À Paris, le confinement signifie souvent vivre nombreux dans un espace restreint
Dans les quartiers populaires de Paris, le confinement signifie: partager quelques mètres carrés avec plusieurs personnes au risque d’une contamination accrue. Mais il fragilise aussi le maigre portefeuille.
Le marché de Barbes dans le 18e arrondissement de Paris approvisionne en temps normal des dizaines de milliers de personnes. Une grande majorité viennent des banlieues nord de la capitale française: St-Ouen, Aubervilliers, St-Denis. Pour ces personnes, faire ce déplacement est essentiel pour leur portefeuille. Là où une pomme coute plus d’un euro dans la plupart des primeurs de Paris, à Barbès, il est possible d’acheter 2 kilos pour un euro. Les légumes, la viande, le poisson, tout y est divisé par trois, parfois par 10.
« Ici, c’est un endroit vital pour des milliers de gens « , explique l’homme qui gère la plus grande boutique de poissons du marché, « en temps normal, dès le 15 du mois, la consommation baisse car les gens n’ont plus d’argent ». Depuis ce matin, premier samedi de confinement, seules les personnes qui habitent à moins de 500 mètres sont autorisées à pénétrer sur le marché. Les autres doivent rentrer chez elles. « Mais j’ai payé mon ticket de métro pour venir « , se désole une mère le caddie vide, devant un policier qui examine son attestation de déplacement dérogatoire et lui refuse fermement l’entrée sur le marché. Dans ces arrondissements du nord de Paris, un nombre important de personnes vivent habituellement de petits commerces marginaux: des mères africaines qui ont pris l’habitude d’installer des caisses où elles vendent quelques beignets, d’autres qui vendent des marrons chauds, d’autres encore qui attendent de se faire embaucher à la journée sur des chantiers aujourd’hui à l’arrêt. « Pour tous les gens ici, c’est difficile. Beaucoup n’ont plus de revenus du tout », remarque un boucher qui tient une boutique non loin du marché de Barbès, « ensuite ils vivent souvent à plusieurs dans un F2 (un appartement deux pièces) ».
Quand le confinement accentue les inégalités sanitaires
Lui-même vit à Creil, dans une banlieue à 60 km de Paris, mais dans son immeuble, les familles sont nombreuses et en contact permanent. « Il y a des gens qui ont été infectés au 4e étage, maintenant, il y en a aussi qui le sont au 6e étage. Moi, je dois prendre les transports en commun pour venir, alors qu’est-ce que vous voulez ? Les risques de contamination sont importants ». Dans les métros, la précarité pousse elle aussi au contact involontaire. « Il y a beaucoup de gens, parfois des toxicomanes qui viennent nous harceler « , témoigne une caissière d’un supermarché du quartier, qui doit prendre le métro matin et soir pour rentrer chez elle en banlieue nord. Dans ces quartiers essentiellement habités par des personnes d’origine étrangère, il n’y a pas de repli possible à la campagne sur les terres d’origine de la famille, et moins encore, dans une seconde résidence en bord de mer. A Paris, où le nombre de personne est de plus de 21 000 habitants au km2, ce qui en fait une des villes les plus densément peuplées au monde, rester confiné, signifie souvent: partager un espace restreint avec un nombre important de personnes.
Face à cette pression démographique, les policiers doivent faire régner l’ordre, mais leur champ d’action est lui aussi limité. Pour faire respecter les distances sur le marché de Barbès, la plupart n’ont pas de masques, alors qu’ils contrôlent des centaines de personnes, manipulent leurs documents, engagent des échanges verbaux. Ou sont passés ces masques? Dévalisés ? Tous ? Si les policiers s’abstiennent de faire un commentaire à ce sujet, leurs regards en disent long sur leur mécontentement. A quelques mètres du marché, quelques personnes échangent des informations sur la façon de remplir l’attestation dérogatoire. La conversation s’anime et les postillons inévitablement s’échangent. « Le confinement accentue la précarité », finit par lâcher un des policiers présents, « mais nous n’allons pas commencer à user de la force alors que nous ne pouvons toucher personne ! ».
Laurence D’Hondt
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