Charles III, « le prince des patates », fête ses 75 ans: portrait d’un mal-aimé
Pionnier de l’écologie, bâtisseur de villes, ouvert aux différentes religions, Charles III fête ses 75 ans. Très actif, il multiplie les initiatives en faveur des causes qu’il affectionne. Réussira-t-il à imprimer sa marque au cours de son règne tardif? Voici un portrait réalisé à l’occasion de son accession au trône le 8 septembre 2022.
Septante ans et sept mois d’attente. Un record absolu: jamais un prince héritier n’aura attendu aussi longtemps avant de porter la couronne. Jamais un monarque ne se sera autant préparé à assumer la fonction royale. Devenu roi à 73 ans, Charles III sera-t-il un souverain de transition? « Son règne sera forcément beaucoup plus court que celui d’Elizabeth II, mais cela ne signifie pas qu’il sera sans importance », estime l’écrivain Jean des Cars, auteur de plusieurs ouvrages sur la reine d’ Angleterre et la maison Windsor.
«Alors qu’Elizabeth II a reçu une éducation sommaire et n’avait pas le comportement d’une intellectuelle, son fils aîné Charles a été le premier membre de la famille royale à obtenir un diplôme universitaire, au Trinity College de Cambridge, rappelle Vincent Dujardin, professeur d’histoire contemporaine à l’UCL et spécialiste des monarchies européennes.
Autre différence majeure entre les deux souverains: Elizabeth a fait un mariage d’amour avec Philip Mountbatten, tandis que le mariage arrangé de son fils aîné avec Diana Spencer a été un fiasco dont Charles subit encore les séquelles. S’il est un mal aimé, c’est surtout parce que l’iconique Lady Di reste très présente dans la mémoire collective. La reine Elizabeth a été critiquée pour son mutisme après la mort brutale de la ‘‘princesse des cœurs’’, le 31 août 1997 à Paris, mais elle a su, mieux que Charles, redorer son image.»
On reproche à Charles de dire trop souvent ce qu’il pense, alors que sa mère était plus prudente.
Pouvoir d’influence
Comme sa mère avant lui, Charles III n’exercera officiellement aucun pouvoir politique. «C’était une fiction et une hypocrisie de parler de ‘‘gouvernement de la reine’’, remarque l’historien Francis Balace, spécialiste des affaires royales. Depuis le XVIIIe siècle, le souverain britannique règne mais ne gouverne pas.» Il conserve néanmoins, en tant que chef d’Etat, des droits constitutionnels. Au lendemain des législatives, il lui revient d’inviter le chef du parti qui a remporté le plus de sièges de députés à former un gouvernement.
Le roi dispose aussi d’un certain pouvoir d’influence législatif. Ainsi, Elizabeth II aurait pesé sur plus de mille projets de loi touchant de près ou de loin à ses intérêts privés, selon une enquête publiée par le Guardian. Elle recevait chaque semaine en audience le Premier ministre et ne se privait pas de mettre en garde les ministres. Mais les droits du souverain britannique se résument à «formuler des avertissements, donner des encouragements et des conseils», selon la définition des pouvoirs royaux due au journaliste du XIXe siècle Walter Bagehot.
«Charles III va connaître un début de règne très différent de celui de sa mère, montée sur le trône à l’âge de 25 ans, prédit Vincent Dujardin. Par sa jeunesse et en tant que femme ayant succédé à quatre rois, Elizabeth II a donné à la monarchie britannique un nouvel élan. On voit mal son fils aîné, qui entame un règne tardif, incarner une modernisation de l’institution, même s’il en manifeste l’intention. Le couple qui porte les espoirs d’une monarchie moderne et proche des citoyens n’est pas le duo Charles III-Camilla mais celui formé par William et Kate. La popularité de Kate Middleton, nouvelle princesse de Galles, dépasse même celle de son mari, selon un sondage de juillet dernier. Elle aurait assurément été, si elle était devenue reine consort, un atout précieux pour la monarchie.»
Régence tacite
William était le favori des Britanniques pour l’accession au trône: d’après une enquête d’opinion de 2019, 46% des sondés étaient pour l’abdication du prince Charles, contre 25% d’opposants. Toutefois, Charles, premier dans l’ordre de succession, ne pouvait être évincé au décès de la reine. Toutes les supputations à ce sujet se sont dissipées après le décès du duc d’Edimbourg, en avril 2021. Elizabeth II avait alors délégué à son fils la plupart de ses apparitions publiques.
«Le prince de Galles s’est retrouvé régent, sauf de nom», note l’historien Ed Owens dans le Guardian. «Pour que la régence soit proclamée officiellement, il aurait fallu constater la déficience mentale de la reine, mais elle a conservé jusqu’au bout toute sa tête», relève l’historien Francis Balace. En mai dernier, Charles avait, pour la première fois, prononcé le discours de la reine lors de la cérémonie d’ouverture du Parlement.
Charles le bâtisseur
Figure rassurante, Elizabeth II était perçue par ses concitoyens comme un point fixe dans la tempête. Son successeur est loin de bénéficier d’une telle aura. «On reproche à Charles de dire trop souvent ce qu’il pense, alors que sa mère était plus prudente», constate Vincent Dujardin. En 2015 ont été rendues publiques 27 lettres envoyées par le prince héritier au gouvernement de Tony Blair dans les années 2004 – 2005. Baptisées «black spider memos» (notes d’araignée noire) en raison de l’écriture particulière de Charles, pleine de points d’exclamation et de ratures, ces lettres étaient des plaidoyers sur des sujets les plus divers, de l’équipement inadapté des militaires à l’élimination des blaireaux en passant par le bien-être des poissons exotiques.
Le lobbying acharné du prince de Galles a plus d’une fois suscité le malaise dans la sphère politique. «Charles a laissé entendre qu’une fois sur le trône, il ferait preuve de réserve», indique l’historien de l’UCL. Un engagement qu’il a réitéré dans son premier discours de souverain.
Quelles que soient les qualités du nouveau monarque, changement rime avec questionnement.
Cette retenue n’est pas dans son caractère. Charles s’est notamment opposé à des projets immobiliers dans le centre de Londres, dont l’architecture moderne et monumentale lui déplaît. Sous son égide et sur ses terres de Cornouailles, une ville nouvelle, Nansledan («large vallée» en cornique), extension de la station balnéaire de Newquay, est en cours de construction depuis 2013. A son achèvement, elle devrait compter quatre mille logements. Les maisons d’un ou deux étages aux façades pastel et aux toits d’ardoise s’alignent le long de rues proprettes.
Charles a aussi fondé, en 1993, le village de Poundbury, dans le Dorset, une imitation du style des anciens quartiers de Londres. Le projet vise à offrir aux habitants un cadre de vie à l’opposé des cités-dortoirs de banlieue. Toutefois, l’intention d’y réduire la dépendance à la voiture reste inaboutie. L’approche néotraditionnelle de l’architecture et de l’urbanisme défendue par Charles lui vaut une image de prince bâtisseur passéiste.
La fibre écolo
Charles est aussi un pionnier de l’agriculture biologique. En 1981, il achète Highgrove House, un manoir de la fin du XVIIIe siècle proche de Gloucester. Il dessine lui-même les plans d’aménagement du parc. Le domaine comprend en outre plus de trois cents hectares de terres cultivables, converties au bio. Le prince héritier s’implique dans sa gestion, plante des haies, qu’il aime tailler, et des semences, selon les cycles lunaires.
En 1990, il crée le label Duchy Originals, qui lui permet de vendre les productions du domaine. La marque, qui regroupe près de deux cents produits distribués en grande surface, rencontre un vif succès. Le bail de l’exploitation agricole fut cédé en avril 2021, le prince héritier s’attendant à accéder au trône. Il se recentre alors sur le domaine royal de Sandringham, où il a implanté trois mille moutons, planté des arbres et développé de nouvelles cultures bio.
« Prince des patates »
Le goût du prince pour la production biologique et l’élevage a longtemps été perçu comme une lubie d’aristocrate fortuné. Des journaux britanniques ont surnommé ce passionné de jardinage et de botanique le «prince des patates» et il a été moqué pour ses idées jugées «loufoques». Commentaire de Jean des Cars: «Les précurseurs sont souvent mal considérés. Charles a vu plus loin que son époque. Il a alerté l’opinion contre les excès du monde moderne.»
Bien avant les mobilisations de masse pour le climat, le «prince vert» a manifesté une sensibilité écologique forte. Préoccupé par l’avenir de la planète, il a lancé, en septembre 2021, RE: TV, une chaîne de films et documentaires axés sur un mode de vie durable. «Il se bat de longue date pour des causes qui font désormais largement consensus, signale l’historien Vincent Dujardin. Cela devrait jouer aujourd’hui en sa faveur. Il n’a pas dû apprécier la nomination récente d’un climatosceptique au ministère de l’Energie!» Ni la décision prise par l’ancienne Première ministre, Liz Truss, de mettre fin à l’interdiction de la fracture hydraulique, technologie d’extraction du gaz et du pétrole lourde de conséquences environnementales.
Servir toute sa vie
Dans son premier discours, Charles III s’est engagé à servir les Britanniques toute sa vie, comme sa mère l’avait fait avant lui. « La sacralisation de la fonction royale exclut l’option d’une abdication », commente Vincent Dujardin. « Lors de son couronnement, cérémonie dirigée par le primat de l’Eglise d’Angleterre, le monarque est oint avec de l’huile consacrée, précise l’historien Francis Balace. Il est investi d’une mission d’essence divine dont il ne peut se délivrer. »
Spiritualité
Devenu automatiquement gouverneur suprême de l’Eglise anglicane en montant sur le trône, Charles a réitéré la primauté de la religion d’Etat sur les autres cultes du royaume. «Pour autant, Charles est ouvert aux autres religions et aux spiritualités, dont le bouddhisme, tandis que sa mère était une fervente croyante», détaille Vincent Dujardin. En 1994, le prince a fait savoir qu’il préférerait voir son futur rôle de roi comme celui de «défenseur des croyances et non de la foi». Ce positionnement a semé le trouble au sein de l’Eglise anglicane, le titre symbolique de «défenseur de la foi» étant conféré depuis cinq siècles à tous les monarques anglais.
Souverain d’un pays de plus en plus multiconfessionnel et sécularisé, Charles prêche l’œcuménisme religieux et a confié avoir étudié le Coran. «L’héritier de la couronne a séjourné à plusieurs reprises au mont Athos, haut lieu de l’orthodoxie grecque», ajoute Jean des Cars.
Apaiser les tensions familiales
Lors de sa première allocution en tant que souverain, suite au décès de sa mère, Charles III a souligné qu’une ère de «changement» s’ouvrait pour sa famille. Elle ne se limiterait pas à la redistribution des titres. Face aux critiques croissantes sur le train de vie de la famille royale, le roi aurait l’intention de réduire le nombre de ses membres actifs. Ils sont actuellement une dizaine à vivre aux frais de la couronne et à assumer en contrepartie des engagements publics. Trois princes ne font déjà plus partie de ce cercle: le frère cadet du roi, Andrew, mis en cause dans l’affaire Epstein de prostitution de mineures, et Harry et son épouse Meghan Markle, installés en Californie.
Charles III avait, au départ, tendu la main au couple, avec lequel les relations se sont dégradées ces derniers mois: «Je veux exprimer mon amour pour Harry et Meghan alors qu’ils continuent à construire leur vie à l’étranger», avait déclaré le souverain. « Charles cherche à apaiser les tensions familiales, glisse Jean des Cars. Une tâche rendue compliquée par les sorties du duc et de la duchesse de Sussex, si éloignées de l’habituelle réserve de la famille royale. »
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