«Ce n’est plus un défi, c’est une crise»: 2024, année déjà parmi les plus meurtrières pour les migrants traversant la Manche
Une embarcation sombre dans la Manche, provoquant la mort d’au moins douze personnes. Le drame témoigne d’une recrudescence des traversées après une accalmie.
Le phénomène a repris de l’ampleur depuis le début de l’année. Le naufrage du 3 septembre au large de Boulogne-sur-Mer en est la triste illustration. 2024 risque d’approcher le record de traversées opérées de la France vers le Royaume-Uni par des migrants.
L’embarcation transportait plus de 60 personnes, la plupart érythréennes, quand elle s’est brisée au large des côtes françaises. Selon un premier bilan des autorités, douze d’entre elles ont trouvé la mort, deux sont portées disparues et plusieurs ont été blessées, dont certaines grièvement. France 3 a fait état de naufragés «en arrêt cardio-respiratoire»; la préfecture du Pas-de-Calais a évoqué le cas de personnes en «urgence absolue». C’est un navire affrété par l’Etat français, le Minck, qui a localisé le bateau en difficulté. Il a pu dépêcher des secours quand il s’est disloqué. Sur la soixantaine de passagers, moins de huit disposaient d’un gilet de sauvetage fourni par les passeurs.
Les solutions pérennes semblent faire défaut. La poussée migratoire de 2024 en fournit la démonstration.
Près du record de décès annuels
Le rôle de la marine française avait été mis en cause en 2021 lors d’un précédent naufrage; elle avait été accusée de ne pas avoir secouru les victimes avec la célérité voulue. Vingt-sept personnes étaient décédées. Le drame de Boulogne-sur-Mer pourrait s’inscrire parmi les plus meurtriers de l’histoire des traversées de la Manche. D’ores et déjà, 2024 apparaît comme l’une des années les plus funestes. Au moins 37 migrants ont péri lors de différentes traversées. En 2021, 45 personnes étaient mortes dans les eaux entre la France et le Royaume-Uni.
Il est délicat d’estimer qu’un tel «accident» était prévisible. Mais les autorités avaient, en tout cas, prédit en mars une recrudescence des tentatives de migration vers le Royaume-Uni. Les premiers chiffres de 2024 étaient en effet éloquents. Au cours du premier trimestre, le Home Office britannique avait recensé le passage de 4.600 migrants. Les Afghans, les Iraniens et les Vietnamiens figuraient parmi les nationalités les plus représentées.
Si ces statistiques annonçaient une recrudescence, c’est aussi parce que l’année 2023 avait été marquée par un reflux des arrivées au Royaume-Uni: 29.437 individus, soit une baisse de quelque 35% par rapport à l’année précédente. En 2022, pas moins de 45.774 personnes avaient rejoint «l’eldorado britannique». Ils étaient environ 14.000 de moins en 2021, et seulement 9.500 en 2020, 2.300 en 2018… La progression exponentielle avant la chute de 2023 s’explique par le renforcement graduel des mesures de protection sur les sites du port de Calais et du tunnel sous la Manche, qui a forcé les candidats à l’exil vers Londres à trouver d’autres voies de passage.
«Pas un défi. Une crise»
La navigation sur des embarcations de fortune s’est imposée. Elle s’opère principalement aujourd’hui au départ du littoral entre Dunkerque et Boulogne-sur-Mer. Comme l’avait indiqué au Vif la directrice de recherche au centre d’études de Sciences Po Paris Virginie Guiraudon lors d’un précédent afflux de migrants, souvent «plusieurs embarcations partent en même temps. Il est difficile de les repérer. Et si l’une l’est, les autres échapperont à la surveillance. Les garde-frontières et les bateaux de secours ne peuvent pas aller sur tous les lieux.»
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Les solutions pérennes semblent pour l’instant faire défaut. La poussée migratoire de 2024 en fournit la démonstration après que les autorités françaises et britanniques, sur la base du renforcement de l’action policière et de l’amélioration de leur coopération, ont cru pouvoir y remédier en partie les mois précédents. Le défi est lancé au nouveau Premier ministre travailliste britannique Keir Starmer, mis en difficulté, après le meurtre de trois fillettes à Southport, par des émeutes téléguidées par l’extrême droite sur de fausses informations indiquant que l’auteur était un migrant arrivé récemment sur le sol britannique. «Pour moi, ce problème [de la migration] n’est plus un défi, c’est une crise, rétorquait-il dans une tribune publiée par Le Monde le 18 juillet dernier, jour de la réunion de la Communauté politique européenne à Londres. Nous travaillerons donc avec la France et avec tous nos partenaires européens pour la résoudre.» Le 3 septembre, après le naufrage, le ministre français de l’Intérieur démissionnaire Gérald Darmanin a plaidé pour la signature d’un «traité migratoire entre le Royaume-Uni et l’Union européenne». Le chantier est d’envergure mais il requiert des actions multisectorielles et pas seulement des déclarations d’intention.
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