble jouer un rôle central dans toutes les décisions prises par la coalition, ainsi que dans la sélection des membres du gouvernement. Il est indéniable que la droite néerlandaise bénéficie d’un cabinet conforme à ses attentes. Les quatre partis de droite et d’extrême droite n’ont d’autre choix que de s’unir et de trouver un terrain d’entente, car il semble peu probable que l’électorat néerlandais soutienne un nouveau scrutin législatif ou un accord avec les partis de gauche – le Parti du travail (PvdA) et GroenLinks disposent de 25 sièges. Comme l’exprime très bien David Bos: «Les quatre partis sont condamnés l’un à l’autre. Même s’ils ne s’aiment pas, il n’y a pas d’alternative. Souvenez-vous de ce que Sartre écrivait dans Huis Clos: « L’enfer, c’est les autres ».»
Giorgia Meloni, Première ministre d’Italie.
Getty Images
Giorgia Meloni, Première ministre d’Italie.
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Giorgia Meloni, Première ministre d’Italie.
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Giorgia Meloni, Première ministre d’Italie.
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Italie, Hongrie, Finlande, Slovaquie…
Les Pays-Bas sont le cinquième Etat de l’Union européenne où l’extrême droite exerce le pouvoir. En Hongrie, il s’agit d’une vieille histoire. Le 29 mai, Viktor Orbán célèbrera ses quatorze années passées à la tête du gouvernement. Son parti, le Fidesz-Union civique hongroise, à nouveau vainqueur des élections législatives du 3 avril 2022, était membre du Parti populaire européen avant d’en être suspendu en mars 2019 et de le quitter deux ans plus tard. Viktor Orbán a affirmé, en février, qu’il pourrait rejoindre le groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE, qui comprend notamment le Parti droit et justice polonais), l’un des deux de droite radicale au Parlement européen, après les élections européennes.
Cependant, le symbole par excellence de la pénétration de l’extrême droite dans la gouvernance en Europe est l’Italienne Giorgia Meloni. Elle dirige en effet le gouvernement de la troisième puissance économique de l’Union européenne, depuis le 22 octobre 2022. Et elle a emmené dans son aventure un parti récidiviste de l’expérience du pouvoir, la Ligue, de Matteo Salvini, actuel ministre des Infrastructures et de la Mobilité durable. Au Parlement européen, la Ligue est membre de Identité et démocratie, l’autre groupe de droite radicale, tandis que Fratelli d’Italia, de Georgia Meloni, adhère aux CRE.
Deux autres pays de l’Union sont dirigés par des coalitions où figure une formation d’extrême droite. La Finlande a un gouvernement de droite qui, outre trois autres formations, comprend le Parti des Finlandais, arrivé deuxième aux élections législatives d’avril 2023. Et la Slovaquie a un gouvernement «hybride» dirigé par le Premier ministre Robert Fico, leader socialdémocrate devenu populiste, qui s’est associé à une autre formation de centre-gauche et au Parti national slovaque, de droite nationaliste. Enfin, les Démocrates de Suède soutiennent l’équipe du Premier ministre conservateur Ulf Kristersson sans participer au gouvernement en fonction à Stockholm.
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