« Depuis Mitterrand, il n’y a plus eu de séquences politiques à gauche marquée par cette idée d’une autre société »
Quarante ans après la victoire du socialiste François Mitterrand aux présidentielles, où en est la gauche française aujourd’hui et qt quel est son héritage en Belgique? Entretien avec le politologue Pascal Delwit (ULB).
En 1981, François Mitterrand est le premier président de gauche à entrer à l’Elysée, une première dans l’histoire de la Ve République, après vingt-trois ans de règne de la droite. Quel héritage a-t-il laissé au Parti Socialiste français ? À la veille des présidentielles de 2022, celle-ci semble bien mal en point.
Une France sociale
Le 10 mai 1981, la représentation informatique du visage de François Mitterrand apparaît lentement, à 20h pile, sur les postes de télévisions de la France entière. C’est un choc, une révolution: le candidat de la gauche, unie pour l’occasion, est élu à près de 52% des voix face au président sortant Valéry Giscard d’Estaing. Aucun homme politique de gauche n’avait été élu au poste de président depuis 1947.
Réélu en 1988, les deux mandats de François Mitterrand ont marqué un tournant majeur dans la vie politique française, avec de nombreuses mesures sociales et éthiques à la clé. Sous ses présidences, la peine de mort est abolie, le délit d’homosexualité abrogé, l’impôt sur la fortune est créé. En 1982, la semaine des 39 heures est instaurée pour les salariés, et la cinquième semaine de congés payé est généralisée. Plus tard, en 1988, le Revenu minimum d’insertion est adopté à l’unanimité par les parlementaires.
En Belgique, d’après Pascal Delwit, professeur en sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles, « le 10 mai 1981 a tout de même été un moment important, avec une forme d’ébullition, de mouvement, de changement qui a été suivi avec attention. »
« Ceux qui auraient pu être le plus influencés par la politique de Mitterrand étaient les membres de la FGTB (syndicat socialiste), prolonge le politologue.Mais ils étaient dès lors dans une séquence différente. Lorsque Mitterrand arrive au pouvoir en 1981, il arrive dans un contexte de parti socialiste à gauche, alors même qu’en Belgique on est plutôt dans un recentrage du parti socialiste francophone. L’influence de la France à ce moment-là reste modeste. »
Europe et relations internationales
François Mitterrand fait partie de la génération qui a été élevée dans la mémoire de la Première Guerre mondiale, et qui a combattu lors de la Seconde. Son gouvernement participera activement à la construction d’une Europe unie, oeuvre de raison dictée par une nécessité historique d’éviter la répétition du mal créé par les deux guerres mondiales. Un des moments les plus marquant de ses deux septennats reste, sans équivoque, le président français main dans la main avec le chancelier allemand Helmut Kohl lors des commémorations des victimes de guerre à Verdun en 1984. Cette volonté d’une Europe nouvelle et unie aboutiront, en 1992, à la ratification du traité de Maastricht, qui a pour ambition de créer une Europe économique et monétaire.
Pascal Delwit souligne que « le 10 mai 1981 et sa prolongation par les élections législatives, un mois plus tard, est quasiment le dernier grand moment en Europe d’une idée de rupture à gauche, qui intervient dans un contexte fort marqué par la crise économique, des relations internationales, de la construction de l’Europe, mais il y a encore une forme d’espoir de rupture, d’une autre système. Depuis lors, il n’ya plus eu de séquences politiques à gauche marqué par cette idée, d’une autre société, une autre vie. »
L’héritage de la gauche
« Il faut bien distinguer, le premier quinquennat du second, souligne encore le politologue Pascal Delwit. « Sa deuxième élection anticipe en quelque mesures le PS d’aujourd’hui, c’est-à-dire moins articulé, déjà beaucoup plus libéral sur les questions socio-économiques. Dans une certaine mesure, on peut rapprocher le destin du PS français aujourd’hui au deuxième mandat de François Mitterrand. »
Aujourd’hui les socialistes français se sont réunis pour célébrer le 40e anniversaire de la victoire de François Mitterrand.Le parti a débuté dans la confusion sa route vers la campagne présidentielle, car aucun candidat n’a été officiellement annoncé. La favorite du parti, l’actuelle maire de Paris, Anne Hidalgo, ne perce pas dans les sondages et reste en retrait. Quarante ans après l’élection de François Mitterrand, le parti semble plus fracturé que jamais en France.
En Belgique, le ministre-président wallon Elio Di Rupo a salué son héritage: « Il y a 40 ans, ce fut l’élan d’un formidable espoir pour la gauche et tous les progressistes. François Mitterrand devenait le premier Président socialiste de la Cinquième République en France. Il fit avancer la société française et européenne d’une manière remarquable. Notre société actuelle est toujours empreinte de son héritage. »
Lina Bouzekri
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