Pour Marine Le Pen, la démission d’Emmanuel Macron est inéluctable, ce que ne conçoit pas le président. © REUTERS

Crise politique en France: «En cas de vague d’instabilité financière, la Belgique la prendra en pleine face»

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Absence de réformes, incapacité à réduire les dépenses et crise politique: l’incertitude sur l’état de l’Hexagone a de quoi inquiéter, surtout en Belgique, analyse l’économiste de l’UCLouvain Bertrand Candelon.

La crise politique à Paris liée au vote d’une motion de censure contre le gouvernement de Michel Barnier, installé seulement depuis trois mois, est aussi de nature à provoquer une tempête financière qui pourrait avoir des conséquences dans plusieurs Etats européens, dont la Belgique. Explications avec Bertrand Candelon, professeur de finance à l’UCLouvain, et titulaire de la chronique «Le décodeur de l’économie» au Vif.

L’état budgétaire général de la France est-il inquiétant?

La situation n’est clairement pas bonne. Selon les dernières prévisions, le déficit sera autour de -6,2% pour 2024. Le budget pour 2025 a été établi avec une croissance à 1,1%. Mais en réalité, ce sera moins que 1%. Les effets réels de la vacance du pouvoir opèrent déjà. Et je ne pense pas que le budget allait dans la bonne direction. Il ne prévoyait pas de diminution des dépenses. L’ajustement pour retourner aux 3% de déficit était prévu à long terme, en 2030…

Pour les marchés, la France est-elle malade de ne pas adopter des réformes structurelles?

Rien ne se passe. Que va-t-il advenir après la censure? Cela risque de durer jusqu’en juillet prochain, lorsque l’Assemblée nationale pourra à nouveau être dissoute… Que fait-on entre-temps?

«La Belgique et la France ont été remplacées par l’Espagne et le Portugal dans le groupe des pays “centraux”.»

L’incertitude est-elle le pire des scénarios?

Oui, ce qui est très dur dans l’analyse des crises, c’est qu’on sait que le système n’est plus stable économiquement et politiquement mais on ne sait pas quand les modèles entreront en crise. Ce n’est pas linéaire. Il suffit d’une annonce et, d’un coup, tous les capitaux s’en vont. Cela va très vite, en un ou deux jours. Et là, on ne peut plus contrôler.

La possibilité de contagion à d’autres pays européens est-elle grande?

Je travaille beaucoup depuis deux ans sur ce qu’on appelle «le risque de fragmentation». En 2010, il y avait deux groupes d’Etats, les pays périphériques (Italie, Grèce, Espagne, Portugal et Irlande), et le «core» de l’Europe (Allemagne, France, Belgique, Pays-Bas…). Une crise a deux effets. Le premier est que les investisseurs quittent le pays en crise pour se réfugier vers des Etats vertueux. C’est le flight to quality. Ces pays vont connaître une diminution des taux d’intérêt. La Belgique, l’Allemagne, la France en ont bénéficié en 2010-2012. Le deuxième effet est que les autres Etats verront leurs taux augmenter. C’est la contagion. La conjonction de ces deux mécanismes va tendre les taux. Si l’écart entre les taux augmente, il y aura une tension sur le taux de change. C’est le «spread de taux». En 2010, il était avec la Grèce autour des 15%. Dans ce cas, on ne peut plus maintenir le taux de change fixe. Il y a un risque de fragmentation. Aujourd’hui, la Belgique et la France ont quitté le «core» pour rejoindre le groupe des pays périphériques. Ils ont été remplacés par l’Espagne et le Portugal. Dès lors, s’il y a une crise en France, la Belgique sera automatiquement touchée par un effet de contagion. Elles seront l’Italie et l’Espagne après le choc grec. C’est le plus inquiétant. Dans ce scénario, les pays bénéficiaires du flight to quality seraient tous les pays qui ont pu ajuster leur dette, Espagne, Portugal, Allemagne, Pays-Bas…

Quel scénario en France serait le plus favorable à un apaisement des marchés? Un gouvernement technique qui réglerait la question du budget?

Que ce soit le fait d’un gouvernement politique ou technique, il faut mettre en place des réformes structurelles. Or, en France, certains partis veulent le retour de l’âge de départ à la retraite à 60 ans… En Belgique, c’est 67 ans. Aux Pays-Bas, cela sera bientôt 69 ans. Ce n’est pas possible. Par ailleurs, on sait que la fiscalité est énorme, qu’il faut réduire les dépenses… C’est l’échec du budget Barnier. Il n’a pas réussi à diminuer les dépenses. Cependant, la France est quand même un pilier de l’Union européenne. Celle-ci ne peut pas la laisser tomber. Certains pensent-ils peut-être que si la crise politique dure, la Banque centrale européenne (BCE) interviendra. Dans la zone euro, il y a tout de même une stabilité institutionnelle. Cela étant, il faut aussi tirer la sonnette d’alarme pour ce qui concerne la Belgique. Il y a vraiment une urgence à former un gouvernement. S’il y a une vague à partir de la France, on la prendra en pleine face.

Entretien: G.P.

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