États-Unis: pourquoi, après chaque tuerie, les ventes d’armes augmentent (analyse)
A la suite de la tragédie d’Uvalde, les achats d’armes pourraient connaître une nouvelle hausse, comme après chaque tuerie. L’espoir que leur accès soit restreint est minime. Les sénateurs républicains craignent trop la réaction du lobby des armes et de leurs électeurs.
La trajectoire politique de l’élu républicain Pat McCrory est symptomatique du rapport qu’entretiennent les Américains avec les armes à feu. Dans un pays qui compte plus d’armes en circulation que d’habitants, les multiples tueries de ces dernières années, de celle de l’école primaire de Sandy Hook, en 2012, à celles de Buffalo, dans l’Etat de New York, le 14 mai, et d’Uvalde, au Texas, le 24 mai (21 morts), en passant par celle de Parkland, en Floride, en 2018, ont convaincu de nombreux Américains de céder à l’engrenage de la peur et de prendre en main leur propre sécurité. Les hommes politiques ont suivi la tendance.
Ancien gouverneur de Caroline du Nord, Pat McCrory justifie sa récente défaite lors de la primaire pour une élection sénatoriale en ces termes: «Bien que j’ai contribué à réduire la violence de 50% grâce à des mesures fortes lors de mon précédent mandat, j’ai perdu cette dernière élection car mon opposant faisait campagne à la télévision avec une arme accrochée à la ceinture. Il était donc vu par l’électorat comme un “tough on crime” (“dur en matière d’incivilités”) alors que j’étais perçu comme un faible en la matière.» L’homme politique a une vision claire du problème que les Américains entretiennent avec les armes à feu: «C’est un problème symbolique. Les Américains ne font plus confiance au système et, face à l’insécurité ambiante, réelle ou ressentie, ils préfèrent acheter des armes pour protéger leur famille.»
Cette obsession des armes est un problème avant tout culturel.
Le cycle de la peur et de la violence est ainsi bien en marche. Près de vingt millions d’armes ont été vendues dans le pays – et pas seulement dans les Etats dits «conservateurs» – en 2021, année la plus violente depuis l’an 2000 avec près de cinquante morts par jour.
Des «background checks» utiles
Dans les cas des tueries de masse précités, ce qui frappe le plus est la facilité avec laquelle les jeunes auteurs se sont procuré armes et munitions. Leur entreprise a été facilitée par des lois extrêmement laxistes: il est plus facile pour un jeune homme de 18 ans de se procurer un fusil d’assaut qu’une bouteille d’alcool. Même si certaines législations d’Etat sont plus rigoureuses que d’autres, l’Etat fédéral se refuse toujours à généraliser la pratique des «background checks» («vérification des antécédents») qui, pourtant, ont fait leur preuve à l’échelle locale. Comme le relève le sénateur démocrate Cory Booker, partisan de lois plus dures en la matière, «les chiffres ne mentent pas: lorsque le Connecticut a renforcé ses procédures de background checks, le nombre d’homicides armés a baissé de 40%, tandis que quand le Missouri les a assouplies, ils ont augmenté de 20%.»
En 1999, la National Rifle Association (NRA), le plus grand lobby des armes aux Etats-Unis, qui apportent à certains candidats politiques, quasi toujours républicains, un soutien officiel lorsque ces derniers leur sont favorables, avait déclaré devant une commission parlementaire qu’elle était favorable à la généralisation des background checks. Le monde politique n’avait pas suivi. Lors de la tuerie de l’école primaire de Sandy Hook, en 2012, dans laquelle 22 enfants avaient trouvé la mort, les sénateurs des deux camps avaient entamé des tractations pour mettre au point des textes plus restrictifs en la matière, sans succès. Même des initiatives présidentielles n’ont pas suffi: Donald Trump et Joe Biden ont chacun proposé au Congrès d’établir une législation pour renforcer les background checks, sans succès également.
Les sénateurs républicains sont tout simplement trop inféodés à la NRA et à leur électorat, ce dernier voyant dans le soutien du lobby à un homme politique une preuve de dureté et d’esprit patriotique. Le second amendement de la Constitution, qui permet aux Américains de posséder une arme, est vu par nombre de républicains, et de démocrates principalement au sud des Etats-Unis, comme un pilier des droits individuels, et peu sont prêts à y renoncer. Il semble d’ailleurs que la tendance soit à un renforcement de l’accessibilité aux armes. L’année 2021 a vu, par exemple, la majorité républicaine au Texas faire adopter 21 textes de loi différents pour faciliter l’achat et la mise à disposition d’armes dans tous les domaines de la société.
Les Américains ne font plus confiance au système et, face à l’insécurité ambiante, réelle ou ressentie, préfèrent prendre leur sécurité en main.
Élections de mi-mandat
Il est peu probable que la tuerie d’Uvalde change fondamentalement le rapport des Américains aux armes, sinon superficiellement. Un groupe composé de cinq sénateurs démocrates et de quatre sénateurs républicains, mené par le démocrate du Connecticut Chris Murphy, s’est certes mis au travail pour tenter d’élaborer une nouvelle législation sur la vente d’armes mais il est peu probable que celle-ci porte ses fruits, sinon pour des mesures négligeables. La façon dont le pouvoir est structuré aux Etats-Unis laisse en outre peu de place à l’initiative présidentielle, et les larmes sincères versées par Joe Biden, le 29 mai à Uvalde, ne seront sans doute pas suivies d’effets majeurs: les sénateurs républicains sont tenus en laisse par leur électorat qui ne leur laissera que très peu de marge de manœuvre, et peu sont prêts à prendre des risques à quelques mois d’élections de mi-mandat cruciales pour leur parti.
Comme le relève Pat McCrory, «cette obsession des armes est un problème avant tout culturel». Elle fait partie de ce que les Américains identifient comme leurs libertés inaliénables. Personne, en revanche, ne prend la parole pour expliquer pourquoi des armes de guerre sont nécessaires à des adolescents de 18 ans pour assurer leur propre sécurité.
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