Bert Bultinck
« Aujourd’hui, les meilleures idées pour l’Europe viennent de Paris »
Après la sortie sur l’OTAN du président français dans The Economist, Bert Bultinck, rédacteur en chef de Knack, se demande pourquoi Macron a utilisé l’expression « mort cérébrale ».
Angela Merkel était dans tous ses états. Après la publication de l’interview controversée d’Emmanuel Macron la semaine dernière, la chancelière allemande a brièvement perdu son sang-froid habituel. Dans cet entretien, le président français a vivement critiqué la lenteur et l’inefficacité de l’OTAN, disant qu’elle est en « mort cérébrale ». Dans une réaction courte, mais vive, Mme Merkel a qualifié les paroles de son homologue français de « radicales » et a déclaré qu’une telle « diatribe » (« Rundumschlag », en allemand) n’était « pas nécessaire ». Quand Merkel dit « pas nécessaire », elle veut généralement dire « complètement idiot ».
Pourquoi Macron a-t-il lancé cette attaque contre l’OTAN ? Pourquoi exactement a-t-il utilisé l’expression « mort cérébrale », qui, avec un peu de mauvaise volonté, peut être comprise comme une insulte à l’intelligence américaine ? Macron a expliqué que l’action militaire menée récemment par la Turquie, membre de l’OTAN, contre les Kurdes dans le nord de la Syrie a montré qu’il n’y avait plus de stratégie à l’OTAN. L’alliance n’avait pas de plan, a-t-il souligné, mais il n’y avait pas non plus de coordination. L’attaque du président turc Erdogan, a été approuvée par le président américain Trump, mais tout a été fait sans consulter les autres partenaires de l’OTAN. La France était fermement opposée à l’opération militaire de la Turquie, en partie parce que les combattants kurdes dans le nord de la Syrie ont joué un rôle crucial dans la lutte contre l’EI.
Macron plaide depuis longtemps pour l’autonomie et l’assertivité de l’Europe. Il regrette que nous ayons abandonné la « grammaire de la souveraineté ». Ce qu’il veut dire, c’est qu’en Europe, nous avons laissé échapper notre pouvoir de décision, entre autres par des chamailleries sans fin, une lenteur exaspérante dans la prise de décision et des règles d’unanimité contrariantes. Au niveau militaire, il y a longtemps que nous avons perdu le contrôle de notre destin. Depuis la Seconde Guerre mondiale, nous comptons sur l’OTAN. Et Trump dit clairement qu’il ne veut pas continuer à offrir les garanties séculaires de paix et de sécurité. Mais ce n’est pas tout. Macron se rend compte que des guerres se déroulent également dans le cyberespace aujourd’hui, et c’est pourquoi, dans son interview, il parle également de la technologie 5G, où l’Union européenne ne réussit tout simplement pas à adopter une politique unanime.
Merkel n’était pas la seule à le critiquer. Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, a déclaré que la réunification de l’Allemagne et de l’Europe n’aurait pas été possible sans cette alliance. Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a qualifié l’OTAN d’une « des alliances stratégiques les plus importantes de tous les temps ». Le New York Times cite François Heisbourg, l’analyste français de la défense, qui a qualifié le discours de Macron de « bizarre » et de « dangereux » : le président semblait « un membre d’un think tank » et « pas le dirigeant d’un partenaire essentiel de l’OTAN ».
Les critiques de Macron ont raison : son impétuosité tombe parfois mal. De plus, ses discours enflammés cachent les intérêts français qui sont souvent le véritable enjeu de son enthousiasme. Ses plans de défense européenne, qui sont cruciaux pour la joute avec Trump et les autres partenaires de l’OTAN, n’ont pas encore été fort concrétisés. Macron doit veiller à ne pas devenir le Verhofstadt français : grandes visions de l’avenir, discours passionnés, mais piètres résultats.
Et pourtant. Si on lit toute l’interview, sans se contenter des quelques citations qui ont fait la une la semaine dernière, on voit un politicien intelligent, motivé, énergique et visionnaire. « L’Europe a perdu son histoire de vue », dit Macron, et c’est pour lui une des raisons pour lesquelles l’un des projets de paix les plus réussis menace de se désintégrer. Il se distancie également de la croyance dogmatique en l’économie de marché : elle n’est pas bonne pour tous, comme on peut le constater aujourd’hui sans ambiguïté. Il utilise le mot « humanisme » comme nous devrions l’utiliser : comme une évidence.
Il n’est pas rare que le langage de l’Élysée soit ampoulé. Et c’est encore le cas. Mais sa vision de l’avenir n’est en aucun cas « inutile ». Si Merkel n’est pas capable de formuler plus que quelques critiques rapides, sans proposer d’alternative inspirante, elle devrait peut-être regarder l’anémie dans ses interventions de ces derniers mois. Les résultats se font peut-être attendre, mais aujourd’hui, les meilleures idées pour l’Europe viennent de Paris.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici