Au Royaume-Uni, des grèves tests contre l’inflation
Les patrons des entreprises de transport disent ne pas pouvoir accorder les hausses de salaire réclamées pour combler la baisse du pouvoir d’achat. Le Parti conservateur promet une réplique à la Margaret Thatcher.
Le Royaume-Uni est confronté depuis plus d’une semaine au plus vaste mouvement de grève dans le secteur du transport ferroviaire depuis 1989. Toute la journée du 19 août, le métro londonien a été paralysé. Deux jours plus tard, c’était au tour des dockers de Felixstowe, le plus grand port de fret du pays, de débrayer pour huit jours. Au cœur des revendications, une hausse des salaires pour compenser l’inflation qui, en juillet, a atteint les 10,1% sur un an. Un taux dans la moyenne de celui de l’Union européenne. Pourquoi la contestation sociale s’exprime-t-elle si spectaculairement outre-Manche? Eléments de réponse avec Catherine Mathieu, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), spécialiste du Royaume-Uni.
Les travaillistes sont restés très en retrait sur la question des grèves. C’est pourtant dans l’ADN du Parti d’apporter son soutien aux syndicats.
Comment expliquer ce mouvement de protestation, qui touche principalement le secteur des transports?
Les salariés britanniques demandent, dans les négociations d’entreprise, des hausses de salaire les plus proches possible de l’inflation pour ne pas perdre de pouvoir d’achat, ce qui représenterait des hausses de 10%. Le patronat, en particulier dans le secteur des transports, propose des hausses aux alentours de 5%. Cela implique une perte de pouvoir d’achat importante, d’au moins 5%, voire plus, puisque la Banque d’Angleterre prévoit que l’inflation pourrait atteindre les 13% dans les prochains mois. C’est le premier point de crispation pour les syndicats des transports avec le patronat. Mais ce n’est pas le seul. Les entreprises de ce secteur envisagent de réduire fortement le personnel, notamment en fermant un certain nombre de guichets dans les prochaines années, et elles aimeraient aussi modifier les conditions de travail dans un sens moins favorable aux salariés, par exemple en ce qui concerne le travail du dimanche. Depuis de nombreuses années au Royaume-Uni, on enregistrait une inflation de l’ordre de 2%, voire un peu plus selon les secteurs. Les salaires augmentaient en moyenne aussi de 2%. On se trouve aujourd’hui dans une situation très différente avec la forte hausse des prix de l’énergie.
Le contexte post-Brexit a-t-il un impact sur cette situation économico-sociale?
Non. Les grèves concernent surtout le transport ferroviaire, le métro de Londres, qui ne sont pas soumis à la concurrence des autres pays de l’Union européenne. A terme, pour les dockers, si le mouvement se durcissait, les compagnies de fret maritime pourraient envisager de ne plus faire arriver leurs marchandises dans les ports britanniques. Mais c’est une tendance qui ne se déclenchera éventuellement qu’à plus long terme. Le mouvement de grève actuelle n’a rien à voir avec le Brexit.
La candidate du Parti conservateur, favorite pour le poste de Première ministre, Liz Truss, est considérée comme une «nouvelle Margaret Thatcher». Cela préfigure-t-il une confrontation dure avec les syndicats comme on en a connu sous les mandats de l’ancienne cheffe de gouvernement?
C’est tout à fait possible. Les déclarations de Liz Truss vont effectivement dans ce sens. Elle affirme que si elle est nommée Première ministre, elle réduira la possibilité de mener des grèves, notamment dans les transports ferroviaires. Ses alliés politiques relaient un discours selon lequel on est très bien payé dans le secteur ferroviaire et que les conditions de travail y sont bonnes. Liz Truss a un discours très thatchérien sur les conditions de travail des salariés, comme sur sa future politique économique. Elle a affirmé dès le début de sa campagne qu’elle mettrait en place très rapidement des baisses d’impôts pour les entreprises et des baisses d’impôts sur le revenu qui bénéficieront aux ménages les plus riches ou ceux de la classe moyenne. Pendant des semaines, elle a assuré qu’elle n’accorderait aucune aide aux ménages britanniques pour compenser l’effet de la hausse du prix du gaz sur leur facture. Elle a un peu changé son discours sur ce point-là ces derniers jours, en affirmant qu’elle prendrait tout de même des mesures pour soutenir les ménages les moins favorisés. Mais on voit bien que ce n’est pas ce qu’elle souhaite. Elle souhaite mettre en place une politique très libérale où chaque individu est responsable de lui-même et où il ne doit pas compter sur l’Etat pour l’aider. Aujourd’hui, les syndicats peuvent négocier avec les entreprises alors que le gouvernement n’est pas très présent, c’est le moins qu’on puisse dire. A partir de début septembre, si Liz Truss prend la tête du Parti conservateur et devient Première ministre, elle mènera probablement une politique très dure. La question se posera alors pour les syndicats de savoir s’ils ont un soutien suffisamment important du côté du Parti travailliste.
Comment se positionne l’opposition travailliste sur ce mouvement de grève?
Jusqu’à présent, les travaillistes sont restés très en retrait sur la question des grèves. C’est pourtant dans l’ADN du Parti travailliste d’apporter son soutien aux syndicats. Mais il y a deux grands courants en son sein: celui de gauche, qui était mené par Jeremy Corbyn, et le courant centriste, mené par l’actuel chef du parti Keir Starmer. Ce dernier n’est pas dans une situation facile. Le Parti travailliste progresse dans les sondages, en étant parti de très bas. S’il n’appuie pas les demandes des syndicats, il sera probablement sanctionné par sa base. Beaucoup de salariés sont sensibles aux revendications avancées par leurs collègues du secteur ferroviaire. On le constate dans les sondages. Une majorité de la population soutient le mouvement de grève. Il faut bien voir que tous les salariés britanniques ne sont pas en position de force pour défendre les mêmes demandes. L’enjeu de ce mouvement de grève est donc important pour l’ensemble des salariés au Royaume-Uni.
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