Allemagne: et si la continuité, c’était Olaf Scholz?
Les électeurs sont déstabilisés par la retraite politique d’Angela Merkel après seize années d’exercice du pouvoir. Membre de l’aile droite du SPD, le principal parti rival de la CDU, le social-démocrate Olaf Scholz s’affiche comme le « successeur naturel » de la chancelière sortante. L’état des intentions de vote lui donne pour le moment raison. Aussi parce que le prétendant de la CDU, Armin Laschet, rate sa campagne.
Le contexte
Angela Merkel a intensifié, le week-end des 4 et 5 septembre, son implication dans la campagne pour les élections législatives du 26 septembre en soutien à Armin Laschet, son « dauphin » désigné au sein du Parti chrétien-démocrate CDU. La chancelière sortante s’est rendue dans les deux Länder touchés les 14 et 15 juillet par des inondations dévastatrices qui ont causé la mort de 180 personnes. Le samedi en Rhénanie-Palatinat et le dimanche en Rhénanie-du-Nord-Westphalie en compagnie d’Armin Laschet, elle a tenté de réparer l’image désastreuse que ce dernier avait donnée en se laissant aller à un fou rire pour le moins déplacé alors que le président allemand Frank-Walter Steinmeier prononçait un discours plein d’empathie à l’intention des sinistrés dans une des communes touchées. Depuis, la cote de popularité d’Armin Laschet n’a cessé de plonger au profit de son rival social-démocrate, Olaf Scholz.
Lorsqu’il débarque sur un marché ou un terrain de sport de Potsdam, sa circonscription, Olaf Scholz semble emprunté. Il a pourtant troqué son habituelle chemise blanche et sa cravate foncée pour un polo. Mais il ne gagne pas en décontraction pour autant. Son uniforme est décidément le costume sombre, celui des banquiers et des hommes d’affaires que le comptable en chef de l’Allemagne a l’habitude de côtoyer. Et voilà que le scénario qui semblait inimaginable il y a un an encore pourrait devenir réalité: Olaf Scholz, 63 ans, candidat pâlot, dépourvu de tout charisme et, en apparence, d’empathie, mal à l’aise dans son contact avec l’homme de la rue, pourrait arriver en tête des élections du 26 septembre et succéder à Angela Merkel.
Olaf Scholz donne surtout l’impression de ne pas vouloir effrayer les électeurs avec un programme chiffré qui pourrait coûter cher au contribuable.
Le ministre des Finances de la chancelière sortante, tête de liste du Parti social-démocrate, plafonnait à 18% des intentions de vote début août dernier. Un mois plus tard, il est passé en tête de course avec 25% dans les sondages, loin devant le candidat du Parti chrétien-démocrate, Armin Laschet, tombé, lui, à 20%, une chute historique pour la démocratie-chrétienne allemande qui a gouverné le pays, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, pendant 54 ans. Jamais les conservateurs n’ont été aussi bas dans les intentions de vote depuis la création du baromètre ARD-Deutschlandtrend, en 1997. Le SPD, de son côté, devance les conservateurs pour la première fois depuis février 2017.
A l’époque, l’écart n’était que d’un point, contre cinq aujourd’hui. Olaf Scholz est jugé « plus compétent » que le chef de file des conservateurs Armin Laschet (55% contre 14%), « plus sympathique » (42% contre 13%), « plus crédible » (43% contre 15%) et « plus apte à diriger le pays » (53% contre 15%). Surtout, si les Allemands élisaient leur chancelier au suffrage universel direct, le ministre des Finances obtiendrait 43% des voix contre 16% au conservateur et 12% à la Verte Annalena Baerbock. Le sondage, réalisé au lendemain du « Triell », le premier débat télévisé tri-partite de l’histoire du pays diffusé le 29 août, confirme les premières études d’opinion réalisées auprès des téléspectateurs qui donnaient Scholz « gagnant » à 30%.
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Le retrait du « rempart »
« Olaf Scholz bénéficie surtout de la faiblesse de ses concurrents, explique Manfred Güllner, fondateur de l’institut de sondage Forsa et membre du Parti social- démocrate. La Verte Annalena Baerbock, un temps perçue comme quelqu’un de moderne, ayant une vision pour le pays et digne de confiance, a raté sa campagne et nombre de ses supporters se sont reportés sur Olaf Scholz. Quant à Armin Laschet, il est considéré par une majorité des électeurs comme un mauvais candidat. Et ce, même chez ceux qui ont voté pour la CDU en 2017. Il est en chute libre dans les sondages. Et là encore, cette tendance profite en partie à Olaf Scholz. »
Dépités, les électeurs allemands se livrent dans les enquêtes d’opinion à de grandes transhumances, migrant de la CDU vers les Verts ou les libéraux pour finalement se retourner vers les sociaux- démocrates. « On sent que les électeurs sont très troublés par le départ d’Angela Merkel, poursuit Manfred Güllner. La situation actuelle est inhabituelle. » De fait, c’est la première fois dans l’histoire de la république fédérale que le chancelier en exercice ne se présente pas à sa propre succession. Après seize années au pouvoir, Angela Merkel a décidé de se retirer de la vie politique. « Les Allemands avaient le sentiment que Merkel était un rempart, qu’elle les protégeait contre tous ces vilains autocrates qui menacent la paix et la stabilité à travers le monde », toujours selon le sondeur.
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La « bande à Schröder »
Face à ce vide, l’ancien maire de Hambourg, perçu comme un pôle de stabilité, inspire confiance. Les Allemands le connaissent. Ils ont apprécié sa gestion de la crise financière puis son intervention au secours des entreprises dans le sillage de la crise sanitaire. Cherchant à capitaliser sur son expérience du pouvoir, Olaf Scholz se présente en successeur naturel d’Angela Merkel, avec qui il a travaillé sans heurts pendant la longue cohabitation qui s’achève. « Il peut devenir chancelière! » assurent certaines de ses affiches électorales tandis que lui n’hésite pas à poser en formant avec ses doigts le losange devenu symbole de Merkel, face aux photographes. La chancelière, qui ne semble soutenir Armin Laschet que du bout des lèvres, a retiré publiquement à Olaf Scholz le label d’héritier, sans vraiment convaincre.
« Les Allemands le trouvent digne de confiance, constate le politologue Gero Neugebauer, de l’université libre de Berlin. En tant que ministre des Finances, il a fait preuve de grande compétence. Autre atout en sa faveur, il n’y a pas de conflit entre le candidat et son parti, ce qui ne va pas de soi dans le camp chrétien- démocrate. » Pourtant, le prétendant, membre de l’aile droite du SPD, était un proche de l’ancien chancelier Gerhard Schröder, un pedigree qui a longtemps fait figure d’épouvantail au sein du parti. « Il représente ce qu’on a appelé « la bande à Schröder », ce groupe au pouvoir qui a entraîné la chute de la sociale-démocratie en 2005, avec une remise en cause des valeurs de base telles que l’aspiration à l’égalité et à la protection sociale pour les plus faibles. » En adoptant l’Agenda 2010, un programme d’austérité d’inspiration libérale qui mettait fin à un système d’aide sociale très généreux pour les plus démunis, fortement incités à accepter tout type d’emploi, même précaire et mal rémunéré, Gerhard Schröder avait ouvert la voie à un recul historique du chômage. Mais il avait aussi définitivement coupé les ponts avec la clientèle traditionnelle de son parti, les milieux ouvriers et les syndicats.
Une coalition à trois
Le programme du candidat Scholz n’a rien de renversant. Hormis une timide hausse des impôts de trois points « pour ceux qui comme moi gagnent très bien leur vie » – un ministre allemand gagne environ 200 000 euros par an -, la hausse du revenu minimum qu’il veut porter à 12 euros de l’heure (contre 9,50 euros actuellement), 20 euros de plus par enfant et par mois pour l’allocation familiale et davantage de sécurité pour les six millions de salariés précaires vivant de petits boulots à 400 euros par mois, son programme ne se distingue guère de celui des conservateurs.
La Verte Annalena Baerbock, un temps perçue comme quelqu’un de moderne, ayant une vision pour le pays et digne de confiance, a raté sa campagne.
Et s’il assure vouloir faire quelque chose pour le climat – les investissements dans l’environnement doivent devenir « une machine à créer des emplois » et permettre d’atteindre la neutralité carbone en 2045 -, Olaf Scholz donne surtout l’impression de ne pas vouloir effrayer les électeurs avec un programme chiffré qui pourrait coûter cher au contribuable. Il ne veut pas non plus fermer la porte à toutes les options de coalition qui pourraient se présenter à lui le soir du 26 septembre. Pas même à la coalition dite « rouge-rouge-verte » avec les écologistes et les néocommunistes de Die Linke, présentée en repoussoir par les conservateurs. « Une telle coalition ne sera possible que si Die Linke se positionne clairement face à l’Otan aux interventions militaires de la Bundeswehr à l’étranger », répète tout de même Olaf Scholz.
Quatre options de coalition sont pour l’heure envisageables. Toutes ont pour particularité de reposer sur trois partis, du jamais-vu dans le pays. « Scholz a deux préférences, explique Gero Neugebauer: une coalition dirigée par le SPD, associé à la CDU et aux libéraux du FDP, ou une dirigée par lui avec le soutien des Verts et du FDP. » Seule cette dernière configuration semble aujourd’hui possible, la CDU ayant refusé de participer au prochain gouvernement en tant que « junior partner ». L’option rouge-rouge-verte, qui disposerait d’une très courte majorité, nécessiterait des mois de négociations tant les positions des trois partenaires potentiels sont opposées sur les questions de politique étrangère et de défense. La quatrième option, la seule selon les sondages actuels à être dirigée par les conservateurs, reposerait sur le soutien des Verts et des libéraux.
Une chose est sûre, les négociations en vue de former le prochain gouvernement seront longues. « Avec un peu de chance, on aura un gouvernement à Noël, estime Frank Baasner, le directeur de l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg. Il est bien possible qu’il faille attendre janvier. » Sur le départ, Angela Merkel serait alors contrainte d’adresser une dernière fois ses voeux de bonne année aux Allemands, comme le veut la tradition. Les Allemands, en tout cas, espèrent éviter une réédition du scénario de 2017, lorsque les négociations entre la CDU et le SPD pour accoucher du dernier gouvernement Merkel avaient duré six mois – un record dans l’histoire du pays.
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