Accueil réservé en France pour les Russes fuyant le régime de Moscou
Horrifiés par la dérive du pouvoir russe et l’invasion de l’Ukraine, des dizaines de milliers de Russes ont choisi l’exil. Arrivés en France, certains découvrent que l’accueil est loin de la chaleur réservée aux réfugiés Ukrainiens.
Artiom Kotenko, citoyen russe de 50 ans né sur le territoire de l’Ukraine soviétique, raconte à l’AFP avoir été « anéanti » par l’assaut lancé par Moscou le 24 février. Une semaine plus tard, cet artiste et designer graphique ayant travaillé pour le musée de l’Ermitage et le théâtre Tovstogonov, quitte Saint-Pétersbourg pour la Finlande avant de rejoindre Paris.
Dans la capitale française, « le sentiment d’étouffer, de mourir jour après jour, s’est arrêté, je pouvais respirer de nouveau », dit-il à l’AFP, lors d’une rencontre dans le 13e arrondissement, où les oeuvres de street-art pro-ukrainiennes recouvrent de nombreux murs. Par contre, se plaint Artiom, il est rapidement devenu évident qu’obtenir des papiers pour travailler légalement en France allait s’avérer très difficile, à l’inverse des citoyens ukrainiens qui, fuyant la guerre, sont accueillis à bras ouverts, comme un peu partout en Europe. « Cela doit changer car il y a plein de gens comme moi (des Russes anti-Poutine ayant fui la répression, ndlr) et il y a du travail pour nous », insiste l’artiste.
Dans les semaines qui ont suivi l’invasion, des dizaines de milliers de Russes, souvent éduqués, ont quitté la Russie pour se mettre à l’abri du tour de vis, des effets des sanctions économiques et d’une éventuelle mobilisation militaire. Une fuite des cerveaux qui n’est pas sans rappeler à certains celle de 1922 après la consolidation du régime bolchévique.
En Allemagne, qui compte déjà une vaste minorité russe depuis la chute de l’URSS, le vice-chancelier Robert Habeck a indiqué que le gouvernement pourrait favoriser l’immigration des nouveaux exilés: « Nous voulons qu’ils sachent que nous pourrions vraiment avoir besoin d’eux ». Les Russes ayant choisi la France estiment donc que Paris devrait suivre cet exemple. Interrogé sur le sujet, le ministère de l’Intérieur n’a pas commenté.
« Si les gens cherchent à s’installer ici, il faut les soutenir », estime Daniel Kachnitski, un Moscovite de 41 ans qui a quitté la Russie avec sa femme et leurs quatre enfants après le déclenchement de la guerre. Il raconte avoir réalisé qu’il était temps de partir après avoir passé une nuit en cellule pour avoir manifesté contre l’invasion. D’autant que son fils aîné fête ses 18 ans en mai, et deviendra donc appelable sous les drapeaux.
– Fonds de solidarité –
« C’était important pour moi de sortir les enfants », explique ce spécialiste des questions de santé publique. Depuis son arrivée en France en avril, c’est une succession d’embûches administratives, assure-t-il, logeant sa famille à ses frais dans un hôtel près de Paris. Pour la durée de l’examen de sa demande d’asile, ils ont obtenu un logement à Alès, dans le sud de la France. Daniel espère pouvoir « travailler dès que possible » et revenir à Paris si l’asile lui est accordé.
Antoine Nicolle, un doctorant de 29 ans, a participé à la création du « Fonds de solidarité pour les Russes en exil ». Son but: apporter un soutien financier à ceux qui, pour des raisons politiques, ont quitté leur patrie. « On a créé cette association parce que nous avons vu que rien n’était fait pour les Russes« , raconte, en russe, l’ex-enseignant du Collège universitaire français de Moscou. Mais, affirme-t-il, parce que le Fonds comporte le mot « russe », les banques sont réticentes à travailler avec lui dans le contexte des sanctions, si bien qu’il n’arrive pas à avoir de compte bancaire. « C’est vraiment n’importe quoi », juge Antoine Nicolle.
Artiom Kotenko, le designer de Saint-Pétersbourg, dit comprendre que les Ukrainiens soient prioritaires et obtiennent un plus grand soutien. Mais selon lui, l’exode des Russes va se poursuivre, à mesure que la répression s’accroit et que la crise économique s’installe. « De plus en plus de gens comme moi vont apparaître, et ils devront avoir une chance de s’établir, de travailler légalement », juge-t-il, « autrement, les Russes vont juste s’installer en clandestins ».
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