Le résultat très serré du référendum sur l’adhésion à l’UE laisse un goût amer à la présidente moldave Maia Sandu, proche de Bruxelles. © AFP

Comment la Moldavie est devenue une zone de conflit entre l’UE et la Russie: «Moscou et Bruxelles se livrent à un véritable jeu d’échecs»

Les Moldaves ont adopté sur le fil un référendum pro-UE ce dimanche. Un scrutin révélateur des manœuvres d’influence de la Russie pour garder le pays dans son giron, et de la difficulté de l’Europe à y faire face.

Le suspense était à son comble ce 21 octobre en Moldavie. La veille, la population devait se prononcer pour ou contre l’inscription d’une ligne dans la Constitution: l’objectif d’adhérer à l’Union européenne (UE). Lundi matin, le «non» semblait sur le point de l’emporter. En fin de journée, la comptabilisation des votes de la région de la capitale Chisinau et de la diaspora moldave, foncièrement pro-UE, ont fait basculer le résultat du côté du «oui» avec 50,39%.

Une victoire amère pour la présidente Maia Sandu, une europhile convaincue. Un mauvais présage, alors que se tenaient au même moment des élections présidentielles tendues où elle se représentait. Elle termine en tête, avec 42,45%, et affrontera au second tour un socialiste prorusse, Alexandr Stoianoglo, soutenu par 26% des électeurs ce dimanche, soit trois fois plus que ce que lui prévoyaient les sondages.

L’ombre de Moscou plane sur la Moldavie

Pour Maia Sandu, ces résultats inattendus sont symptomatiques de la volonté de Moscou de s’immiscer dans les affaires de son pays, coincé entre l’Ukraine et la Roumanie et non membre de l’OTAN. Fin septembre, son administration affirmait que Moscou avait constitué un réseau «de style mafieux» et dépensé 100 millions d’euros pour influencer le scrutin. Le plan: acheter le vote de plus de 130.000 électeurs en faveur du camp prorusse, désinformer via les réseaux sociaux, ou encore coller des affiches eurosceptiques à grande échelle. Des allégations que la présidence russe «rejette catégoriquement» mais que des enquêtes journalistiques indépendantes ont ensuite confirmé. Début octobre, Meta a annoncé avoir supprimé une série de comptes prorusses et anti-UE faisant preuve d’un «comportement coordonné et inauthentique».

De fait, la Moldavie est une cible facile pour Moscou, analyse Jean-Michel De Waele, professeur en science politique et spécialiste de l’Europe orientale. «Il s’agit d’une ancienne république soviétique, dont la population est roumanophone mais souvent également russophone. Les réseaux d’informations russes y sont bien mieux implantés qu’en Occident et les Moldaves sont plus sensibles à l’influence de Moscou, notamment via la télévision. Puis il ne faut pas oublier qu’une partie de la population reste nostalgique de l’URSS

Les résultats du référendum en Gagaouzie l’attestent : cette région du sud du pays s’est distinguée en rejetant l’UE à 95%. Ses habitants ne parlent pas le roumain, mais le gagouze (une langue turque) et le russe. Un profil linguistique qui les rapproche d’autant plus de Moscou. Ce territoire, terre natale d’Alexandr Stoianoglo, constitue aujourd’hui un intermédiaire pour répandre le récit du Kremlin en Moldavie. «Le rejet de l’UE par presque la moitié des Moldaves lors du référendum montre que cette stratégie semble porter ses fruits, et j’imagine que le Kremlin ne compte pas perdre son temps pour continuer ses efforts en ce sens», réagit Quentin Michel, professeur à l’ULiège et spécialité de la politique européenne.

Moscou peut également compter sur son assise en Transnistrie, une région russophone séparatiste située à l’est. Cette zone, où règne une ambiance digne de l’époque soviétique, échappe au contrôle du gouvernement moldave. Russie y dispose même de troupes armées sur place. En 2012, Moscou avait accepté de signer un décret visant à «trouver une solution légale pour la Transnistrie en respectant l’intégrité territoriale de la Moldavie». Un texte abrogé rapidement après que la Moldavie, par peur de la guerre en Ukraine, a obtenu le statut de candidat à l’UE.

Une adhésion incertaine à l’UE, cause de tensions

«Moscou et Bruxelles se livrent à un véritable jeu d’échecs, illustre Jean-Michel De Waele. Malheureusement, l’UE a longtemps abandonné la Moldavie. Encore aujourd’hui, les négociations d’adhésion à l’Union sont très lentes, ce qui crée un ressentiment. Quand je vais là-bas, beaucoup d’étudiants me demandent « Vous ne nous aimez pas? Vous vous méfiez de nous? ». Je pense qu’on paye nos erreurs, et Moscou en profite.»

L’universitaire le concède: l’UE devra mener un travail d’arrache-pied pour pousser la Moldavie à mener des réformes pour l’accepter définitivement parmi les 27. Faire autant d’efforts pour un pays de seulement 2,5 millions d’habitants peut refroidir certains membres de l’UE.

«Il ne faut pas non plus oublier qu’on n’a plus aujourd’hui au sein de l’UE l’engouement pour l’élargissement qu’on avait au début des années 2000, rappelle Quentin Michel. On l’a vu avec les candidatures de la Turquie et de plusieurs pays balkaniques. Actuellement, je ressens une forme d’indifférence des cercles européens envers la Moldavie. Les négociations avec ce pays ont été ouvertes, mais ce n’est qu’un geste politique, pour marquer un point de départ. Puis il y a une difficulté supplémentaire ici: la sphère d’influence européenne entre en contact avec la sphère russe

Le processus d’adhésion de la Moldavie à l’UE sera sans doute long, répond Jean-Michel De Waele. «Mais je ne pense pas que nous puissions nous permettre d’avoir à nos frontières des zones contrôlées par des amis de Poutine. Pour l’éviter, les promesses ne suffisent pas. Il faudra investir, notamment dans les régions pauvres, soutenir la lutte contre la corruption, etc.»

Encore faut-il que les prorusses n’arrivent pas au pouvoir. Lors du second tour des présidentielles du 3 novembre, Maia Sandu ne dispose que de peu de réservoirs de voix, contrairement à Alexandr Stoianoglo. «En cas de victoire, les prorusses pourraient revenir sur les mesures europhiles de la présidente, prédit Jean-Michel De Waele. Pendant des années, la Moldavie a maintenu un équilibre entre le bloc occidental et russe. Aujourd’hui, c’est comme si plus rien ne pouvait exister entre les deux. Une situation de moins en moins tenable qui la force à choisir son camp, malgré la complexité de la réalité sur le terrain.»

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