Comment le Portugal est devenu l’eldorado des Belges : soleil, poissons à 8 euros et… avantages fiscaux
En dix ans, le nombre de Belges expatriés au Portugal a triplé. Une ruée qui s’explique par l’ensoleillement mais aussi… la fiscalité, même si certains avantages sont sur le point de disparaître.
Des drapeaux rouge et vert arborés sur la façade d’un café saint-gillois, des pastéis de nata au comptoir d’une boulangerie ixelloise … Autant de signes qui trahissent l’omniprésence de la communauté portugaise en Belgique. Les « frituur » envahiront-elles bientôt à leur tour les ruelles de Lisbonne et les gaufres de Bruxelles celles de Porto ? Les douces sonorités d’un accent liégeois ou d’un patois flamand ne s’y font en tout cas plus si rares. En 2022, plus de 6.000 Belges résidaient de manière permanente au Portugal. Un nombre (probablement sous-estimé, l’inscription au consulat n’étant pas obligatoire) qui a plus que triplé en dix ans (même si le pays ne fait pas partie des 10 destinations accueillant le plus d’expatriés du plat pays ; voir graphique en fin d’article).
Selon les données des services portugais des douanes et de l’immigration (SEF), le pays comptait seulement 1.771 expatriés belges en 2012, avant de franchir la barre des 2.000 en 2014 et celle des 4.000 en 2018. « Il y a un flux régulier de nouveaux arrivants. Leur nombre ne faiblit pas », confirme Pierre Kirschen, délégué de l’Union francophone des Belges à l’étranger (UFBE) pour la région de Lisbonne, résidant depuis plus de 10 ans à Torres Vedras, à une heure de la capitale du Portugal.
La météo clémente de la péninsule ibérique n’y est certainement pas étrangère. Plus de 300 jours d’ensoleillement par an… de quoi faire oublier la morosité belge. « Vingt-et-un degrés en plein mois de novembre, c’est quand même très agréable, sourit Michel Convens, qui réside en Algarve (Sud) avec son épouse depuis 2021. Mais il faut reconnaître qu’il commence à faire très chaud en été. » Originaire de Rebecq (Brabant wallon), ce septuagénaire passait régulièrement ses vacances dans la région, avant de se laisser définitivement séduire par l’hospitalité des Portugais et d’y acheter une Quinta (villa, NdlR). « Quand l’âge de la pension est arrivé, s’y installer s’est imposé comme une évidence. C’était un vrai projet de retraite. » Conquis par un mode de vie « plus apaisant » et les valeurs portugaises, Michel et Anne sont ravis de leur expatriation, malgré les milliers de kilomètres qui les séparent de leurs enfants et petits-enfants. « Nous venons de passer deux mois en Belgique pour des raisons médicales, et tout ce stress et cette pression nous ont complètement consternés. »
« La Californie européenne »
Les paysages de carte postale et le climat de sécurité qui règne dans le pays pèsent également dans la balance. Selon le classement 2023 du Global Peace Index, le Portugal est considéré comme le 7e Etat le plus sûr de la planète, loin devant la Belgique (20e). La cuisine et les vignobles achèvent de convaincre les nombreux expatriés. « On mange très bien, et pour pas cher, confirme Michel Convens. Dans les restaurants, les poissons sont à huit ou neuf euros, la bouteille de vin à douze ! »
Le coût de la vie au Portugal est en effet bien moindre que dans la majorité des pays européens. Même à Lisbonne, pourtant la ville la plus chère du pays, il est environ 30% inférieur à celui de Bruxelles, voire 45% inférieur à celui de Londres. Une tendance qui se répercute également sur les prix de l’immobilier, et qui a attiré de nombreux acheteurs étrangers. « Au fil des années, le marché s’est vraiment internationalisé, indique le Belge Mallory Damodice, fondateur de l’agence immobilière Key-Portugal, basée à Lagos (Algarve). Quand j’ai débuté mes activités, en 2015, les Anglais et les Français représentaient la plus grande part du marché. Aujourd’hui, les premiers acheteurs sont les Américains. Outre-Atlantique, l’Algarve est considérée comme ‘la Californie européenne’. »
Profonde crise du logement
Selon les données d’Idealista – « l’Immoweb portugais », les Belges représentent actuellement 3% des demandes étrangères de crédits d’habitation au Portugal, devant les Irlandais (3%) et les Espagnols (2%). Les Suisses (12%) et les Français (9%) manifestent également un grand intérêt pour le marché immobilier local. Un engouement favorisé par la suppression des droits de donation ou de succession sur les biens immobiliers transférés entre les descendants en ligne directe. Mais également par un faible taux d’imposition sur l’achat d’un bien, ainsi que des frais de dossier et d’enregistrement extrêmement limités. « Pour l’achat d’un bien d’une valeur de 300.000€, l’ensemble des frais s’élève à 17.600€, soit moins de 6% du prix. C’est bien inférieur à la Belgique », précise Mallory Damodice.
« Entre 2012 et 2021, le coût du logement a progressé de 78% au Portugal, contre 35% dans l’ensemble de l’Union européenne. »
Cette ruée des investisseurs étrangers sur l’immobilier a toutefois fait exploser les prix et plongé les locaux dans une profonde crise du logement. Ainsi, entre 2012 et 2021, le coût d’une habitation a progressé de 78% au Portugal, contre 35% dans l’ensemble de l’Union européenne, selon une étude de la Fondation Francisco Manuel dos Santos. « Les prix sont surtout montés en flèche à partir de 2015, avec une augmentation annuelle de l’ordre de plus de 10%, estime le fondateur de Key-Portugal. Le problème, c’est que le pouvoir d’achat des Portugais ne suit pas. Ici, les salaires sont environ moitié moins élevés que ceux des Belges, or, les prix de l’immobilier au littoral portugais, notamment en Algarve, sont globalement plus chers que dans certaines régions de Belgique. »
Pour contrer cette crise, le gouvernement a récemment décidé de ne plus octroyer de nouvelles licences de location touristique pour les appartements situés au littoral, à Lisbonne et à Porto. « Sans ce numéro de licence, les propriétaires ne peuvent plus mettre leurs biens en location sur les plateformes de type Airbnb ou Booking, indique Mallory Damodice. Seules les locations classiques, d’un mois minimum, sont autorisées. Cela permet d’avoir davantage d’appartements en location long terme sur le marché et de favoriser l’accès au logement pour les Portugais. »
Belges au Portugal: fin des retraites dorées
Outre cette mesure, le gouvernement socialiste d’Antonio Costa – qui a présenté sa démission le 7 novembre – a promis de mettre un terme à toute une série d’avantages fiscaux dont bénéficiaient les expatriés depuis une bonne dizaines d’années, tel que le régime spécial pour les résidents non habituels (RNH). Introduit en 2009 suite à la crise des subprimes qui a plongé le Portugal en plein marasme économique, ce régime fiscal avantageux était destiné à attirer les capitaux étrangers pour redynamiser le pays. Il a permis à des milliers de professionnels considérés comme « à haute valeur ajoutée » – avocats, médecins… – de bénéficier d’un taux d’imposition forfaitaire de 20% sur leurs revenus de source portugaise pendant dix années fiscales consécutives, contre environ 45%. Ce régime fiscal était encore plus avantageux pour les revenus de source étrangère : les retraités installés au Portugal, par exemple, ont ainsi été totalement exonérés d’impôts sur leurs revenus de pension étrangers jusqu’en 2020, avant de se voir appliquer un taux forfaitaire de 10% – soit toujours bien inférieur aux taux d’imposition européens. Un avantage, parmi d’autres, qui a permis au Portugal d’être nommé « meilleure destination mondiale pour les retraités » en 2023. « Cet avantage fiscal est loin d’être l’unique raison d’expatriation des Belges au Portugal, mais pour beaucoup, ça a été la cerise sur le gâteau, observe Pierre Kisrchen. C’est ce qui a fait la différence. »
Pour Michel et Anne Convens, ce régime avantageux n’a en réalité pas lieu d’être. « Nous en sommes bénéficiaires, mais honnêtement, nous ne trouvons pas ça normal, ça nous choque . Avec nos retraites belges, nous avons déjà un pouvoir d’achat bien supérieur aux Portugais. En plus, nous bénéficions de tout un tas de services publics comme des soins de santé gratuits et des transports en commun plus qu’abordables. »
L’eldorado des « digital nomads »
Un raisonnement partagé par l’ex-Premier ministre Antonio Costa, qui a annoncé la fin de ce régime pour les résidents non habituels (RNH) à partir du 1er janvier 2024. « Cette mesure d’injustice fiscale n’a aujourd’hui plus lieu d’être », a-t-il tranché lors d’une allocution télévisé le 2 octobre dernier. Toutefois, cette suppression n’est pas rétroactive et ne concerne que les nouveaux arrivants. Les étrangers qui en bénéficient actuellement pourront en profiter jusqu’au terme des dix années prédéterminées.
« Cette mesure d’injustice fiscale n’a aujourd’hui plus lieu d’être »
Antonio Costa, ex-Premier ministre portugais.
La disparition programmée de cette manne d’avantages fiscaux va-t-elle enterrer la « hype portugaise » ? « Même sans ces régimes avantageux, le Portugal reste un endroit extrêmement agréable à vivre, qui continuera d’attirer sur la scène internationale, prédit Pierre Kirschen. D’autant que l’intégration des étrangers s’y passe très bien. Les Portugais ont eux-mêmes une longue histoire d’émigration: ils ont donc développé un grand sens de l’accueil et de la tolérance. » De son côté, Mallory Damodice craint une légère perte d’intérêt des investisseurs étrangers dans l’immobilier portugais. « Cela étant, le pays a aujourd’hui acquis une véritable réputation positive. Il y aura toujours des gens qui viendront s’y installer, mais dans un objectif de confort de vie plutôt que par intérêt fiscal.»
Le Portugal mise d’ailleurs aujourd’hui sur ces conditions de vie attrayantes – soleil, surf, vie nocturne – pour séduire les jeunes actifs. En octobre 2022, le gouvernement a introduit un visa à destination des « nomades numériques », pour leur permettre de télétravailler en toute tranquillité dans le pays. En un an, plus de 2.600 « digital nomad visas » ont ainsi été octroyés et Lisbonne a été élue « meilleure destination du monde » par cette catégorie de travailleurs en quête d’équilibre professionnel.
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