Allemagne: pourquoi la popularité du gouvernement Scholz est à un plancher historique
Les élections en Thuringe et en Saxe ont vu la progression de l’extrême droite mais aussi de l’extrême gauche. La défaite des partis de la coalition est lourde de menaces.
Björn Höcke n’a pas obtenu de mandat direct dans sa circonscription de Greiz, dans le sud-est de la Thuringe. Cette déception personnelle aura été la seule ombre au tableau pour le patron régional du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), le 1er septembre au soir, à la clôture des urnes. Le mandat direct (50% +une voix dans une circonscription) est la cerise sur le gâteau d’une carrière politique en Allemagne. Pour cet ancien professeur d’histoire et de sport d’Allemagne de l’Ouest, l’essentiel est cependant atteint: son parti est arrivé en tête du scrutin régional (32,8% des voix) en Thuringe, petit Land de deux millions d’habitants en ex-RDA (2,5% de la population allemande). L’AfD y dispose désormais d’une minorité de blocage, à même de passablement troubler le jeu démocratique. Et l’influence de sa mouvance, la plus radicale au sein de l’AfD, a encore gagné en poids au détriment de la direction plus «centriste» du parti à Berlin.
C’est la première fois qu’un parti d’extrême droite arrive en tête d’une élection régionale en Allemagne depuis 1945. Dans la Saxe voisine, l’AfD a obtenu 30,6% des bulletins de vote, talonnant de près les chrétiens-démocrates de la CDU, qui conservent la main sur la région.
«En Thuringe, l’AfD représente une menace concrète pour le fonctionnement de la démocratie.»
Parti «sous surveillance»
Même sans mandat direct, Björn Höcke siégera dans le parlement d’Erfurt, la capitale régionale située à 300 kilomètres au sud-ouest de Berlin. Dimanche soir, il a fait une rare apparition sur les chaînes de télévision publique –tendu et agressif comme toujours lorsqu’il se présente hors de son cocon extrémiste– réclamant le pouvoir.
Condamné à deux reprises cette année pour incitation à la haine, Björn Höcke est le représentant de l’aile la plus radicale de son parti. La mouvance informelle qu’il avait animée, baptisée tout simplement «L’Aile», est désormais interdite. Et l’ensemble de l’AfD en Thuringe a été placé «sous surveillance» par l’Office fédéral de protection de la Constitution, les services de renseignement intérieur, au même titre que l’organisation de jeunesse du parti, JA. Depuis une décision de justice, il est expressément permis de traiter Höcke de «fasciste» en Allemagne, ce que ses adversaires en politique ne se privent pas de faire. Figure polarisante, y compris en interne, il a survécu à plusieurs tentatives d’exclusion, qui se sont achevées par le départ de ses rivaux, adeptes d’une ligne plus modérée.
La stratégie du «mur pare-feu» suivie par la totalité des partis traditionnels et qui leur interdit toute alliance avec l’AfD, ne permettra sans doute pas à Björn Höcke d’arriver au pouvoir à Erfurt. Mais en Thuringe, l’extrême droite dispose désormais d’une minorité de blocage et pourra paralyser toutes les décisions devant être prises à la majorité des deux tiers, comme l’élection des juges de la Cour constitutionnelle et de la Cour des comptes régionales. Fort de son nouveau poids dans le parlement régional, l’AfD pourrait réclamer le droit de nommer trois des neuf juges constitutionnels, qui tous arrivent au terme de leur mandat de sept ans au début de la législature. A plus court terme, il ne sera pas non plus possible d’élire le président du parlement régional sans l’aval –ou au moins l’abstention – des 32 députés AfD sur un total de 88 élus dans la région. Sans président, pas de travail parlementaire. En clair, l’AfD représente une menace concrète pour le fonctionnement de la démocratie. Höcke, constate la presse à l’unisson, «dispose d’un nouveau pouvoir de chantage».
Succès auprès des jeunes
Autre source d’inquiétude au lendemain du vote, la composition de l’électorat de l’AfD, arrivé en tête chez les 18-30 ans (38% des jeunes de cette tranche d’âge ont voté pour l’AfD en Thuringe; 31% en Saxe). «L’AfD n’est pas un phénomène appelé à disparaître avec l’évolution démographique comme l’ont fait les anciens partis néonazis qui attiraient les nostalgiques du nazisme, âgés de plus de 70 ans», alerte le quotidien économique Handelsblatt.
L’AfD pourrait pourtant se trouver face à un dilemme. «Aussi bizarre que cela puisse paraître, les 30% obtenus par Björn Höcke en Thuringe sont un défi pour le parti dans son ensemble, estime le politologue Thorsten Faas, de l’université libre de Berlin. Il sera très, très difficile pour l’AfD d’arriver un jour au pouvoir, si le modèle extrémiste de Höcke domine en interne. Tant que ce profil prévaut, il ne pourra pas y avoir de coalitions possibles avec les partis traditionnels.» Or, l’ensemble du système politique allemand repose sur le principe des coalitions.
L’extrême aussi à gauche
Les scores du 1er septembre, même attendus, provoquent un véritable séisme politique en Allemagne. Outre la poussée de l’extrême droite, la Saxe et la Thuringe ont assisté à la percée spectaculaire d’une start-up de la politique, le mouvement populiste de gauche BSW (pour Alliance Sahra Wagenknecht, le nom de la leader du mouvement), lancé au début de cette année, et qui a obtenu 15,8% des voix en Thuringe, et 11,8% en Saxe. Né d’une dissidence du parti néocommuniste Die Linke (le descendant lointain du parti communiste SED de la dictature communiste), BSW défend un programme économique et social très à gauche, mais proche de celui de l’AfD sur les questions culturelles, l’immigration, les livraisons d’armes à l’Ukraine et les sanctions à l’égard de la Russie de Poutine que ces deux partis condamnent.
«Ce qui rapproche ces deux partis, c’est leur populisme, leurs fortes critiques à l’encontre du gouvernement fédéral, leur prétention à affirmer représenter « les petites gens », souligne Thorsten Faas. BSW est une option pour les électeurs protestataires, pour qui il est inimaginable de voter pour l’extrême droite.» Le mouvement a quelques faiblesses: il ne compte que 70 adhérents en Thuringe; 80 en Saxe. Il lui sera difficile de constituer une équipe expérimentée à même de mener les difficiles négociations qui s’annoncent en vue de former une coalition à Erfurt et à Dresde, la capitale régionale de la Saxe. Et plus encore d’échapper à la tutelle de la très présente Sahra Wagenknecht, qui multiplie les prises de position depuis le 1er septembre pour dicter ses conditions à une coalition.
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A eux deux, AfD et BSW ont obtenu 42% des voix en Saxe, 48% en Thuringe (28% à l’échelon national, selon les sondages). Face à ce raz-de-marée des extrêmes, les partis de la coalition d’Olaf Scholz à Berlin (SPD, Verts et Libéraux) sont laminés. A eux trois, ils atteignent entre 10% et 12% des voix dans les deux régions, laissant augurer de graves difficultés aux législatives de l’automne 2025, alors que la popularité du gouvernement Scholz est à un plancher historique tant à l’ouest qu’à l’est du pays. A la sortie des urnes, 80% des personnes interrogées assuraient que leurs choix électoraux étaient guidés par leur insatisfaction envers le gouvernement fédéral, empêtré dans ses querelles internes et perçu comme incapable d’apporter des solutions aux préoccupations des gens: l’immigration, l’inflation et la crise économique.
Négociations difficiles
«La formation de majorités stables sera très difficile dans les deux régions, surtout en Thuringe», souligne Thorsten Faas. Les partis traditionnels ayant tous exclu de s’allier avec l’AfD, les chrétiens-démocrates, seule force traditionnelle à avoir résisté à l’avalanche AfD-BSW, seront contraints de négocier, en Saxe comme en Thuringe, une alliance «contre nature» avec le BSW et ce qu’il reste du Parti social-démocrate d’Olaf Scholz. En Thuringe, la CDU, BSW et le SPD devront même s’unir avec un quatrième partenaire, les néocommunistes de Die Linke, pour peser plus que l’AfD. De telles alliances, approuvées du bout des lèvres par les instances fédérales de la CDU, achèvent de brouiller le message politique des partis, et contribuent à renforcer le poids de l’AfD à travers le pays.
Le mouvement BSW, fort de son succès, entend bien monnayer sa participation au prix fort. «Il n’y aura pas d’alliance avec nous si la CDU continue de soutenir les livraisons d’armes à l’Ukraine et le stationnement de missiles de l’Otan sur le sol allemand», insiste la tête de file de BSW en Thuringe, Katja Wolf, présentant des exigences bien éloignées de la politique régionale et des compétences du Land.
Les «Ossis» ont moins de patrimoine qu’à l’ouest, ce qui les rend plus craintifs face aux incertitudes de l’avenir.
Au lendemain du vote, l’Allemagne ne cesse de s’interroger sur les motivations électorales des Allemands de l’Est, 35 ans après la chute du mur. Déçus de la démocratie et du capitalisme, ils ont souvent l’impression d’être les laissés-pour-compte de la réunification. En raison du communisme, les «Ossis», comme on les appelle à l’ouest, ont moins de patrimoine qu’à l’ouest (150.000 euros en moyenne par personne en ex-RFA contre 15.000 euros en ex-RDA), ce qui les rend plus craintifs face aux incertitudes de l’avenir. En raison du communisme toujours, ils n’ont guère de traditions électorales établies. En Thuringe, 60.000 nouveaux électeurs de l’AfD viennent du parti néocommuniste Die Linke, 44.000 de la CDU. Mais l’AfD a aussi perdu 23.000 électeurs, qui ont rejoint les rangs de BSW. En Thuringe toujours, 41.000 électeurs sont passés des néocommunistes à la CDU… Ces parcours électoraux en zigzag ne cessent de surprendre les observateurs.
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