Thierry Fiorilli
C’est comme beau comme le témoignage d’Aurélie, femme d’une victime de l’attentat de Paris (chronique)
« Dans la salle du procès, chaque jour, je remplis un peu davantage mes cuves d’humanité » explique Aurélie.
Ce soir-là, Matthieu donne le bain à Gary, 3 ans. Ils jouent à la tempête. Il faudra encore tout éponger mais Aurélie décide d’en sourire. Après le dîner, Matthieu met Gary au lit et l’embrasse: « A demain. » Puis il prend l’écharpe d’Aurélie, enfile sa veste, avec, en poche, la photo des chaussures qu’il lui achètera pour Noël, promet qu’il ne rentrera pas tard et file à son concert. Aurélie laisse une lumière allumée au salon et se couche. Fatiguée. Le bébé sans doute. Une fille, a montré l’échographie, la semaine d’avant. A 21 h 46, texto de Matthieu: « Ça, c’est du rock and roll! »Elle ne répond pas, qu’est-ce que vous voulez répondre à ça.
Ce soir-là, c’est celui du 13 novembre 2015. Le concert, c’est Eagles of Death Metal. A Paris. Au Bataclan. Où les terroristes tuent nonante personnes. Dont Matthieu.
Le 21 octobre dernier, au procès, Aurélie a raconté. D’une « voix très douce », selon le site de France Inter, qui a publié son récit. Elle a raconté ce soir d’il y a six ans. Ensuite, « toutes ces phrases avec ces mots qui ne vont pas ensemble et que je marie pourtant: « Papa est mort » ou « Quand pourrons-nous récupérer le corps de Matthieu? » ou « Je prends quelles chaussures, pour lui, dans le cercueil? » ou « Je suis soulagée, il a pris une balle dans la tête, c’est formidable, il a dû mourir sur le coup ». » Ces trois assiettes qu’elle met à table, longtemps, »machinalement. Je ne sais pas décrire la violence du geste qu’il faut faire pour ranger cette assiette sans montrer à mon fils que je suis effondrée. » Le 16 mars 2016, où Thelma naît, la nuit. « Aussi belle que la nuit du 13 novembre a été horrible. Cette nuit-là, monte en moi la certitude qu’on ira bien tous les trois. Que ce sera le boulot de ma vie. Je sais que je dois au moins ça à Matthieu et j’ai dans un coin de ma tête que c’est aussi la plus belle des vengeances. Nous, ils ne nous tueront pas. » Elle devient « une athlète du deuil ». Elle prend « un jour après l’autre. Il fallait seulement que ma voiture ne cale pas sinon elle ne redémarrait plus. »
Dans la salle du procès, « il y a des mains qui se touchent, des familles qui s’étreignent, des amis qui se réconfortent, quelques notes du parfum de la vie d’avant. Je crois qu’il y a ici tout ce qui faisait de nous une cible: l’ouverture à l’autre, la capacité d’aimer, de réfléchir, de partager et c’est incroyable de constater qu’au milieu de tout ce qui s’est cassé pour nous ce soir-là, ça – ce truc-là – est resté intact, je crois. Chaque jour, je remplis un peu davantage mes cuves d’humanité. J’entends des histoires de héros de coin des rues et je les rapporte à mes enfants. Je leur dis aussi qu’un soir, quand il se faisait tard, des parties civiles ont fait passer de la nourriture aux accusés. Et que les avocats se sont cotisés pour payer une bonne défense aux « méchants ». Je peux expliquer à mes enfants qu’il n’y a que ce qui est équitable qui est juste. »
D’ailleurs, « l’autre jour, une de mes amies m’a dit que cette salle était le pays dans lequel on voulait vivre« . Et Aurélie termine par un aveu: « Je crois qu’elle a raison. »
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